RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Lula le "Mandela" brésilien passe la main : l’esprit de Porto Alegre trahi

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage »
Jean Jaurès

Dimanche dernier, le Brésil a voté pour l’élection d’un nouveau ou d’une nouvelle présidente. Trois candidats étaient en lice, Dilma Rousseff, directrice de la Maison civile du président Lula, José Serra ancien gouverneur de Sao Paolo et l’égérie des Verts ancienne ministre de Lula et qui a démissionné quand Lula s’est écarté selon elle des objectifs climatiques. Car au Brésil, lutter pour sauver la planète a longtemps semblé un luxe de pays riche. Le bon résultat attendu de la candidate Verte est un signe de plus du décollage du pays. Les résultats donnèrent Dilma Rousseff avec près de 47% des voix, 32% pour Jose et plus de 20% pour l’outsider qui a de fait, empêché Dilma Rousseff, protégée de Lula, de l’emporter au premier tour. Nul doute que le 31 octobre, les chances sont du côté de la protégée de Lula, encore que la conservatrice écologique Marina da Silva peut s’allier avec la droite et faire élire José. Si la popularité de Lula est indéniable, on parle de 80% d’opinions favorables à son bilan, l’unanimisme - même les pays occidentaux ne tarissent pas d’éloge à son égard - quant au miracle Lula, devrait nous inciter à un questionnement, sachant que le capitalisme est antinomique du droit des faibles et des sans-grade. Ce satisfecit du grand capital.

Retour sur le parcours atypique de Lula, un personnage haut en couleur, qui a eu plusieurs vies. Luiz Inácio Lula da Silva né le 6 octobre 1945 est un homme politique brésilien élu président de la République fédérative du Brésil en 2002 et réélu avec plus de 60% des suffrages en 2006. Élu personnalité de l’année en 2009 par le journal Le Monde, il est classé l’année suivante par le Times comme le dirigeant le plus influent au monde. Le petit Lula quitte l’école à 10 ans pour des petits boulots dans la rue (cireur de chaussures, vendeur de cacahuètes). A 14 ans, il devient tourneur dans une usine automobile de São Bernardo do Campo, puis ouvrier métallurgiste. En 1975, il devient président du syndicat de la métallurgie. En 1980, il décide de passer du syndicalisme à la politique et fonde le Partido dos Trabalhadores (Parti des travailleurs). En 1982, il est élu une première fois candidat au poste de gouverneur de l’État de São Paulo. Le 27 octobre 2002, après trois essais, Lula est élu président. Chantre de la démocratie participative expérimentée à Porto Alegre, il ne remet pas en question la rigueur budgétaire, mise en oeuvre par Fernando Henrique Cardoso et accepte le code de conduite du FMI. Lors de sa prise de fonctions, le 1er janvier 2003, Lula a déclaré dans son discours inaugural : « Le changement, voilà notre mot d’ordre (...) L’espoir a vaincu la peur, notre société a décidé qu’il était temps d’emprunter une nouvelle voie. »

Face au néolibéralisme

Concomitamment, une alternative à Davos se faisait jour. C’était l’époque du forum altermondialiste de Porto Alegre et des grandes mutations du capital qui préfigurent la crise financière de 2008. Souvenons-nous comment les banques ont été « sauvées » : Jacques Marseille, professeur d’économie, écrit : « Amorcée le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, qui restera dans l’Histoire comme le krach du jeudi 24 octobre 1929, la crise aurait détruit à ce jour 50.000 milliards de dollars - l’équivalent d’une année de PIB mondial - et nécessité plus de 2500 milliards de dollars - l’équivalent du PIB de la France - pour sauver le système financier mondial. » (1)

Pour Attac France partenaire du forum altermondialiste : « Tout changer pour que rien ne change : tel est le message que Nicolas Sarkozy a martelé devant ses amis de Davos. Entonnant son habituel couplet pseudo-altermondialiste - avec un hommage inédit au « nouveau citoyen mondial » - il a stigmatisé « le rentier qui l’emporte sur le travailleur », la « flambée des inégalités » et les « profits excessifs qui ne sont plus supportés ». Dénonçant le dumping social et environnemental dû à la prédominance des règles du libre-échange sur les droits sociaux, il a reconnu la duplicité des gouvernements, le sien inclus, Nicolas Sarkozy a rapidement prouvé combien il s’agissait de mots creux. Il s’est contenté de demander qu’on applique les décisions ultra techniques déjà prises par le G20 (2)

