Dans le numéro d’août 2010 du Monde Diplomatique, Serge Halimi décrit l’ambiance Bas-Empire de la Sarkozie : « Une rafale de révélations suscite la stupéfaction en France. Des dirigeants politiques côtoieraient en permanence - et en bonne amitié - hommes et femmes d’affaires. Les seconds financeraient les partis des premiers. Ils obtiendraient en échange une réduction appréciable du taux de leurs impôts. Plus renversant encore, la baisse de la fiscalité sur les hauts revenus (près de 100 milliards d’euros en dix ans) aurait surtout avantagé... les hauts revenus, protégés depuis 2006 par un « bouclier » conçu à cette intention. Enfin, soucieux d’éprouver par eux-mêmes les rigueurs de la nouvelle loi commune, les gouvernants (et leurs familles) seraient plus nombreux à se reconvertir dans les affaires que dans le syndicalisme.
Ainsi, l’« affaire Bettencourt » a rendu visible ce qui l’était déjà . En avril dernier, les journalistes d’investigation dormaient-ils donc, et les professeurs de vertu avec eux, quand Mme Florence Woerth décrocha un poste d’administratrice chez Hermès, elle qui se consacrait déjà - sans que cela provoque le moindre émoi - aux finances de Mme Liliane Bettencourt, troisième fortune de France ? L’impact du « scandale » actuel tient peut-être à des détails qui tuent : un jeune et ambitieux secrétaire d’Etat à l’emploi qui profite d’un voyage officiel à Londres pour supplier des gestionnaires de fonds spéculatifs de la City de financer son groupuscule, baptisé Nouvel Oxygène ; un taux d’imposition des revenus se situant entre 1 % et 6 % par an dans le cas de Mme Bettencourt (le bouclier fonctionne...) ; une journaliste vedette qui décroche un entretien sur TF1 avec la propriétaire de L’Oréal en précisant : « Je la connaissais pour avoir dîné avec elle et son mari chez des amis communs. Il nous arrivait aussi de nous croiser à l’occasion d’expositions. » Le brouhaha du dernier mois n’aura en revanche servi à rien si l’espoir de purifier une atmosphère de Bas-Empire conduit à porter à l’Elysée un frère siamois de M. Nicolas Sarkozy. Comme, par exemple, le directeur général du Fonds monétaire international. Les grandes fortunes célébreraient la victoire d’un socialiste d’affaires dans un autre Fouquet’s. Et tout recommencerait. »
Gatien Élie (et al.) s’intéressent à à l’exode urbain et à l’exil rural en France : « Le fantasme champêtre néglige le fait que la vie en ville devient un luxe. Certains ménages modestes n’ont pas d’autre choix que de s’exiler en milieu rural, où la rareté des emplois et des services publics aggrave la précarité à laquelle ils croyaient échapper. »
Hicham Ben Abdallah El Alaoui analyse la position des intellectuels arabes entre États et intégrisme » : « Autorisés à élargir leur emprise dans la société, les fondamentalistes cessent de privilégier la conquête du pouvoir politique ; protégés par l’État de la férule des intégristes, les intellectuels laïques taisent les travers autoritaires du pouvoir et réservent leur militantisme à des causes consensuelles ; ménagés par les intellectuels et tolérés par les religieux, l’État autoritaire perdure. »
Selon Serge Latouche, le capitalisme libéral est la « bonne » économie pour le pape Benoît XVI : « Pourtant saint patron des banquiers et des comptables, l’apôtre Matthieu fustigeait l’argent : « Aucun homme ne peut servir deux maîtres. Car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24). Deux mille ans plus tard, assis sur le trône de Pierre, Benoît XVI célèbre le ralliement de l’Eglise catholique à l’économie de marché...
Désormais, l’usage de la « politique de l’oxymore » par les gouvernements occidentaux est systématique. L’oxymore, figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux notions contraires, permet aux poètes de faire sentir l’indicible et d’exprimer l’inexprimable ; dans la bouche des technocrates, il sert surtout à faire prendre des vessies pour des lanternes. La bureaucratie vaticane n’échappe pas à la règle ; on peut même dire qu’elle l’a inaugurée. L’Église a en effet une très longue pratique des antinomies, depuis les hérétiques brûlés vifs par amour, les croisades et autres « guerres saintes ». Benoît XVI, avec l’encyclique Caritas in veritate (« L’amour dans la vérité »), signée le 29 juin 2009, nous en donne un nouvel exemple à propos de l’économie. Aux yeux de certains religieux (Alex Zanotelli, Achille Rossi, Luigi Ciotti, Raimon Panikkar, sans oublier les tenants de la sulfureuse théologie de la libération), ou à ceux d’Ivan Illich ou de Jacques Ellul, la société de croissance apparaît condamnable pour sa perversité intrinsèque, et non en raison d’éventuelles déviations. Cependant, la doctrine vaticanesque n’emprunte pas cette voie. Ni le capitalisme, ni le profit, ni la mondialisation, ni l’exploitation de la nature, ni les exportations de capitaux, ni la finance, ni bien sûr la croissance et le développement n’y sont condamnés en eux-mêmes : leurs « débordements » seuls sont coupables. Ce qui frappe, c’est la prédominance de la doxa économique sur la doxa évangélique. L’économie, invention moderne par excellence, est posée comme une essence qu’on ne peut questionner. « La sphère économique n’est pas éthiquement neutre, ni par nature inhumaine et antisociale ». De là , il découle qu’elle peut être bonne, de même que tout ce qu’elle implique. Ainsi, la marchandisation du travail n’est ni dénoncée ni condamnée. On rappelle que Paul VI enseignait que « tout travailleur est un créateur ». Est-ce vrai pour la caissière de supermarché ?
