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La longue nuit de San Juan Copala

Le Gaza du Mexique (counterpunch)

Les bénévoles se mirent en route, pleins d’énergie, pour aller porter des tonnes d’aide humanitaire à une communauté assiégée qui manquait depuis des mois de tous les produits de première nécessité. Mais presque arrivé à destination, le convoi fut attaqué par des paramilitaires lourdement armés et dans le désordre qui a suivi, un respectable militant des droits de l’homme et un observateur international furent tués et une douzaine de personnes furent blessées, y compris plusieurs reporters qui accompagnaient la caravane.

Ca vous rappelle quelque chose ?

Sauf que cette mission n’était pas destinée à Gaza et que les assassins n’étaient pas des Israéliens. Les bénévoles se rendaient à la Municipalité Autonome de San Juan Copala dans le lointain territoire des Indiens Triqui au nord-est de Oaxaca. Cela fait 9 mois que 700 familles Triqui, soit environ 5000 villageois, n’ont pu recevoir aucune nourriture, ni électricité, soins médicaux ou services éducatifs. Les lignes téléphoniques ont été coupées et les paramilitaires contrôlent la route de Copala.

Tout comme les Israéliens avaient averti les organisateurs de la Flottille de la Liberté de ne pas mettre le cap sur Gaza, le gouverneur de Oaxaca a dit aux militants que s’ils ne faisaient pas demi-tour ils en paieraient les conséquences. Comme leurs homologues internationaux ils ont refusé d’obtempérer.

Quand les militants ont quitté la grand route à La Sabana, un hameau situé à quelques kilomètres de leur destination, le 27 avril dernier, des tireurs dirigés par un cacique local (chef de village) Rufino Juarez, le "directeur" d’un groupe de paramilitaires surnommé le UBISORT ("Unis pour les bien être social de la région Triqui") et affilié au gouverneur actuel Ulises Ruiz, ont mis la caravane en joue. De nombreux bénévoles ont abandonné les véhicules, se sont enfuis et se sont cachés derrière des rochers à proximité. Mais Bety Carino, une militante indienne autochtone qui luttait pour la sauvegarde du maïs ancestral et qui était une des organisatrices du convoi, est tombée sous les balles. Jiry Jaakkola, un militant solidaire finnois s’est jeté immédiatement sur le corps ensanglanté de Bety pour la protéger en prenant sa tête dans ses mains, et lui aussi a été fauché par les tirs des paramilitaires.

Jaakkola qui avait 33 ans est le second militant international à être assassiné par le régime meurtrier du gouverneur Ruiz. Le 27 octobre 2006, un journaliste indépendant militant pour la justice sociale Brad Will fut tué par balles par la police de Ruiz sur une barricade à la sortie de la capitale de l’état. Au moins 25 Mexicains ont été tués par les agents de sécurité de Oaxaca pendant le soulèvement de 7 mois qui a éclaté quand la police a attaqué des enseignants grévistes.

Inspiré par l’enseignement de Ricardo Floré Magon, un idéologue de la révolution mexicaine anarchiste né à Oaxaca, Jiri Jaakkola est allé au Mexique en 2009 en tant que représentant d’un Mouvement de Solidarité finnois pour rendre compte des violations aux droits humains perpétrées dans le conflictuel état du sud. Lui-même anarchiste, Jyri était très influencé par les écrits de Murray Bookchin, l’écologiste décédé du Vermont, et l’éducateur radical brésilien Paulo Freire, dont il a appliqué l’enseignement à la lettre quand il a voulu protéger Bety Carino :"La solidarité c’est se mettre à la place de ceux dont on est solidaire".

Cela fait littéralement des siècles que des militants internationaux se rendent au Mexique pour prendre part aux mouvements sociaux. L’Espagnol Javier Mina combattit la Couronne pour l’indépendance du Mexique en 1821. Les "San Patricios", bénévoles américano-irlandais prirent les armes contre l’invasion américaine en 1846 et furent pendus pour leur peine. Les écrivains John Reeds et John Kenneth Turner furent des voix significatives de l’historique Révolution Mexicaine.

Les gouvernements qui suivirent la révolution devinrent souvent chatouilleux sur le chapitre des critiques formulées par des non-Mexicains. L’article 33 de la Constitution Mexicaine de 1917 donne le droit aux Présidents d’expulser tout "extranjero" (étranger) qu’ils jugeraient "gênant". La photographe américaine d’origine italienne,Tina Modotti fut expulsée du Mexique en 1930 à cause de son affiliation au parti communiste.

Dans une crise de rage xénophobe, pendant les moments les plus brûlants de la révolte des Zapatistas du Chiapas, le Président Ernesto Zedillo a ordonné l’expulsion de plus de 400 militants des droits humains non-mexicains, la plupart américains du nord, italiens et espagnols et pour quelques uns norvégiens. Une classe entière d’étudiants du Evergreen College de l’état de Washington fut expulsée après avoir accompagné les fermiers persécutés de San salvador Atenco pendant la marche de la Journée Internationale du Travail du premier mai.