A l’époque, Lula était l’un des porte-voix d’un « autre monde est possible ». « Je vais, dit-il, à Davos avec une mission : montrer que si le monde développé avait fait ce qu’il avait à faire, nous aurions évité la crise. » Les vivats retentissent dans le stade où 7 000 militants étaient venus l’ovationner mardi 24 janvier à Porto Alegre. Le président brésilien prenait part au Forum social mondial (FSM), la rencontre des pourfendeurs de la mondialisation néolibérale, revenue cette année dans la ville où elle a vu le jour il y a dix ans. Comme au début de son mandat, en 2003, il se rendra donc aussi chez l’adversaire : le forum de Davos, où il compte « jeter à la figure des pays riches » la crise, mais aussi l’échec du sommet de Copenhague sur le climat. « L’un des acquis du FSM, c’est de l’avoir anticipée », se félicite un de ses organisateurs, le sociologue brésilien Cândido Grzybowski. (3)

Depuis dix ans, à Porto Alegre puis dans le monde entier, le mouvement altermondialiste dénonce le néolibéralisme et propose des alternatives pour sortir de la crise et du système en place. Il démontre qu’un autre monde est possible. (...) Face à la pensée unique, il a transformé l’imaginaire des possibles. Pourant, au fil des ans, on dit que les altermondialistes, après 10 ans de combat d’idées, se cherchent. Pour Jean-Pierre Langellier : « Les altermondialistes vivent une crise d’identité qui s’est reflétée dans les débats du Forum social mondial (FSM) qui ont pris fin vendredi 29 janvier 2010 à Porto Alegre (Brésil). » « Tous analysent la crise financière mondiale comme une bonne nouvelle qui valide les thèses du Forum, et la décrivent comme le plus grave symptôme « des limites », « de l’usure », voire « de l’échec » du capitalisme. Mais ils sont déçus que la famille altermondialiste n’ait pas su exploiter l’événement à son profit en mobilisant massivement les énergies. (...) » Rares sont ceux qui, comme Bernard Cassen, de l’association Attac, constate : « Nous devons, ajoute-t-il, cesser de considérer les pays du Sud comme un ensemble homogène où les rivaux de nos adversaires seraient forcément nos alliés. » (4)

« De fait, les contradictions ne manquent pas au sein du quatuor, [Bric] à commencer par leurs systèmes politiques. Les Bric ont néanmoins la capacité de susciter des coalitions ponctuelles, entre eux et élargies (de ce fait, les Bric ont d’ores et déjà changé la règle du jeu international en privant les Occidentaux, et singulièrement les Etats-Unis, de leur leadership exclusif sur la marche du monde). Mais cela ne suffit pas à changer le monde. Et plus généralement, la question reste ouverte de savoir quel poids ils auront sur la marche du monde : leur ambition est-elle simplement d’être à la table du festin sans en changer la règle du jeu, ou sont-ils porteurs d’autres valeurs ? Ceux qui espéraient que l’affaiblissement américain cède la place à un « autre monde » risquent fort d’être déçus. » (5)

Nous le voyons, en effet, ces nouveaux pays industrialisés (NPI), devenus « Bric » donnent l’impression de vouloir larguer les amarres avec leur idéologie originelle surtout depuis leur « promotion » au G20. Le vertige de puissance fait qu’ils sont amenés certaines fois à faire le grand écart en donnant l’impression d’être toujours altermondialistes tout en émargeant au râtelier capitaliste. Un exemple ? En janvier dernier, Lula tiraillé entre Porto Alègre et Davos, céda, il ne vint pas. C’est dire si la cause des pauvres est orpheline. (6)

Souvenons-nous de l’utopie des forums sociaux mondiaux, dont le manifeste de Porto Alegre. Ces manifestes prônaient un « imaginaire de la rupture », en se rassemblant autour du slogan « Un autre monde est possible ». Les manifestations de Seattle en 1999 ont été les premières manifestations médiatisées altermondialistes. (7) Plus que jamais, les pays du Sud, surtout les plus faibles, sont livrés à eux-mêmes. Ils se doivent d’inventer un autre dialogue et de ne pas regarder uniquement vers le Nord. Les pays du Sud qui auraient pu constituer des « locomotives » comme l’Inde, la Chine, voire le Brésil, ne coopèrent pas avec les pays du Sud les plus pauvres, tout occupés à sauter dans un nouveau moule, « Les pays émergents » et avoir une légitimité décidée par les pays riches du G7, en leur créant un espace approprié : le G20. C’est dire qu’en définitive, l’altermondialisme aura du mal à s’imposer. (8)

