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Chroniques de la révolution tunisienne

Troisième jour du peuple tunisien

Tunis, le 16 janvier 2011

Au troisième jour du peuple tunisien, le terrible silence, dû à l’absence du bruit de l’hélicoptère qui m’avait empêché de dormir pendant la nuit, me réveille très tôt. De la rue, de fait, ne monte aucun son : ni voitures, ni voix, ni chants d’oiseaux. C’est un dimanche dans une nouvelle dimension et, après les incertitudes de l’aube, on se surprend à craindre que le monde ait disparu. Tout est terminé ? Pour le meilleur ? Pour le pire ? Pour la même chose ? Soudain, le silence est brisé par le bruit strident, quotidien, réconfortant et qu’on ne peut confondre ; celui de la persienne métallique de l’épicerie d’en bas. Ils ont ouvert le magasin !

Les premières nouvelles, dans la presse et à travers les amis - qui viennent eux aussi de se réveiller - confirment la trève : les assauts ont cessé et les quartiers s’ébrouent au milieu des restes de la tempête, dans ce chaud mois de janvier au ciel très bleu et aux bruits insoupçonnables.

Lorsque nous sortons pour faire les courses, l’épicerie est à nouveau fermée, car il n’y a rien à vendre. L’épicier espère que l’approvisionnement sera rétabli lundi car, autrement, dit-il, la situation deviendra insoutenable. Notre quartier bourgeois est également rempli de restes de barricades. L’Impasse de l’Aurore a littéralement été fermée par des poutres d’acier. Dans les rues adjacentes au Premier Juin, des branches d’arbres, des pierres, des plaques marquent la volonté des voisins de défendre leur quartier des assaillants. Tous les accès à la Place Mendès France, où se trouve se siège local du RCD (parti de Ben Ali, NdT) ont été coupés ou rendus difficiles, avec des blocs de ciment et des bidons de plastique remplis de sable. Maintenant, en tous les cas, nous savons d’où vient le danger. Les médias le reconnaissent ouvertement et, plus important, les Tunisiens le savent : ce sont les milices armées fidèles à l’ex-dictateur, qui ont instruction d’imposer le chaos et de terroriser la population.

Il y a sans doute plus de gens dans les rues en ce premier dimanche de la nouvelle dimension ; certains, encore armés de bâtons, récupèrent après une nuit blanche. Tous les magasins sont fermés.

A 13h30, nous prenons la voiture pour ramener Amin à sa maison, à Al-Mourouj, le quartier victorieux de la nuit précédente. Et commence alors un long, tortueux et révélateur parcours à travers la ville. Afin d’éviter le centre, dont les accès ont été bloqués par la police, nous décidons de passer par Bab Saadoun, où un puissant tank de l’armée domine la place, encadré sous l’arc de l’énorme porte médiévale. C’est une image que nous avons déjà vue de nombreuses fois avant de la voir réellement pour la première fois. Il y a un premier contrôle militaire au début de l’Avenue du 9 Avril, ensuite un second face à la Quasba, et ensuite un troisième, dans lequel un soldat nous oblige à montrer nos documents, à descendre de la voiture et à ouvrir le coffre.

Ensuite, 19 autres contrôles nous attendent. Mais ces 19 contrôles sont tout autre chose, c’est un autre monde. Nous avons laissé derrière nous la Quasba et nous passons par les quartiers les plus populaires de la ville : Al-Malassin, Al-Manoubia, Al-Kabaria, Al-Mourouj. Il n’y a plus de militaires ni de policiers. C’est comme si nous parcourons spatialement, d’une rue à l’autre, dans un ordre croissant, toutes les étapes des événements de ces derniers jours en Tunisie ; d’une révolte à une guerre civile ; dun coup d’Etat jusqu’à la révolution. Car les jeunes ont pris la ville. Littéralement, elle est à eux. Ils empoignent des bâtons, des couteaux, des haches et des marteaux. Mais en les voyant, au contraire de notre réaction face au tank, nous ressentons une énorme tranquilité. Une étrange joie. Ils sont très nombreux, certains sont à peine adolescents. Ils ont défendus leurs quartiers pendant toute la nuit et maintenant ils poursuivent la lutte contre la dictature au travers de barrages très ordonnés qui, tous les 800 mètres, stoppent les voitures et les fouillent, spécialement les taxis, parce que l’on sait que les sbires de Ben Ali les utilisent pour assaillir les quartiers et transporter des armes. Il y a quelque chose de festif dans l’air et quelque chose de solennel dans leurs gestes, et c’est complètement logique : ils sont libre d’être ensemble et nombreux et, de plus, ils ont une mission à accomplir.

