Cela fait trois semaines que les Tunisiens sont dans la rue. Tant et bien que ce week-end le pouvoir a envoyé l’armée dans les rues pour tenter de rétablir l’ordre. Résultat, 35 morts, sans doute cinquante. En Tunisie si votre coeur bat pour plus de liberté, plus de justice et de démocratie, le seul droit que l’on vous attribue, c’est une décharge de plomb. Pourtant malgré cette répression sanglante, les Tunisiens n’ont plus peur, mieux encore, la peur a changé de camp, c’est maintenant Ben Ali qui a peur pour la survie de son régime.
C’est le suicide de Mohamed Bouazizi de Sidi Bouzid qui a été le déclencheur des émeutes où la jeunesse excédée par le chômage et le peu d’avenir que lui réserve la société tunisienne, est descendue dans la rue. A Sidi Bouzid le chômage des jeunes atteint les 25% ? chez les femmes, on dépasse allègrement les 40%. Alors que les émeutes et les manifestations ont débuté dans les centres urbains de l’intérieur du pays, l’insurrection s’est maintenant étendue dans toutes les grandes villes, y compris à Tunis.
Ces manifestations spontanées de colère contre le chômage de masse ont pris un tour politique dès lors que les manifestants réclament désormais la fin de la mainmise de la famille Trabelsi sur le gouvernement, les institutions de l’Etat et l’économie. A plusieurs endroits d’ailleurs les bureaux du parti au pouvoir le RDC, ont été saccagés et brûlés, des bâtiments gouvernementaux ont été mis à sac et les bureaux de police attaqués. Devant cette déferlante populaire même des syndicats jusqu’à présent soumis au pouvoir, tel l’UGTT, l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie commencent à réagir en soutenant le mouvement populaire. Des grèves sont annoncées, si celles-ci se transforment en grève générale, les jours de la dictature sont probablement comptés.
Cela fait maintenant 23 ans que la famille Trabelsi, avec à sa tête le dictateur Zine el Abidine Ben Ali et son épouse Leïla, aussi surnommée la régente de Carthage, gouverne la Tunisie en maintenant la population dans un étau d’acier. La preuve en est qu’il faut retourner jusqu’en 1984 lors des « émeutes du pain » pour retrouver de tels manifestations populaires.
Le journal Gulf News a bien compris les évènements en résumant : « Personne ne pensait que la Tunisie serait le théâtre d’un tel désordre sociopolitique ». En effet, jusqu’à ce qu’il y a peu, la Tunisie était considérée comme un état modèle dans une région troublée. Un Etat fortement apprécié par ses amis occidentaux pour le tourisme bien sûr, mais également et surtout sans aucun doute pour sa main-d’oeuvre à bas coûts, ce qui a permis pour nombres d’entreprise des délocalisations et des sous-traitances très rentables. De plus, ce qui ne gâte rien, la Tunisie est considérée comme un bastion séculaire contre le fondamentalisme islamique.
Ces particularités tunisiennes font que ce pays est un des meilleurs amis des pays Européens à visée économico-impérialiste qui soutiennent d’ailleurs l’économie tunisienne à plus de 80% par des investissements financiers, commerciaux et industriels, ce qui fait que les problèmes actuels de la Tunisie inquiètent grandement les dictatures voisines aussi bien que le capitalisme européen.
Ainsi récemment encore, la Tunisie était félicitée à la fois par le FMI (Fonds Monétaire International) que par la Banque Mondiale, pour sa ténacité à respecter leurs dictats antisociaux pour combattre la récession. Ces deux institutions sont actuellement très inquiètes, car que va-t-il se passer dans les pays voisins du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, si la Tunisie explose politiquement et socialement. Il ne s’agit pas ici de fondamentalisme islamique ou de terrorisme, mais bien comme le soulignait il y a quelques jours Al Jazeera, d’une renaissance de l’activisme arabe, le jeune Mahamed Bou’aziz qui s’immola par le feu le 17 décembre, devenant un symbole de type « martyr » pour des millions de jeunes Arabes qui veulent améliorer leur quotidien, sortir de la précarité et vivre avec plus de libertés.