Le style fait l’homme

Pour en revenir au Brésil, grand comme 3,5 fois l’Algérie, il est devenu la huitième économie du monde grâce à sa stabilité politique et économique. Le pays occupe la moitié de l’Amérique du Sud et abrite la majeure partie de la forêt amazonienne. Il compte 193 millions d’habitants. Le Brésil est l’une des principales économies émergentes, et table sur une croissance de plus de 7% en 2010. Il est premier producteur mondial de café, de sucre, de jus d’orange, de viande bovine, grand producteur et exportateur de soja, volailles, éthanol à base de canne à sucre, tabac, cacao, cuir, fer. Autosuffisant en pétrole depuis 2006, le pays a des réserves de 14 milliards de barils de brut qui pourraient tripler avec les gisements découverts dans l’océan Atlantique. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant était de 8 235 dollars en 2009 Le taux de chômage était de 6,9% en juillet 2010.

On ne tarit pas d’éloge sur le bilan de Lula. Clovis Rossi éditorialiste au quotidien Folha de Saõ Paulo, nuance cela en écrivant : « Le Brésil, depuis l’investiture de Lula en 2003, a connu une incontestable réussite. 19 millions de Brésiliens ont pu accéder à la classe moyenne depuis lors. 22% des Brésiliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 35% il y a huit ans). La croissance du pays reste soutenue (8,8% pour 2010, selon Reuters), les aides aux plus démunis ont augmenté (le programme Bolsa Familia concerne 12 millions de foyers). On observe également une hausse du salaire minimum, passé en 2009 à 510 réaux (210 euros), soit une augmentation de 9,68%. Le chômage touche moins de 7% de la population active et l’inflation ne dépasse pas les 4,5% par an. Le Brésil demeure toutefois en tête des pays émergents pour l’écart entre riches et pauvres. S’il est un mythe qui a la vie dure à propos du Brésil de Lula, c’est bien celui de la diminution des inégalités. (...) Pendant ce temps, le programme Bolsa Familia [sorte de RSA local], dont le gouvernement Lula a considérablement étendu la portée, constitue le pivot de l’immense popularité du président brésilien. La Bolsa Familia bénéficie aujourd’hui à 12,6 millions de familles, pour un coût annuel de 13,1 milliards de reais [5,8 milliards d’euros]. Mais, parallèlement, les intérêts versés aux détenteurs de titres de la dette publique se sont élevés en 2009 à la somme astronomique de 380 milliards de reals, l’équivalent de 36% du budget brésilien. (...) ». (9)

Qui est Dilma Rousseff ? Ancienne secrétaire d’Etat dans le Rio Grande do Sul (capitale : Porto Alegre), Dilma a rejoint il y a sept ans Brasilia, où Lula l’a nommée ministre de l’Energie, avant de la propulser, en 2005, chef de la Maison civile. Souvent considérée comme une technocrate, cette fille d’un immigré communiste bulgare a pourtant la politique dans le sang. Elle s’y consacre depuis l’adolescence. Dilma a milité contre la dictature brésilienne (1964-1965). Et payé au prix fort, celui de la torture et de la prison, cet engagement. Depuis 2005, elle pilote et coordonne les investissements liés à l’ambitieux Programme d’accélération de la croissance (PAC). La principale faiblesse de Dilma réside dans son tempérament. De ce point de vue, elle est l’anti-Lula.

Charismatique, charmeur, roublard et doté d’un art du contact humain exceptionnel, le président sortant est depuis 30 ans un animal public habitué à séduire ses auditoires et à négocier personnellement avec tous les secteurs de la société. « Avec plus de 80% d’opinions favorables, écrit Jean-Paul Langellier, Lula conserve un immense capital de sympathie, inentamé par l’usure du pouvoir, d’ordinaire fatale. Chez Lula, le style fait l’homme. Il a le sourire et l’embrassade faciles. Son autorité naturelle, son charisme, ses dons de tribun suscitent sympathie et respect. Lula a mis sa cordialité, cette qualité éminemment brésilienne, au service d’une entreprise d’estime de soi collective. A l’aise en tout lieu, il est resté lui-même, et d’abord un homme du peuple, dont il a capté et gardé la confiance. (...) Du socialisme au paternalisme Lula a eu plusieurs vies, et su se réinventer au bon moment. Comme en juillet 2002, lorsqu’en pleine campagne présidentielle, il publie sa « Lettre au peuple brésilien », qui vise à rassurer l’électorat, les milieux d’affaires et les investisseurs étrangers. Oublié le Lula de naguère qui, casquette de prolétaire et micro en main, criait : « Le FMI [Fonds monétaire international] dehors ! » (...) Il respecte avec soin l’héritage réformiste et stabilisateur de son prédécesseur et ancien adversaire, le social-démocrate Fernando Henrique Cardoso (FHC). Comme lui, il veut faire « émerger » le Brésil du tiers-monde, par la modernité, la croissance et l’emploi, et lui donner un rôle global. (...) Sa grande oeuvre sociale, la bolsa familia (« bourse famille »), a systématisé et amplifié des programmes lancés par FHC. Ce versement d’une aide mensuelle aux foyers « pauvres » à condition que les enfants soient scolarisés, améliore la vie quotidienne de millions de Brésiliens. Enfin, en refusant l’idée d’une réforme constitutionnelle qui lui eût permis d’envisager, et sans doute de remporter très facilement, un troisième mandat, le président Lula enracine un peu plus la démocratie brésilienne. Ce n’est pas son moindre mérite. » (10)

