Octobre 2002
RISBAL
Syndicats et conseils d’entreprise :
l’expérience des ouvriers céramistes de Neuquén.
A Neuquén, les ouvriers de Zanon ont développé une expérience originale
d’autodétermination à travers l’apparition d’une nouvelle organisation de
coordinateurs de la production, de commissions internes et du syndicat.
Dans cette première partie, nous rendrons compte de ces nouveaux éléments
remarquables que l’expérience représente pour la classe ouvrière et ce dans le
sens stratégique d’une lutte pour l’Etat des travailleurs.
Dans une seconde
partie, nous développerons en profondeur le débat existant entre le marxisme
et l’autonomisme sur le rôle de l’auto-organisation des masses, de la
question du pouvoir et de l’Etat et du processus de transformation sociale.
Démocratie industrielle
Les ouvriers de Zanon mènent l’occupation de leur entreprise depuis plus
d’un an et ont relancé, sans patron, la production depuis 8 mois. Dans le
feu de cette expérience, ils ont constitué un nouveau type d’organe ouvrier
regroupant l’assemblée des coordinateurs de production, de la commission
interne et le syndicat. Les coordinateurs sont élus par la base et
représentent les différents secteurs du site industriel.
A la tête de l’entreprise, les ouvriers ont appliqué dans le domaine de la
production la même méthode organisationnelle de démocratie directe qu’ils
ont constitué pour la lutte. "A un certain moment, les failles (matériel de
2e et de 3e qualité) étaient nombreuses. Ils ont résolu cela en assemblée.
Ils ont réalisé une journée de débats sur tout ce qui touche à la production
et à sa planification : les horaires, les pauses, le régime interne, les
niveau de production, etc... Quelques jours plus tôt, ils avaient réalisé la
première réunion conjointe entre les dirigeants syndicaux, les délégués et
les coordinateurs. Toutes les décisions sont prises en assemblées et chaque
semaine, un rapport est donné sur ce qui est produit et vendu..."
La nouvelle organisation a permis d’élaborer un schéma mensuel afin
d’augmenter la production pour avancer dans des projets politiques tels que
l’engagement de nouveaux travailleurs issus du mouvement de chômeurs
"piqueteros" ou pour accomplir des demandes provenant de la communauté. Les
ouvriers font ainsi école dans le domaine de la planification et d’une
manière opposée à la norme capitaliste qui est de maximaliser les profits en
réduisant les coûts. Issus de l’imagination et de l’initative ouvrière, des
idées nouvelles ont germé telles que la production de la "ligne Mapuche", la
coopération avec des ingénieurs et des étudiants de l’Université du Comahue
ou l’école de perfectionnement qui fonctionne au sein même de l’entreprise.
Dans le nouvel organisme se sont donc intégrés différents secteurs qui
représentent la collectivité ouvrière (syndicat, commission interne et
coordinateurs) unifiant ainsi les "tâches de la production" et celles qui
relèvent de la "politique". Car en même temps que l’on débat des fonctions
du processus industriel, ont impulse des actions en relation avec le
développement de la Coordination de l’Alto Valle ainsi que la relation avec
d’autres mouvements de lutte et la propagation de leurs idées parmi la
population.
Cette organisation s’assimile à ce que, dans l’histoire de la lutte de
classes, l’ont connaît sous le nom de conseils ouvriers d’usines. Ces
conseils, tels que ceux surgis en Europe dans les années ’20, rassemblaient
tous les travailleurs d’une entreprise (syndiqués ou pas), ce qui
permettaient de représenter exactement sa composition. Ils ont fonctionné
sur base de l’élection démocratique de délégués pouvant être révoqués. Ces
comités résolvaient surtout les problèmes de la vie ouvrière en exercant la
démocratie industrielle. Ils sont apparus dans des périodes de montées
révolutionnaires dans la classe ouvrière au sein de laquelle ils se sont
généralisés posant ainsi, de fait, la question de l’émergence d’une dualité
de pouvoir - même embryonnaire - au niveau des centres de production.
Bien que la situation des travailleurs argentins n’est pas similaire,
l’expérience des céramistes a le mérite premier d’exprimer une tendance
ouvrière et anticapitaliste née au coeur même de la production et qui met en
évidence la puissance et la force de la démocratie ouvrière à obtenir
l’unité des travailleurs. Il montre une voie possible pour l’articulation
d’un nouveau mouvement ouvrier qui, bien que fragmenté, frappé par le
chômage, la crise économico-sociale et la trahison de la bureaucratie
syndicale, est en train de faire ses premiers pas dans la volcanique lutte
de classes argentine ouverte avec les Journées de Décembre.