Il est indéniable que les causes de la révolte du peuple tunisien sont à rechercher dans la combinaison fatale de la pauvreté, du chômage et de la dictature politique, trois caractéristiques de la plupart des sociétés Arabes. Ce qui fait penser que ce qui se passe en ce moment en Tunisie, émeutes, mouvements populaires de protestations, grèves et confrontations contre le politique sont à l’agenda de tous les pays Arabes, comme cela se passe actuellement aussi bien en Egypte, en Algérie et en Jordanie.
On a déjà pu voir la contagion s’étendre ces derniers jours à l’Algérie, où des milliers de jeunes sont descendus dans la rue pour manifester, manifestations tournant même à l’émeute dans les quartier populaires de Bab El Oued dans la capitale Alger, évènements provoqués par l’annonce de l’augmentation brutale du prix du sucre et de l’huile ménagère. Des « émeutes de la faim » dans un pays où l’oligarchie politique et économique régnante s’enrichit scandaleusement grâce au pétrole, alors que 75% des jeunes de moins de trente ans sont sans emploi. Vient également se greffer sur cette problématique la pénurie croissante du logement pour les familles populaires.
Les régimes dictatoriaux voisins considèrent ces évènements avec une inquiétude croissante, un voisin de la Tunisie, la Libye, a même ouvert ses frontières, afin de permettre aux jeunes chômeurs d’aller y chercher du travail. L’Allemagne, partenaire économique de la Tunisie à quant à elle tenter de calmer la situation en promettant d’investir dans la région pauvre et rurale de Sidi Bouzid.
Ce qui n’empêche pas de constater que l’Europe « démocratique et berceau des droits de l’homme » reste étrangement silencieuse, face à la répression brutale dont fait montre la dictature mourante des Trabelsi. Aucun mot de condamnation pour l’instant, de la part des Etats-Unis ou de l’Europe.
Le chant du cygne de la dictature tunisienne combine d’ailleurs promesses d’investissements, plan anti-chômage, limogeages politiques en série (deux ministres et trois gouverneurs) et la répression la plus brutale devant l’insuccès de ses tentatives pour rétablir le calme. 35 personnes, plus probablement plus de cinquante, ont déjà été victimes de cette répression sanglante, plusieurs centaines de blessés et d’arrestations. Malgré la censure de la dictature sur tout ce qui est médias, celle-ci ne peut contenir les informations qui passent entre les mailles du filet grâce aux activistes Internet et aux hackers. Ces activistes sont activement recherchés, persécutés, arrêtés parfois même enlevés par la police. En guise de représailles contre ces exactions du régime tunisien et par solidarité avec les activistes informatiques tunisiens, une dizaine de sites gouvernementaux ont été attaqués et rendus inopérants par un mouvement mondial de « pirates Internet », les mêmes qui avaient marqués leur soutien à Wikileaks et Julian Assange, en attaquant le Pentagone et la Maison Blanche.
La jeunesse tunisienne n’a plus peur, elle est maintenant soutenue par les syndicats, les étudiants les ont rejoints, ce mouvement populaire est le résultat de la banqueroute sociale et économique de ces dictatures qui exploitent leurs richesses pour le compte du capitalisme du Nord tout en appauvrissant leurs populations.
Ce qu’il faudrait idéalement à ce mouvement populaire pour avoir toutes ses chances de réussir à renverser aussi bien la dictature, en faisant d’une pierre deux coups et se débarrasser en même temps de la logique capitaliste qui les a menés dans la situation dans laquelle se trouve le peuple tunisien, c’est la capacité à s’organiser politiquement, sinon il est à craindre que soit le mouvement ne fasse long feu, ou que les évènements et le renversement des Trabelsi, ne soient récupérés par d’autres…
Luc Torreele MediaBeNews