A ce titre, il rentrera dans l’histoire comme Mandela, comme un vrai démocrate qui n’est pas rivé au pouvoir, qui accepte l’alternance. Il mérite tout notre respect et de notre point de vue, c’est un exemple que devraient méditer les potentats arabes qui cumulent près de cinq cents ans de règne. Il n’aura pas le prix Nobel de la paix, contrairement à Lech Walesa ouvrier métallurgiste comme lui et comme lui devenu président car l’Occident qui distribue les Nobels ne veut pas lui reconnaitre un rôle dans la résolution du dossier iranien.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique

1. Jacques Marseille, Le Point, jeudi 21 janvier 2010.

2. Attac France : Sarkozy à Davos : l’insoutenable légèreté des mots 28/01/2010

3. Chantal Rayes : A Porto Alegre, Lula est accueilli en alter héraut. Libération 28/01/2010

4. Jean-Pierre Langellier : Dix ans après sa naissance, le mouvement altermondialiste s’interroge sur son avenir politique LeMonde.fr 29.01.10

5. Pierre Haski : Les Bric peuvent-ils changer la face du monde, Rue 89, 16 avril 2010.

6. C.E.Chitourhttp://www.legrandsoir.info/L-Avenement-des-pays-du-BRIC-peut-il-changer- le-monde.html

7. C.E.Chitour : Porto Alegre : Le Davos des Pauvres. L’Expression-Février 2005

8. C.E.Chitour : Le crépuscule du capitalisme occidental http://contreinfo.info/article. php3 ?id_article=1647

9. Clovis Rossi : Des riches plus riches,...Mondialisation.ca, 30.09.2010

10. Jean-Pierre Langellier : Lula, consécration d’un homme du peuple. Le Monde 03.10.10

URL de cet article 11672
   
« Les déchirures » de Maxime Vivas
Maxime VIVAS
Sous ce titre, Maxime Vivas nous propose un texte ramassé (72 pages) augmenté par une préface de Paul Ariès et une postface de Viktor Dedaj (site Le Grand Soir).. Pour nous parler des affaires publiques, de répression et d’impunité, de management, de violences et de suicides, l’auteur (éclectique) convoque Jean-Michel Aphatie, Patrick Balkany, Jean-Michel Baylet, Maïté Biraben, les Bonnets rouges, Xavier Broseta (DRH d’air France), Warren Buffet, Jérôme Cahuzac, Charlie Hebdo, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"L’un des grands arguments de la guerre israélienne de l’information consiste à demander pourquoi le monde entier s’émeut davantage du sort des Palestiniens que de celui des Tchétchènes ou des Algériens - insinuant par-là que la raison en serait un fonds incurable d’antisémitisme. Au-delà de ce qu’il y a d’odieux dans cette manière de nous ordonner de regarder ailleurs, on peut assez facilement répondre à cette question. On s’en émeut davantage (et ce n’est qu’un supplément d’indignation très relatif, d’ailleurs) parce que, avant que les Etats-Unis n’envahissent l’Irak, c’était le dernier conflit colonial de la planète - même si ce colonisateur-là a pour caractéristique particulière d’avoir sa métropole à un jet de pierre des territoires occupés -, et qu’il y a quelque chose d’insupportable dans le fait de voir des êtres humains subir encore l’arrogance coloniale. Parce que la Palestine est le front principal de cette guerre que l’Occident désoeuvré a choisi de déclarer au monde musulman pour ne pas s’ennuyer quand les Rouges n’ont plus voulu jouer. Parce que l’impunité dont jouit depuis des décennies l’occupant israélien, l’instrumentalisation du génocide pour oblitérer inexorablement les spoliations et les injustices subies par les Palestiniens, l’impression persistante qu’ils en sont victimes en tant qu’Arabes, nourrit un sentiment minant d’injustice."

Mona Chollet

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.