La première chose qui frappe, c’est la solidarité et l’ordre. Il faut exercer beaucoup de violence et beaucoup de mépris sur un être humain pour qu’il ne soit pas poussé à être sérieux, bon, responsable, solidaire, attentionné et protecteur. Il faut exercer une énorme pression sur une société pour qu’elle préfère le mensonge, l’obscurité, le chaos. Rousseau avait raison. Mais comme nous avons perdu la nature depuis longtemps, il faut recourir à l’éducation. Mais comme l’éducation dans notre monde est associée à l’argent qui corrompt, il faut créer - ou espérer - une "situtation". Ces jeunes ont créé cette "situation" dans laquelle il sont en train de s’éduquer. Il y a un mois, ils languissaient dans les cafés, donnaient des coups de pieds aux chiens errants, se saoûlaient et rêvaient peut être d’atteindre Lampedusa (île italienne au large de la Tunisie, NdT) à la nage. Personne ne croyait en eux, personne n’espérait rien d’eux, personne n’aurait écouté leur opinion. Il n’y avait qu’à attendre que, les freins brisés, maîtres de la rue, ils se mettent à casser des vitres, commes les étatsuniens quand il y a des pannes de courant, pour voler des téléviseurs. Mais voici que les freins sont brisés et qu’ils sont maîtres de la rue, et ils pensent au contraire à protéger leurs familles, au bien-être de leurs voisins, au destin de leur pays. Ceux qui assaillent et qui pillent, maintenant qu’ils n’ont plus le pouvoir, ce sont les policiers de Ben Ali, et les jeunes, leurs anciennes victimes, maintenant qu’ils ont le choix, choisissent la générosité et l’organisation.

Quelle émotion de les voir surveiller les rues, tellement alertes, tellement nombreux, prudents, aussi conscients de leur importance et pour cela tellement respectueux et tranquilisateurs, avec leurs couteaux et leurs bâtons dans les mains, au point qu’on a presque envie de tomber à nouveau et encore sur un barrage pour qu’ils stoppent la voiture, pour les laisser fouiller le véhicule, les remercier pour ce qu’ils font et leur souhaiter à nouveau beaucoup de succès dans leur mission.

Dans l’après midi, la tension revient. Avant le couvre-feu, nous dressons avec les voisins trois barricades dans notre rue tandis qu’arrivent les nouvelles des affrontements à l’arme lourde dans le Palais présidentiel, des chocs à la Porte de France, de la terrible situation qui règne à Bizerte, isolée du monde, à la merci des milices de l’ex-dictateur. Et je pense, en effet, qu’ensemble avec le coup d’Etat tyranicide, la guerre entre les appareils d’Etat et les pactes pour la formation d’un nouveau gouvernement, en Tunisie il y a une révolution. Je pense à ces jeunes, maîtres de la rue, éduqués, dignes, importants, conscients de leur valeur, à qui on confie à nouveau cette nuit la défense de notre ville mais qui, je le crains, n’entrent pas dans les plans programmés par certains - à l’intérieur et à l’extérieur - pour la Tunisie.

Mais prenez garde ! Parce que maintenant, ils sont éduqués et ils savent qu’ils ne pourront continuer à être les maîtres de leur rue et de leur quartier que s’ils sont également les maîtres de leur pays.

Lire la suite :
http://www.npa2009.org/content/chroniques-de-la-révolution-tunisienne-par-alma-allende

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