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USA et Amérique latine : une moisson d’ échecs en 2003.


Par Raúl Zibechi , 6 janvier 2004.



2003 fut pour Washington une année pleine de défaites et d’échecs, plus particulièrement en Amérique Latine. L’instabilité économique et financière de l’empire, sa « guerre contre le terrorisme » et l’échec patent du modèle néolibéral ont ouvert des brèches dans son hégémonie continentale.

Devant l’embourbement de sa politique au Moyen Orient où elle n’a pu imposer sa ’Feuille de route’ et où aucun avenir pacifique ne s’annonce en Irak, avec une situation intérieure à peine contenue par la réthorique de la guerre et le recours permanent à la peur - en prenant la population en otage de ses ambitions impériales -, avec des difficultés financières qui se résument à la perte de crédibilité du dollar, la Maison Blanche n’a pu, tout au long de 2003, faire mieux que de contempler la série de ses échecs en Amérique Latine, depuis le déraillement du sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) jusqu’à la formation d’un front piloté par le Brésil qui a invalidé l’ALCA tel que le projetait Washington, en passant par la consolidation du gouvernement de Hugo Chávez et le ferme refus de Néstor Kirchner de se plier aux exigences du FMI.


Une économe affaiblie

Sur les difficultés que l’administration de George W Bush rencontre au Moyen Orient, on écrit tous les jours des centaines de pages. Beaucoup moins évidentes sont celles que traverse son économie, plus particulièrement ses finances, malgré le réveil de l’euphorie dû à la croissance économique enregistrée tout au long de l’année.

Une partie de ces difficultés provient de l’explosion de la bulle spéculative, dont quelques scandales retentissants - comme celui de l’entreprise Halliburton liée au vice-président Dick Cheney - ont défrayé la chronique, acculant à la ruine des millions d’épargnants. Ou des manipulations financières des fonds mutuels qui ont porté préjudice aux 95 millions de personnes qui leur avaient confié leurs retraites.

Cependant, au-delà de ces situations ponctuelles, les États-Unis accumulent un déficit monumental de 500 milliards de dollars de ses comptes courants. Pour réduire ce déficit que l’on doit considérer comme structurel en raison de la politique impériale, la gestion de Bush a utilisé la dévaluation du dollar, en particulier face à l’euro, dollar qui pendant cette seule année a connu une chute de 15 pour cent. « La principale raison de la baisse du dollar est l’énorme et insoutenable déficit en compte courant. Avec un dollar au cours le plus bas, les États-Unis peuvent rendre leurs produits plus compétitifs sur le marché international et réduire le rythme de leurs importations. Le dollar doit chuter de plus de 5 pour cent en 2004 et doit continuer à chuter en 2005 », a indiqué le dimanche 21 décembre Farid Abolfathi, le directeur de Global Insight, au journal Folha de São Paulo.

Mais résorber le déficit entraîne des problèmes encore plus graves : la fuite des capitaux. En 2000, les investisseurs internationaux avaient acheté des actions états-uniennes pour 175 milliards de dollars, mais en octobre de cette année, ils n’en avaient acquis que pour 15 milliards. Ian Grunner, le directeur de la banque Mellon Financial de Londres, a révélé que « les investisseurs états-uniens eux-mêmes remettent en question l’importance d’avoir des actifs en dollars », et augmentent de façon exponentielle leurs achats d’actions étrangères. En effet, jusqu’en octobre de cette année, les États-uniens n’ont acheté que 1,5 milliard de dollars en actions étrangères contre 66 milliards en 2002.

Le manque de confiance dans le dollar touche les alliés traditionnels de la superpuissance. Depuis le 11 septembre, les pays arabes ont retiré des États-Unis la moitié des 700 milliards de dollars qu’ils avaient investis dans le pays : on remarque en tête de cette fuite précipitée l’Arabie Saoudite, l’ancien allié, qui a retiré 200 milliards de dollars.

