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Le coton africain, rongé sur tous les fronts

Mardi 11 Novembre 2003

Au Mali, la privatisation de la filière du coton met en danger toute l’économie.

Par GILLES LABARTHE, de retour du Mali

Bamako, quartier sud. Assis devant un poste de télévision installé à même le trottoir, Oumar se gratte la tête : après la visite du président Jacques Chirac au Mali, les actualités nationales viennent d’annoncer une augmentation substantielle de la coopération française. « Je ne comprends pas ! Notre pays produit plein de richesses, mais nous sommes toujours dépendants de l’aide étrangère. Cette année, la récolte de coton est pourtant exceptionnelle », s’interroge le jeune banquier peul. Première source de devises aux côtés de l’or, le coton représente une fierté nationale. Et la récolte 2003 affiche d’ores et déjà une belle performance : plus de 600000 tonnes de coton graine, contre 430000 en 2002. Un record ! Les chiffres ont de quoi réjouir. Beaucoup soulignent alors ce paradoxe : le Mali a décroché la place de « premier producteur d’or blanc » de toute l’Afrique subsaharienne, devant le Bénin, le Tchad ou le Burkina Faso, mais son avenir semble toujours plus compromis.

DÉSARROI ET IMPUISSANCE

Pour expliquer ce manque à gagner, on évoque bien sûr les subventions à coups de milliards de dollars que les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, accordent à leur propre production, cassant le prix du coton sur le marché mondial (lire ci-dessous). Depuis vingt ans, le prix du coton n’a cessé de dégringoler. Le cours était fixé à presque 3dollars le kilo en 1980. Il est tombé à moins de 2dollars en 1990, puis à 80cents en 2001, alors que le gouvernement de Bamako, répondant aux impulsions de la Banque mondiale, misait tout le développement national du Mali dans ce même secteur. « Cette année, le kilo de coton sera acheté aux paysans maliens à 200francs CFA (environ 50centimes suisses, ndlr). Ce qui est mieux que l’an dernier, et mieux aussi que le prix payé chez les voisins du Burkina Faso où le kilo s’achète à 185francs CFA », relativise le journal ivoirien Le Patriote.

Comment sortir de l’ornière ? Diversifier les cultures, vendre les infrastructures du Mali, opter pour le coton transgénique ? Les spécialistes internationaux avancent chacun leur solution, tandis que le désarroi et l’impuissance gagnent les producteurs maliens : ils comptent toujours sur le redressement économique de leur pays, depuis la mise en place d’un régime démocratique en 1992 et une ouverture à l’économie de marché sans précédent. Les dirigeants du pays ont bien décidé une vague de privatisations des entreprises publiques, pour les rendre « plus compétitives » et respecter les conditions d’ajustement structurel dictées par les bailleurs de fonds internationaux. Mais les beaux jours se font attendre, tandis que se succèdent les cortèges de licenciements.

PRIVATISATION EN COURS

Exploitation des mines, énergie, transports, chemin de fer, télécommunications, tabac... autant de secteurs tombés dans les mains d’opérateurs étrangers, ou en voie de l’être. La privatisation de la filière coton, dans l’air depuis quelque temps, provoque bien des angoisses : elle pourrait mener à l’effilochage complet d’un organe vital pour toute l’économie malienne. « Si la CMDT fait l’objet d’une privatisation sauvage, c’est la mort de la filière cotonnière », avertit depuis cet été Abdoulaye Abba Sylla, un des responsables syndicaux.

Pendant trente ans, la Compagnie malienne du développement des textiles (CMDT) exerçait en effet un quasi-monopole sur la production. Détenue à 60% par l’Etat malien et à 40% par le groupe français Dagris, elle assurait seule l’ensemble des opérations, de la production à la commercialisation, en passant par le transport et l’égrenage. Elle permettait de reverser une part considérable des bénéfices au gouvernement, assurant environ 15% du PIB et la bonne marche de l’économie nationale.
Une chaîne de travail complète, qui impliquait fortement les petits cultivateurs, reconnaît-on aujourd’hui. Au Conseil des ministres à Bamako, on craint actuellement la désintégration pure et simple d’une filière ayant fait ses preuves. Un fleuron national, qui faisait vivre directement 3,5millions d’individus, soit 32% de la population totale du pays.

