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Anne Krueger, chevalier blanc de la globalisation ( CADTM )

Citation

"Dans le cas de l’Afrique, on argue bien trop souvent de ses problèmes de
gouvernance, de gestion économique ou de guerre civile, pour lui refuser
davantage d’assistance. Mais dans le cas de l’Irak, on évoque la même
situation chaotique pour justifier le versement de sommes d’argent plusieurs
fois supérieures à celles reçues par l’Afrique."

Mark Malloch Brown (PNUD) (Les Échos, 30/9/03)

*** *** ***

CADTM - Comité pour l’ Annulation de la Dette du
Tiers Monde

2 octobre 2003

Par Éric Toussaint

Dans un discours prononcé le 18 juin 2003 à Saint Pétersbourg à l’occasion
du 7e Forum économique international de Saint Pétersbourg, Anne Krueger,
directrice générale adjointe en chef du Fonds monétaire international, a
offert un remarquable condensé des arguments avancés par les tenants de la
mondialisation néolibérale. Manifestement, le FMI n’a pas changé.

Dans son introduction, Anne Krueger exprime sa satisfaction de se trouver
dans une ville fondée il y a trois siècles comme porte ouverte de la Russie
vers l’Occident, le marché mondial et la modernité. " Il est correct de
dire que le commerce global, l’effort d’ouvrir l’économie russe
constituaient un des objectifs principaux de Pierre le Grand quand il a
fondé cette grande ville "
.

D’emblée, elle fait référence aux protestataires anti-globalisation qui ont
toujours existé parce que " la peur du changement nous a toujours habités
"
. " Il y a toujours eu des gens pour résister à ce qui est nouveau et aux
idées nouvelles et pour rejeter ce qui ne leur est pas familier "
.

Elle ajoute que les novateurs ont adopté selon les époques différents
comportements pour affronter les protestataires : la manière douce ou la
manière forte. Manifestement, elle ne condamne pas la manière forte. "
Parfois la persuasion est le meilleur moyen de venir à bout de ce préjudice

(celui causé par les protestataires, NDR). En d’autres occasions, ceux qui
étaient partisans du neuf et du différent ont utilisé le bâton plutôt que la
carotte. Pierre le Grand a utilisé Saint Pétersbourg pour moderniser la
Russie. Le nouveau, c’est-à -dire les idées occidentales, devaient être
adoptées tandis que les idées traditionnelles devaient être exclues. On m’a
dit que les barbes comme symboles de l’ordre ancien étaient taxées "
.

Anne Krueger poursuit par une édifiante mise en perspective historique du
commerce et de la mondialisation. Elle affirme sa foi dans la théorie
riccardienne des avantages comparatifs en expliquant qu’il ne s’agit pas là 
d’une vue de l’esprit mais bien la traduction de phénomènes réels.
Convaincue que " le commerce international a un long et honorable pedigree
"
, elle se réfère au XVIe siècle, l’ère des grandes explorations, qu’elle
présente de manière " bateau " comme " une période de changements rapides
et constants et de contacts entre des peuples séparés par de grandes
distances "
sans la moindre référence aux pillages et aux crimes contre
l’humanité caractéristiques de cette époque.

Elle se réfère au XIXe siècle avec le même enthousiasme, relevant notamment
que " l’exportation des capitaux de Grande-Bretagne a nourri la croissance
dans l’ensemble de l’empire britannique et dans le Nouveau Monde "
, sans la
moindre référence aux crimes coloniaux. De même, elle mentionne positivement
la migration des 36 millions d’Européens entre 1871 et 1915 essentiellement
vers les Amériques sans la relier notamment à la famine irlandaise produite
par le développement capitaliste et la victoire du libre échange.

Elle passe ensuite à l’analyse des opposants à la mondialisation, relevant
qu’ils ne saisissent pas que, de tous temps, " des grands bienfaits sont
souvent accompagnés de pertes localisées et à court terme. Le progrès
technique implique inévitablement que certains emplois deviennent superflus
"
. Elle veut ainsi démontrer que ceux qui s’opposent à la mondialisation ne
voient que les effets marginaux, temporairement négatifs d’un puissant
mouvement progressiste.

La mondialisation au XXe siècle

Anne Krueger souligne que la croissance au XXe siècle a été beaucoup plus
forte qu’au XIXe siècle. Elle présente la mondialisation comme un véritable
conte de fées où le dernier venu (late comers) profite des avantages
produits par les nations les plus avancées.