Les choses étant ce qu’elles sont, les signaux d’alerte et d’alarme autour du dollar se sont fortement installés sur le marché financier international, et sont déjà visibles par tous. L’Arabie Saoudite et les autres pays de l’OPEP font pression pour que la cotation et le commerce du pétrole soient réalisés en euros et non en dollars. S’il en était ainsi (beaucoup soutiennent que ce n’est pas imminent, mais seulement une question de temps), un changement dramatique se produirait sur la scène économique mondiale, scellant la fin de l’hégémonie états-unienne.


La révolte de l’arrière-cour

Ce scénario global défavorable aux États-Unis s’est aggravé par la confluence de processus politiques et sociaux qui, concentrés tout au long de cette année, marquent un point d’inflexion dans les relations entre l’Amérique Latine et Washington.

Au début de l’année, le gouvernement vénézuélien de Chávez affrontait une dure offensive de l’opposition qui menaçait de le renverser, car l’entreprise pétrolière d’État (PDVSA) était au centre de la dispute, via une grève que l’on prédisait interminable. Mais Chávez offrit une farouche résistance d’où son gouvernement sortit renforcé. Le 1er janvier, Luiz Inácio Lula da Silva accédait à la présidence du Brésil et le 15 de ce mois c’était le tour du colonel Lucio Gutiérrez en Équateur. Ces deux changements résultaient de virages sociaux et politiques de longue durée, quoique les deux présidents aient ensuite choisi des chemins différents face à Washington.

En février éclata en Bolivie la grève de la police, présage de l’effondrement de l’État qui allait survenir sept mois plus tard. En mai, Carlos Menem, le champion continental du néolibéralisme, dut renoncer au second tour des élections devant l’imminence d’une implacable défaite. L’arrivée de Kirchner à la Casa Rosada (le palais présidentiel) signifia un virage à 180 degrés de la politique internationale de l’Argentine, et enterra les politiques néolibérales de la précédente décennie. A la fin d’avril, les Paraguayens ont élu à la présidence Nicanor Duarte, lequel a pris tout de suite ses distances avec le modèle, a parié sur le MERCOSUR et s’est engagé à combattre certains maux endémiques du pays comme la corruption, rompant avec le style et les alignements internationaux des gouvernements précédents.

En juin, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud ont signé un accord de coopération, baptisé le G3, dans l’intention de resserrer les relations entre les pays du Sud. En août le mouvement indigène équatorien Pachakutik a rompu avec le gouvernement de Gutiérrez qui s’était aligné sur le FMI et Washington, seule lueur de succès de toute l’année pour la Maison Blanche dans son arrière-cour.

En septembre la stratégie impériale a connu son plus grand fiasco : le sommet de l’OMC de Cancún s’est soldé par un échec pour les États-Unis et l’Union européenne qui ne sont pas parvenus à un accord sur le commerce agricole. L’autre visage de ce sommet dut le succès retentissant du mouvement contre la globalisation qui a réalisé de grandes manifestations dans la station balnéaire mexicaine et, en parallèle, celui du tout nouveau G20, alliance de pays du Tiers Monde dans laquelle le Brésil et la Chine jouent un rôle déterminant.



Le 17 octobre, une impressionnante insurrection du peuple bolivien a renversé le meilleur allié des États-Unis dans la région, Gonzalo Sánchez de Lozada. Son successeur, Carlos Mesa, a pris ses distances avec la gestion précédente et s’est montré disposé à resserrer les liens avec ses voisins argentin et brésilien et à approfondir le MERCOSUR. Un rôle important dans la résolution de la crise bolivienne fut joué par la gestion diplomatique des présidents Kirchner et Lula qui, ces mêmes jours, signèrent le Consensus de Buenos Aires, alliance stratégique entre les deux grands d’Amérique du Sud qui vise à remodeler la région et à freiner la signature de l’ALCA aux conditions imposées par les États-Unis.

L’année enregistra aussi la défaite électorale des deux gouvernements les plus proches de Washington en Amérique du Sud : à lvaro Uribe a été vaincu aux élections régionales et municipales d’octobre par l’alliance de centre-gauche du Pôle Démocratique, lequel fut capable de fissurer le mur du pouvoir, pouvoir que se partagent traditionnellement libéraux et conservateurs en Colombie. Et Jorge Battle (Uruguay) a connu, début décembre, un échec retentissant au référendum qui abrogea la loi permettant à l’entreprise pétrolière d’État de s’associer aux capitaux étrangers.