DÉSINTÉGRATION D’UNE FILIàˆRE

Malgré sa lourdeur administrative et ses défauts certains, la CMDT est aussi l’histoire d’une réussite d’intégration sociale : « Ce succès a été possible grâce à la filière intégrée qui permettait à la compagnie d’assurer l’ensemble des fonctions de production, de transport, d’égrenage et de commercialisation du coton, mais aussi des missions de service public telles que l’ouverture des pistes rurales, l’alphabétisation, l’hydraulique villageoise. Ce modèle intégré est désormais remis en cause », se lamente un responsable à Bamako, soulignant que les services de développement rural de la CMDT ont déjà été supprimés.
Aux dernières nouvelles, la mission de restructuration du secteur coton (MRSC) prépare un nouveau dossier pour la privatisation de la CMDT. Ce plan de privatisation réclame un désengagement de l’Etat (qui ne détiendra plus que 20% de la nouvelle compagnie) et le morcellement du géant du textile malien en trois ou quatre sociétés autonomes, soumises à appel d’offres.

La perspective donne des sueurs froides aux professionnels africains du coton : la dernière proposition de mise en vente des usines nationales d’égrenage de Bamako, Kita et Ouélessebougou s’est soldée par un fiasco total. Le gouvernement misait en septembre 2002 sur une rentrée de 15milliards de francs CFA (environ 40millions de francs suisses). Mais les principaux acheteurs étrangers (le groupe suisse Paul Reinhart, associé avec IPS, la société française Louis Dreyfuss Cotton International et le géant américain du coton Dunavant SA) se sont entendus pour se désister les uns après les autres, faisant tomber la valeur à 6milliards. Un bradage du patrimoine malien effectué dans les règles de l’art.

Chronique d’un sabotage organisé

« C’est un sabotage de la filière cotonnière malienne, et le privé s’en régale ! » Damien Millet, secrétaire général de la branche française du Comité pour l’abolition de la dette du tiers-monde (CADTM-France), livre une analyse sans concession du marasme dans lequel se retrouve plongée l’économie malienne avec les privatisations en cours. Celles qui frappent aujourd’hui l’industrie nationale du coton en Afrique de l’Ouest sont particulièrement dangereuses pour l’avenir du Mali. « Le rôle de la filière cotonnière malienne a toujours largement dépassé la production de coton, analyse Damien Millet. Elle apportait un soutien important aux organisations de villageois, que ce soit dans l’achat de matériel agricole ou dans la construction d’écoles et de centres de santé. »

La Compagnie malienne du développement des textiles (CMDT), une compagnie calquée sur le modèle de l’Etat providence ? Peut-être. Fleuron de l’industrie du Mali, la CMDT apportait des résultats positifs : elle a même doublé sa production durant cette dernière décennie. Elle a aussi connu des travers, et même des scandales financiers ou des détournements de fonds orchestrés par certains de ses responsables. Conjuguée à la baisse des cours du coton, la situation a provoqué la colère des paysans, toujours plus pauvres malgré une nette amélioration des récoltes. Leurs revendications ont provoqué des grèves en 1999 et 2000, débouchant sur l’instauration des Etats généraux de la filière cotonnière en 2001.

La société d’audit Ernst&Young est alors entrée en scène pour livrer son rapport : gestion calamiteuse au sein de la CMDT. Une structure trop lourde qu’il faut privatiser, préconise aussitôt la Banque mondiale. Dans un premier temps, les services de transports de la compagnie sont assurés par des privés, de même que la gestion des intrants agricoles (engrais et pesticides). Les mesures de restructuration de la CMDT entreprises dès lors auraient fait perdre jusqu’à 40% des revenus des producteurs de coton la même année. De même, la récolte 2003 a failli être sérieusement compromise à la suite de problèmes de transport et d’approvisionnement.

Forcer le gouvernement de Bamako à démanteler sa filière coton et à privatiser pour des « questions d’économies » : la pression qu’exercent les institutions financières internationales est vraiment odieuse, quand on sait que le FMI oblige dans le même temps le pays africain, l’un des plus pauvres du monde, à sacrifier environ 15% de ses recettes d’exportation pour rembourser le service de la dette. Le Comité pour l’abolition de la dette du tiers-monde rappelle que cette ardoise malienne a été plombée pendant trente ans par des investissements démesurés, consentis par la Banque mondiale dès le début des années septante sous la dictature militaire de Moussa Traoré.

Autre source d’incompréhension signalée par Damien Millet, celle des objectifs réels de la nouvelle équipe administrative « ultralibérale » de la CMDT. A eux seuls, les sept administrateurs qui la composent dépensent 1million de francs pour leur salaire annuel. Parmi eux figure un certain Jean-François Martin, « directeur général adjoint et précédemment chargé de la privatisation de la Compagnie ivoirienne des textiles, qui se révèle être un échec ». A suivre...

Source : Le Courrier

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