Julien Brygo brosse un portrait épouvantable de Glasgow, avec des quartiers à la prospérité insolente et des zones pauvres qui rappellent le XIXe siècle. « En août 2008, l’OMS a publié une enquête révélant que la différence d’espérance de vie entre un enfant né dans un quartier riche de Glasgow et un autre mis au monde dans un quartier pauvre atteignait 28 ans. Une génération ! » Merci Blair et Brown, merci le nouveau gouvernement dont 18 des 23 membres ont des comptes en banque à 7 zéros. Ils valent à eux seuls 59 millions d’euros.
Ibrahim Warde observe que les présidents américains passent, mais Goldman Sachs demeure. « Le 15 juillet, le Sénat américain a adopté ce qu’il est convenu d’appeler « la plus vaste réforme du secteur financier jamais opérée depuis la Grande Dépression ». La loi, plus modeste que le projet initial, représente un succès politique pour M. Barack Obama. Face à un lobby bancaire affaibli par la crise, ce dernier a su profiter des révélations sur les us et coutumes de Goldman Sachs. Le jour même où la loi bancaire dite « Dodd-Frank » était adoptée par le Sénat, survenait un autre fait qui s’en est presque trouvé éclipsé : l’accord entre l’agence fédérale censée gendarmer la Bourse, la Securities and Exchange Commission (SEC), et Goldman Sachs. Contre une amende de 550 millions de dollars, la banque d’investissement s’est dégagée d’une plainte pour fraude relative à un produit financier, « Abacus », qui lui avait permis de se prémunir contre la baisse des obligations liées à l’immobilier au moment où elle incitait ses clients à investir sur ce marché... La SEC, longtemps critiquée pour sa passivité, pouvait se targuer d’un coup d’éclat. Et Goldman Sachs a démontré l’étendue de son savoir-faire politique : elle a reconnu des « erreurs » dans la commercialisation du produit - sans que celles-ci remettent en cause l’équipe dirigeante. En somme, la banque d’affaires peut tourner la page. Apparemment importante, l’amende ne constitue que l’équivalent de deux semaines de ses profits. Ou encore 3 % de l’enveloppe des primes qu’elle a distribuées en 2009. Cette aptitude à jouer avec le pouvoir - ou à se jouer de lui - ne saurait étonner. Depuis le début des années 1990, une carrière politique de premier plan vient logiquement couronner le parcours de tout patron de Goldman Sachs. La consanguinité avec le monde politique explique l’implication de la banque dans les grandes manoeuvres financières : celle-ci a joué un rôle aussi central qu’ambigu dans l’affaire des subprimes et du sauvetage des banques ; elle a aidé la Grèce à maquiller ses comptes, précipitant la crise de l’euro ; elle aurait aussi, en spéculant sur les matières premières, provoqué une hausse artificielle des prix du pétrole. D’autre part, elle a su dégager, bon an mal an, des profits considérables, y compris après l’éclatement des bulles qu’elle a largement contribué à gonfler. »
Philippe Leymarie décortique la mission séduction de l’armée française : « Alors que la présence française en Afghanistan n’atteint aucun de ses objectifs, l’armée tente de persuader l’opinion du bien-fondé de sa coûteuse mission, tout en essayant d’attirer de nouvelles recrues. Mais l’armée ne parvient pas toujours à contrôler l’information. »
La Moldavie (Zoé Lamazou) est le pays le plus pauvre d’Europe. L’émigration est massive, avec ou sans papiers, en particulier vers l’àŽle-de-France.
On en parle assez peu (Maurice Lemoine), mais Caracas est l’une des villes les plus violentes au monde. Ce qui permet, évidemment, de renforcer les critiques vis-à -vis d’Hugo Chavez qui a longtemps négligé ce sérieux problème.