Tout comme les militants internationaux Rachel Corrie et Tom Hundall ont été assassinés par l’armée israélienne à Gaza, Jyri Jaakkola et Brad Will ont laissé leur vie dans la terre gorgée de sang de Oaxaca. Comme le gouvernement israélien, Ulises Ruiz se lave les mains de toute responsabilité. "Qui sait ce que ces visiteurs aux yeux bleus voulaient ? est-ce qu’il sont venus en touristes ou pour nous causer des ennuis ?" a-t-il demandé aux reporters après le meurtre de Jaakkola par ses sbires. Le procureur de l’état Luz Candalaria Chinas a tout autant de doutes sur les motivations des bénévoles internationaux, et quand elle les décrit comme des "fauteurs de trouble déguisés en militants humanitaires" on croirait entendre Israël.

San Juan Copala, où se rendait le convoi, est dévasté par des actes sporadiques de violence meurtrière depuis des décennies. L’écheveau de meurtres remonte à 1976 quand le populaire leader communautaire, Luis Flores, a été assassiné par des inconnus. En mars 1984, Amnistie Internationale a envoyé une équipe dans la région Triqui pour enquêter sur 37 meurtres de militants indiens. La plupart des victimes étaient membres du MULT, le mouvement unifié pour la lutte des Triqui, créé en 1981 pour empêcher la destruction de 13 000 ha de terres boisées par des caciques métisses de la ville voisine de Putla de Guerrero.

L’année suivante, l’équipe de AI a publié le rapport de sa première enquête sur la violence généralisée dans le sud du Mexique, intitulé : "violations des droits humains dans le Mexique rural des états de Oaxaca et Chiapas". Le rapport faisait état de " témoignages permettant d’accréditer" des abus policiers, des assassinats extra judiciaires, l’usage de la torture, des aveux extorqués, et le refus des autorités d’enquêter lorsque des citoyens déposaient plaintes.

Le rapport de AI fut instantanément rejeté par le gouvernement mexicain appartenant au PRI (Parti institutionel révolutionnaire) alors au pouvoir. Le sous-secrétaire d’état, Victor Flores Olea, (qui est aujourd’hui journaliste à la Jornada) a émis des réserves sur "l’objectivité" d’Amnistie Internationale. 25 ans plus tard, le gouvernement du Président Felipe Calderon et le très décrié gouverneur Ulises Ruiz ont perpétué la tradition en rejetant tous les rapports suivants d’AI sur les violations des droits humains dans l’état sous le même prétexte.

Muni du rapport d’Amnistie, je me suis rendu à San Juan Copala au printemps 1987. Les tensions étaient fortes. Les soldats de la Section 28 qui avaient été associés au massacre perpétré par la MULT patrouillaient dans les rues poussiéreuses. J’ai été reçu par le Conseil des Anciens et j’ai comparé les listes des morts - il y en avait 13 de plus que sur la liste du rapport d’Amnistie. Un peu plus tard, j’ai grimpé sur une colline qui surplombait la ville et j’ai pris des photos. Tout à coup, cinq soldats sont sortis des buissons et ont pointé leurs armes sur ma tête. Puis ils ont pris mon appareil photo (je protestais que j’avais seulement photographié les poulets du voisinage) et m’ont escorté jusqu’à la grand route en me disant de ne plus jamais remettre les pieds à San Juan Copala.

Ajourd’hui, presque 25 ans après le premier rapport d’Amnistie Internationale, le nombre de morts violentes dans la région Triqui s’élève à plus de 400.

Les tensions incessantes qui agitent la majorité indienne de Oaxaca sont exacerbées par les élections qui approchent pour choisir le successeur de Ulises. Selon les sondages, le dauphin du candidat sortant, Eviel Perez, du PRI, parti qui est depuis longtemps au pouvoir dans l’état, est à égalité de chance avec Gabino Cue, le représentant d’une étrange coalition qui comprend le parti du centre gauche et le parti de la révolution démocratique (PRD) et le parti de droite de Felipe Calderon, le PAN. Beaucoup de gens au Mexique pensent que le PAN a volé les élections nationales à Andres manuel Lopez Obrador, le candidat du PRD. Bien que le PRI ait du céder le pouvoir au PAN au niveau national en 2000, il a continué à diriger Oaxaca d’une main de fer.

Les tensions électorales se répercutent à San Juan Copala. Pendant l’élection volée de 2006, des leaders du MULT se sont alliés au PUP, le parti local d’unité populaire, un parti fantoche du PRI qui a pour but de siphonner les voix des Indiens autochtones pour enlever des voix à Lopez Labrador. Peu après le MULT se scinda et le premier janvier 2007, le MULT-independant ou MULT-pacifique a pris le pouvoir à Copala, déclarant que le village Triqui était une municipalité indépendante sur le modèle des "Municipalités Autonomes" des Zapatistes du Chiapas.

