Jean Daniel Flaysakier, médecin et intervenant régulier sur France 2, l’évoque depuis juin 2010 sur son blog( voir site ci-dessous)
Cancer du poumon : un "vaccin" cubain pas encore révolutionnaire
mercredi 25 juin 2008 : : CANCER : : Alerter la modération
L’annonce par les autorités cubaines du lancement du " premier vaccin " contre le cancer du poumon est une nouvelle intéressante mais qui réclame la plus extrême prudence. On est loin, en effet, de la révolution.
Première précision et elle est de taille : il ne s’agit pas d’un vaccin au sens où on l’entend communément, c’est-à -dire un moyen de prévenir une maladie. C’est, en fait, une immunothérapie, c’est-à -dire un traitement administré chez des patients déjà malades et chez lesquels on souhaite ranimer les défenses naturelles pour qu’elles attaquent la tumeur.
Le cancer dont souffrent les patients traités à Cuba est un cancer du poumon dit « non à petites cellules » ou CPNPC. Dans cette forme tumorale, les cellules de défense de l’organisme sont quasiment rendues inopérantes en raison de la sécrétion de certaines substances qui les « anesthésient ». Il est donc tentant d’essayer de les stimuler.
Il y a donc plusieurs essais en cours à travers le monde, reposant sur des protéines présentes dans les cellules tumorales et dont on se sert, conjuguées à une autre substance généralement, pour « agresser » le système de défense et lui faire comprendre qu’il se passe quelque chose.
Ainsi, le "vaccin " cubain comporte-t-il deux éléments, d’abord une protéine fabriquée en quantité anormalement élevée par les cellules cancéreuses et appelée EGF receptor ou récepteur du facteur de croissance épidermique. La seconde protéine provient d’une bactérie, le meningocoque, et a été fabriquée par Escherichia Coli, le fameux colibacille. C’est en envoyant ce signal bactérien qu’on espère obtenir la reconnaissance du second produit.
En mars 2008, les chercheurs cubains ont publié les résultats d’un essai de phase 2 dans la revue américaine Journal of Clinical Oncology. Cet essai a été fait sur un très petit nombre de patients, quatre-vingts au total, qui avaient tous reçu une chimiothérapie auparavant.
Un groupe a été traité par le « vaccin », l’autre a reçu le traitement habituel. Cet essai avait pour but de mesurer un certain nombre de paramètres biologiques et de voir quelle était la réponse immunitaire de l’organisme, comment les cellules de défense se comportaient. La réponse immunitaire, c’est-à -dire la production par l’organisme d’anticorps contre EGF a été obtenue chez 51,3% des patients vaccinés.
Le taux de ce même facteur EGF a diminué de façon importante chez 64 % des vaccinés. Pour les patients ayant ces deux bons résultats, les auteurs ont noté qu’il existait une tendance à une survie supérieure à celle des malades non vaccinés.
Mais pas de résultat statistiquement significatif permettant de conclure de façon formelle à l’efficacité de la préparation.
Dans le sous-groupe des patients âgés de moins de 60 ans, la survie du groupe traité a été significativement augmentée.
Le problème de cette étude c’est qu’elle concerne un faible nombre de patients et que les résultats ne permettent donc pas de crier victoire à partir de ces seules données. Pour affirmer les résultats, il faut passer au stade suivant, ce qu’on appelle une étude de phase 3 qui requiert de très nombreux patients, des centaines, voire des milliers.
Ces études sont généralement menées dans le cadre de coopérations internationales avec des protocoles stricts et des comités scientifiques internationaux également.
Pour l’instant, l’étude de phase 3 menée par les chercheurs cubains est strictement cubaine.
Mais divers autres essais, utilisant des composés différents sont en cours à travers le monde. On teste des vaccins thérapeutiques à base de Belagenpumatucel-1, L-BLP 25, MAGE-3.des essais qui devraient $être terminés dans les deux années à venir. Pour l’instant, les résultats intermédiaires ne permettent pas de tirer les mêmes conclusions que celles annoncées à la Havane.
D’autres molécules entrent aussi dans le champ de l’évaluation, GVAX, B7.1, EP2101, l5235, et le vaccin télomerase GV1001.
Enfin, il ne faut pas oublier que le développement des thérapies ciblées permet de disposer déjà de molécules capables d’attaquer les cibles EGF. C’est le cas du cetuximab, par exemple. Mais ce médicament ne fonctionne que chez des patients qui ne sont pas porteurs d’une mutation génétique touchant un gène particulier, le gène KRAS
En conclusion, donc, les nouvelles venues de Cuba sont intéressantes. Mais l’annonce d’une mise sur le marché d’un produit insuffisamment évalué ne peut pas être satisfaisante.
Donner des espoirs sans pouvoir les fonder scientifiquement n’est pas la meilleure façon de prendre en charge les patients.
La science cubaine est d’un très haut niveau, mais les circonstances régionales font que cette science a du mal à vivre hors de certaines influences politiques et que les effets d’annonce ne sont pas obligatoirement la meilleure façon de prouver ce qu’on avance.
Référence de l’étude :
Elia Neninger Vinageras et al.
Phase II Randomized Controlled Trial of an Epidermal Growth Factor Vaccine in Advanced Non-Small-Cell Lung Cancer. JCO 2008 ; 26,9 : 1452-1458.