Elle attribue par exemple le grand succès de la Corée du Sud au fait qu’elle
aurait exploité à fond les possibilités offertes par la mondialisation
tandis que l’Inde, restée méfiante à l’égard de celle-ci, a connu une
croissance beaucoup plus lente. Cette affirmation est largement contredite
par la réalité puisque le succès de la Corée est d’abord dû à la combinaison
de mesures contraires au libéralisme (forte intervention de l’Etat,
développement du marché intérieur, réduction des écarts de revenus,
protectionnisme, augmentation des salaires…) et qu’elle est entrée en crise
en 1997-1998 après avoir mis fin au contrôle strict des mouvements de
capitaux et mis en pratique d’autres mesures conformes à la globalisation.
De son côté, l’Inde, grâce à sa méfiance à l’égard d’une totale ouverture
économique, a réussi à se protéger des pires effets de la crise asiatique de
1997-1998. On verra d’ailleurs plus loin dans le discours qu’elle cite
l’Inde en exemple en ce qui concerne la réduction de la pauvreté, en totale
contradiction donc avec le passage mentionné plus haut.

Les bénéfices de la croissance

Anne Krueger explique que les conditions de vie se sont profondément
améliorées au cours des dernières décennies : baisse de la mortalité
infantile, augmentation de l’alphabétisme, diminution du nombre de pauvres,
réduction du fossé entre pays développés et pays en développement du point
de vue de l’espérance de vie. A aucun moment de son exposé, Anne Krueger ne
relève qu’un nombre important de pays a connu une dégradation des conditions
de vie des populations au cours des vingt dernières années.
" A l’échelle de la planète, les inégalités ont atteint un niveau grotesque
"
(1), reconnaît le PNUD, Programme des Nations Unies pour le
Développement.

Ce diagnostic, encore plus catastrophique que grotesque, doit être nuancé en
fonction des régions. Si certaines zones ont pu réduire l’écart qui les
séparait des pays les plus riches, regroupés au sein de l’Organisation de
Coopération et de Développement économique (OCDE) - ainsi en est-il de la
région Asie de l’Est et Pacifique, passée d’un écart de 1 à 14 en 1975 à 1 à 
6 en 2000 -, d’autres au contraire ont vu cet écart évoluer dans le sens
inverse : l’Afrique subsaharienne avait un revenu par habitant six fois
inférieur à celui des pays de l’OCDE en 1975, il l’est de quarante fois en
2000 (2). Le rapport 2003 du PNUD établit que "quelque 54 pays sont
aujourd’hui plus pauvres qu’en 1990. Dans 21 pays, une proportion plus
importante de la population souffre de la faim. Dans 14, les enfants sont
plus nombreux aujourd’hui à mourir avant l’âge de cinq ans. Dans 12, les
inscriptions dans l’enseignement primaire reculent. Dans 34, l’espérance de
vie décline. "
(3)

Anne Krueger explique par ailleurs que les réserves de pétrole sont plus
importantes aujourd’hui qu’en 1950, qu’aucun dommage irréparable n’a été
causé à l’environnement de la planète. Selon elle, plus on avancera dans le
temps, plus on trouvera de réserves de pétrole, de même que, après une phase
normale de dégradation de l’environnement, la situation s’améliorera selon
des lois objectives de l’économie.

Face aux protestataires qui, dit-elle, ne font pas confiance au relativisme
moral, elle n’hésite pas à affirmer qu’il ne faut pas condamner sans appel
les soi-disant (sic) " sweatshop factories " (les ateliers de la sueur).
Et d’expliquer que les travailleurs des sweathshops au Vietnam ont vu leurs
salaires multipliés par cinq en très peu de temps, ce qui a " complètement
transformé en positif leur vie "
. Elle ajoute que si l’on donnait à ces
travailleurs " un salaire décent selon nos critères des pays
industrialisés, cela éroderait complètement les avantages que retire le
monde des affaires en utilisant du travail non qualifié sur le marché
mondial "
.