La Mer Noire (Jean-Arnault Dérens (et al.) est ravagée par la pollution. Par ailleurs, on oublie un peu trop qu’elle se trouve au coeur « de la redéfinition d’enjeux stratégiques majeurs, où se testent les nouveaux rapports de force entre l’Union européenne, la Russie, la Turquie, le Caucase et les pays d’Asie centrale et du Proche-Orient. »
Selon Cédric Gouverneur, les Tamouls du Sri Lanka sont en plein désarroi. « le gouvernement sri-lankais a bloqué en juin 2010 l’arrivée d’une délégation d’experts de l’ONU chargés d’enquêter sur les violations des droits humains commises durant l’année précédente, quand l’armée écrasa les Tigres de libération. Alors que le président a consolidé son pouvoir et se refuse à toute ouverture en direction des Tamouls, ceux-ci font souvent leur la défaite des Tigres et craignent d’être colonisés par la majorité cinghalaise bouddhiste. »
Jean-Claude Servant revient sur les inégalités qui se creusent en Afrique, bien que la presses occidentale soit fascinée par le « mirage des classes moyennes » du continent.
Mark Hertsgaard explique comment « le Sahel reverdit ». « Au Niger, près de la moitié de la population est menacée de famine ; au Tchad, la cote d’alerte est dépassée. Flambée des prix, sécheresse, baisse de l’aide internationale expliquent pour partie le désastre actuel. Pourtant, des techniques agricoles nouvelles ont transformé certains espaces semi-désertiques en terres plus productives. Des expériences limitées, mais suivies avec attention. Au Burkina Faso, en Afrique occidentale. Le soleil se couche au terme d’une nouvelle journée de chaleur écrasante. Mais ici, dans l’exploitation de M. Yacouba Sawadogo, l’air est nettement plus frais. Une hachette sur l’épaule, ce cultivateur à la barbe grise arpente ses bois et ses champs avec l’aisance d’un homme beaucoup plus jeune. M. Sawadogo, qui ne sait ni lire ni écrire, n’en est pas moins un pionnier en matière d’agroforesterie, une approche fondée sur l’intégration des arbres dans le système de production agricole. Cette technique, qui a transformé le Sahel occidental ces dernières années, constitue l’un des exemples les plus prometteurs de la manière dont des populations pauvres peuvent faire face au changement climatique.Vêtu d’une robe en coton brun et coiffé d’une calotte blanche, M. Sawadogo s’assied près des acacias et des zizyphus qui ombragent un enclos renfermant une vingtaine de pintades. L’essentiel de son exploitation de vingt hectares, importante au regard des critères locaux, appartient depuis des générations à sa famille. Celle-ci l’a abandonnée après la terrible sécheresse de 1972-1984 : une baisse de 20 % de la moyenne des précipitations annuelles avait alors anéanti la production de nourriture dans le Sahel, transformé de vastes étendues de savane en désert et causé des centaines de milliers de morts par famine. « Les gens se sont retrouvés dans une situation si catastrophique qu’il leur a fallu changer leur mode de pensée », raconte M. Sawodogo. Lui-même a remis au goût du jour une technique utilisée depuis des siècles par les paysans locaux, le zaï, qui consiste à creuser des « poquets », autrement dit des trous peu profonds concentrant les rares pluies vers les racines des cultures. Afin de capter une plus grande quantité d’eaux de ruissellement, il a augmenté la dimension des siens. Mais sa plus grande innovation fut d’y ajouter du fumier durant la saison sèche, une technique que ses pairs considéraient comme du gaspillage. »
Fabriquer de la matière vivante, c’est possible (Dorothée Benoît Browaeys) : « Un demi-siècle après la découverte de l’ADN, des chercheurs en biologie s’estiment mûrs pour franchir le cap de la création d’organismes vivants artificiels. Certains d’entre eux ont décidé d’appliquer à la génétique les méthodes des ingénieurs en informatique de la Sillicon Valley. Portés par des marchés fortement spéculatifs de la bioénergie et des droits à polluer, ils perfectionnent leur technologie, en espérant toucher de l’or. »
François Denord remarque qu’il fut un temps « où presque chaque mois paraissait un livre consacré à la classe ouvrière. Le patronat lui a désormais ravi cette place de choix au panthéon des sciences sociales. Corollaire d’un retournement politique bien réel, ce basculement laisse cependant subsister davantage de travaux analytiques qu’on ne pourrait le craindre. »
Un article très intéressant (comme toujours) de Mona Chollet sur le feuilleton Gossip Girl, la série des élites étatsuniennes décomplexées, reprise - naturellement - par TF1. Nous sommes dans un monde ultra-réac, qui méprise les pauvres, où il fait bon être riche.
Enfin, Pierre Rimbert fait l’éloge du rire sardonique, le rire des opprimés qui veulent résister. Il nous renvoie au livre de Mikhaïl Bakhtine sur Rabelais, un pur chef-d’oeuvre qu’il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie (ainsi que son Esthétique et théorie du roman).