ALCA ou intégration

L’ensemble des changements dans lesquels le mouvement social et la gauche du continent jouent les premiers rôles, redessine la carte politique continentale. Le nouveau scénario est apparu lors de la réunion ministérielle de Miami en novembre, quand on a rappelé le souhait de Lula, à savoir « faire un ALCA seulement pour ce qui est possible, et laisser le reste pour en débattre à l’Organisation mondiale du commerce ».

Dans les faits, l’ALCA que souhaitaient les États-Unis s’apparente de plus en plus à une chimère. Surtout depuis le sommet du MERCOSUR en décembre à Montevideo, où l’on arriva à un accord entre le MERCOSUR et la Communauté andine des nations (CAN), pays avec un certain nombre desquels les États-Unis prétendent réaliser des accords bilatéraux pour isoler le Brésil. Dans la même ligne, on peut situer l’accord signé, à Montevideo également, par les gouvernements d’Argentine et de Bolivie pour la construction d’un gazoduc commun qui sera le principal fournisseur de gaz en direction du sud. Il permet d’établir une alternative au projet d’exporter le gaz bolivien vers les États-Unis via le Chili, projet qui avait déclenché l’insurrection bolivienne d’octobre.

Cependant, malgré cet ensemble d’échecs et de contretemps, la diplomatie états-unienne commence à se réadapter en reconnaissant qu’elle ne peut imposer sa volonté comme autrefois. C’est ce qu’a fait Robert Zoellick, le directeur du Commerce extérieur des États-Unis, en acceptant un « ALCA flexible ». C’est aussi une façon de gagner du temps, ce dont l’administration de Bush a impérieusement besoin avant les élections de novembre 2004.

Il semble évident que plus Washington rencontrera de difficultés dans le monde, plus les pays latino-américains seront à même de gagner leur propre espace et de négocier des relations plus avantageuses avec la superpuissance. C’est la course contre la montre de la diplomatie brésilienne, la plus lucide de la région et l’une des plus habiles du Tiers Monde avec la Chine. On ne devrait toutefois pas perdre de vue que dans une telle situation, la superpuissance - comme tous les empires de l’histoire - compte sur deux armes qu’elle utilise astucieusement : l’éternelle division entre les pays latino-américains et la possibilité de coopter ceux qu’elle ne peut pas neutraliser par d’autres voies. Dans les prochains mois nous verrons comment se disposeront les pièces sur l’échiquier continental. L’attention est retenue par le fait que le gouvernement brésilien - qui aurait pu faire définitivement capoter l’ALCA après l’échec de Cancún - ait choisi de donner du temps aux faucons de Washington en approuvant l’ALCA, même si c’est dans sa version light.

Pour le moment, non seulement deux mais bien trois versions de l’intégration souhaitable sont en compétition en Amérique Latine. Celle des États-Unis et de leurs alliés, qui sont toujours engagés dans un ALCA taillé sur mesure pour les multinationales. Celle du Vénézuela et de Cuba qui optent pour une intégration strictement latino-américaine sans ingérence des États-Unis. Et entre les deux apparaît la proposition brésilienne qui prétend à une intégration dans laquelle les États-Unis joueront un rôle prépondérant, mais pas décisif. Cette voie - qui compte aujourd’hui le plus grand nombre d’alliés dans la région - semble faite sur mesure pour la bourgeoisie industrielle brésilienne, laquelle a plus besoin pour renforcer son expansion du marché états-unien que des marchés régionaux et même de son propre marché intérieur. Le gouvernement argentin semble hésiter, quoiqu’il tende à se rallier à l’alternative brésilienne. Si cette alternative se confirme, on pourrait de nouveau voir se construire une intégration asymétrique, au préjudice des pays les plus faibles et des régions les plus pauvres.


Traduction : Hapifil, pour RISAL http://risal.collectifs.net.

ALAI, América Latina en Movimiento, 29-12-03.


Source : RISAL http://risal.collectifs.net


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