De même, selon elle, il faut se garder de dénoncer sans appel le travail
des enfants car, pour reprendre ses termes, " les alternatives sont encore
pires : mourir de faim ou subir la malnutrition "
. Selon Krueger, il n’est
pas nécessaire d’interdire le travail des enfants car grâce à la croissance,
celui-ci disparaîtra de lui-même. Elle affirme que les inquiétudes
concernant une perte de contrôle des citoyens et des pouvoirs publics au
profit des multinationales et des flux de capitaux sont déplacées. Par
rapport à la critique selon laquelle les bénéfices de la globalisation ne
sont pas universellement partagés, elle déclare que l’inégalité ne constitue
pas le problème principal et " qu’en plus, il n’y a aucune preuve que la
globalisation ait un quelconque impact systémique sur l’inégalité de la
répartition des revenus dans un pays "
. D’ailleurs, dit-elle, " les
nouvelles sont actuellement très encourageantes : la réalité suggère que
l’inégalité mondiale se réduit "
.

A noter qu’elle attribue cette réduction de l’inégalité à la " croissance
phénoménale de la Chine et de l’Inde "
sans mentionner que ces deux pays
les plus peuplés de la planète sont parmi les plus méfiants à ouvrir
complètement leurs économies.
Anne Krueger termine par un long couplet en faveur de l’agenda de Doha. Elle
dit que les gouvernements, en général, ont peur d’ouvrir complètement leurs
économies parce que cela va entraîner des pertes d’emploi. Certains
gouvernements " ne résistent pas à la tentation de faire des exceptions de
manière à protéger certains groupes de travailleurs. C’est pourtant toujours
une erreur. Interférer avec le marché produit inévitablement des
distorsions. Protéger un groupe d’ouvriers de la compétition étrangère peut
en pénaliser d’autres dans le même pays. Sans aucune exception, ce sont les
consommateurs qui paient le prix de cette protection, quelle qu’en soit la
forme. "

En guise d’argument final, elle déclare que si la Russie veut doubler son
revenu par habitant en dix ans, elle ne pourra le faire qu’en adhérant à 
l’OMC, ce qui implique d’ouvrir complètement son économie. Montrant ainsi
l’ampleur de son ignorance ou/et de sa mauvaise foi, elle ajoute : " Je ne
connais pas un seul pays qui ait atteint l’objectif de doubler son revenu en
une décennie sans s’intégrer à l’économie internationale "
. Et de conclure
 : " Notre rôle fondamental est de faciliter le processus de globalisation.
En vérité, c’est pour cela que nous existons. "

Notes :

(1) PNUD, Rapport 2002, p. 19.

(2). PNUD, Rapport 2002, p. 19.

(3) PNUD, Rapport 2003, p. 2.

CADTM
http://www.cadtm.org

*** *** ***

Agenda

8 octobre  : intervention de Renaud Savéan et François Mauger aux Mureaux
(78), après le film La dette ou la vie.

10 octobre, 19h : intervention de Damien Millet à Achères (78).

17 octobre, 19h : intervention de Claude Quémar à La Chapelle-sur-Erdre
(44).

17 octobre, 19h30 : soirée-débat sur la dette avec le CADTM France,
Attac et Survie, à la MJC Monplaisir de Lyon (69).

18 octobre : assemblée générale du CADTM France à l’Espace St Georges, à 
Lyon (69, voir p.2).

8 novembre : intervention de Damien Millet à Orléans (45).

10 novembre, 15h : intervention d’Eric Toussaint sur la dette et
l’Europe, à l’invitation des Verts du Parlement européen, au Palais de la
Bourse (Paris).

12-15 novembre : Forum social européen, près de Paris (voir p.3).

16 novembre : assemblée de mouvements sociaux à Paris.

17 novembre : réunion du réseau international CADTM, au CICP, Paris 11e.

17-20 novembre : tournée de la pièce de théâtre "L’Ardoise" suivie
d’interventions du CADTM : à Épinay (93) le 17, Blangy (76) le 18, Clermont
(60) le 19 et Château-Thierry (02) le 20.

18 novembre : journée de réflexion sur la dette et le droit, à 
l’initiative de la plate-forme Dette et Développement, à Paris.

18 novembre : intervention de Claude Quémar à Nanterre (92).

19 novembre  : intervention d’Alain Saumon à Nantes (44).

21 novembre  : intervention de Damien Millet à Viry-Châtillon (91).

22 novembre  : intervention de Damien Millet à Evreux (27).

7-11 décembre : 3e séminaire international sur Droit international et
dette, à Amsterdam.

CADTM
http://www.cadtm.org/pages

CADTM - Comité pour l’ Annulation de la Dette du
Tiers Monde

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