Selon le Traité de San Andres concernant les droits et traditions des autochtones qui avait été négocié entre l’Armée Nationale de Libération Zapatiste et le gouvernement mexicain en 1996 et qui n’a jamais été ratifié, les Municipalités Autochtones indiennes devaient obtenir une autonomie totale sur le terre, l’habitat, l’exploitation des ressources naturelles, l’environnement, l’éducation, la santé, et la politique agraire. Les responsables devaient être désignés selon les us et coutumes des Indiens et non par les partis politiques. Les Communautés Autonomes auto-déclarées des états de Chiapas, Guerrero et Mexico (San Salvador Atento) ont, depuis, toujours vécu sous le régime du "mal gobierno" ou " mauvais pouvoir" des armes.

Sous l’effet conjugué de la scission du MULT et du MULTI et de l’augmentation des agressions de l’UBISORT d’Ulises, une violence croissante déchire San Juan Copala. Marcos Albino, le représentant pour les Droits Humains de la municipalité a comptabilisé 25 nouveaux meurtres dans les six derniers mois seulement.

Le 26 mai, Timotéo Alejandro Ramirez et sa femme Tleriberta, les fondateurs historiques du MULT qui quittèrent l’organisation en 2006 pour former le MULT-I furent assassinés chez eux à Yosoyuxi près du chef-lieu Copala. Les raisons du double meurtre ne sont pas claires. Ramirez a été accusé par ses ennemis politiques de la disparition de deux soeurs Triqui, de 14 et 21 ans dont les familles étaient associées au MULT. Deux personnalités de la radio communautaire, Felicia Maritnez et Teresa Bautista furent aussi assassinées en avril 2009 sur la route de Copala. Felicitas et Teresa, des protégées de Bety Carino, animaient une émission populaire sur la station de radio locale MULT-I : "la voix qui brise le silence".

Bien que ces assassinats s’accumulent depuis des années et que AI ait alerté les autorités par de nombreux rapports, le gouvernement fédéral et celui de l’état de Oaxaca refusent d’intervenir pour mettre fin à la violence. "C’est leur problème. c’est la faute de leurs idiotes us et coutumes, s’ils s’entretuent. Il n’y a que les Triqui eux-mêmes qui peuvent résoudre ça," affirme Chinas, le procureur de Oaxaca.

La violence révoltante qui règne dans la région Triqui et les meurtres de bety Carino et de Jyri Jaakkola ont eu un écho national et international. Au début du mois de juin, le Parlement Européen a demandé au président Felipe Calderon d’ouvrir une enquête sur la mort des militants. Un nouveau convoi a été organisé par une délégation de membres du Congrès du PRD. Le gouverneur Ulises Ruiz a immédiatement condamné cette nouvelle tentative d’acheminer de l’aide humanitaire à San Juan Copala, la qualifiant d’ingérence dans les élections gouvernementales à venir.

Le 8 juin, 250 militants, dont beaucoup sont affiliés à l’Autre Campagne des Zapatistes, mais menés par 15 députés fédéraux du PRD ont quitté la ville de Mexico pour faire les 500 km de route pour Copala, avec un convoi de 7 autobus chargés de 30 tonnes de nourriture, vêtements et fournitures médicales. L’armée mexicaine et le gouverneur de Oaxaca ont tous les deux refusé de fournir une protection au convoi, bien que le Procureur Chinas ait promis que l’état enverrait des agents pour contrôler les papiers des observateurs internationaux et prévenir les convoyeurs des dangers éventuels.

Une fois de plus, les militants refusèrent de faire demi-tour et, comme en avril, le convoi ne réussit pas à dépasser La Sabana. La route de Copala était bloquée par d’énormes rochers. Un cordon de femmes Triqui dirigées par Rufini Juarez et épaulées par des paramilitaires armés de longs fusils refusèrent de laisser passer les bus. On entendit des coups de feu plus bas dans la vallée. La police d’état qui surveillait les bus renonça tout de suite. Le bus qui transportait les députés PRD fit demi-tour et repartit pour la ville de Mexico, suivi à contre coeur par les militants de l’Autre Campagne.

Comme dans la lutte pour briser le blocus de Gaza, les militants du Mouvement Solidaire ne renoncent pas ; une troisième caravane composée uniquement de femmes est programmée.

Le massacre de neuf pacifistes turques par l’armée israélienne le 31 mai a déclenché une vague d’indignation mondiale, y compris à Mexico. Au cours de la première semaine de juin, quand des quantités de Mexicains se sont rassemblés devant l’ambassade israélienne dans le riche secteur occidental de cette énorme métropole, la moitié des manifestants étaient des femmes Triqui vêtues de leurs huipils brodés traditionnels d’un rouge éclatant qui leur donnent l’air de grosses fraises. Derrière les portes barricadées de l’ambassade, les diplomates israéliens n’en sont sûrement pas revenus.

"Ce que le gouvernement israélien a fait aux militants qui apportaient de l’aide humanitaire à Gaza, est exactement ce que Ulises et ses paramilitaires nous ont fait" a expliqué Marcos Espino "nous sommes venus ici par solidarité avec nos frères et soeurs de Gaza. Beaucoup d’entre nous ont été tués aussi."

John ROSS

John Ross est chez lui dans la gueule du monstre en train de regarder la Coupe du Monde. Vous pouvez lui exprimer vos doléances à l’adresse suivante : johnross@igc.org

Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/ross06172010.html

Traduction D. Muselet

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