Conseil d’entreprise et syndicat
Les marxistes reconnaissent dans le conseil d’entreprise un dépassement de
l’organisation syndicale. Cette dernière, dans ses fonctions classiques,
s’établit pour défendre collectivement les revendications spécifiques et
corporatives des travailleurs. Elle reconnaît la souveraineté de l’Etat et
le caractère de marchandise de la force de travail. Le conseil d’entreprise,
par contre, est une émanation directe de tous les producteurs associés dans
le processus du travail ; il exerce un contrôle ouvrier de la production ; il
représente donc une remise en question ouverte de l’ordre du capital et de
l’Etat bourgeois.
L’étatisation des syndicats dans les années ’90, les compromissions de leurs
bureaucraties syndicales dirigeantes avec les politiques patronales et
l’énorme fragmentation de la classe ouvrière entre travailleurs ayant un
emploi et chômeurs, travailleurs fixes et précaires, nationaux et immigrés,
tout cela pose la nécessité d’organisations qui unifient les forces
dispersées des travailleurs. La réappropriation des syndicats et des
commission internes est actuellement une tâche fondamentale pour pouvoir
avancer dans cette perspective. Libérées des bureaucraties, ces
organisations peuvent déborder des limites du syndicalisme classique pour se
transformer en authentiques insitutions pouvant regrouper la masse ouvrière
dans la lutte contre la bourgeoisie et l’Etat. Dans le cas des céramistes de
Neuquén, ils ont conquis un syndicat de classe, le SOECN et une commission
interne qui ont permis le libre épanouissement de l’iniative ouvrière dont
est issue la nouvelle organisation, digne héritière des conseils d’usine
historiques.
L’importance de cette institution réside en ce qu’elle peut de se
transformer en un "état-major pour l’entrée dans la lutte de couches de la
classe ouvrière que les syndicats sont habituellement incapables de
mobiliser". L’expérience de Zanon démontre parfaitement cette possibilité.
L’unité avec les piqueteros du MTD (Mouvement des travailleurs sans emploi)
local, qui ont fait partie de la garde ouvrière qui a affronté la
bureaucratie des Montes et ses sbires, est une avancée concrète. Les
revendications de nationalisation, de contrôle des travailleurs et d’un plan
de travaux publics avancées par la SOECN ont été décisives pour solidifier
cette coordination. Ensemble avec les piqueteros et d’autres secteurs en
lutte, des professeurs et de travailleurs de la santé, les ouvriers de Zanon
ont formé la Coordination de l’Alto Valle qui permet de dépasser la division
entre les luttes corporatives, par secteurs, et les mouvements sociaux.
La Coordination, bien qu’elle se limite encore à une alliance dans la lutte
et à des secteurs d’avant-garde, démontre déjà son potentiel. En se
massifiant, sa force résidera en qu’elle représentera une institution
radicale des travailleurs de l’industrie qui inspirera le reste du mouvement
ouvrier et populaire.
Antagonisme avec l’Etat
La pensée marxiste a mis en valeur l’expérience des conseils d’usines dans
les moments de montée révolutionnaire en tant qu’institutions où "la classe
ouvrière se constitue en corps organique déterminé, comme embryon d’un
nouvel Etat, un Etat ouvrier, comme base pour un nouveau système
représentatif, le système des conseils ouvriers".
Dans le cadre de la situation argentine, nous ne pouvons pas affirmer que la
généralisation d’organisations autonomes comme celle surgie à Zanon sera la
tendance qui prédominera dans la lutte de classes. Cependant, pour les
socialistes-révolutionnaires, il est d’une importance stratégique de
comprendre sa signification.
Pour comprendre cette dernière, il faut tout d’abord comprendre que la
logique de commandement et de fonctionnement du système capitaliste repose
sur l’exploitation de la force de travail et sur l’appropriation privée du
produit social. L’entreprise capitaliste moderne est un collectif complexe
qui ne se définit pas seulement par ses fonctions productives mais également
par les tâches technico-scientifiques, intellectuelles, commerciales,
communicationnelles et financières qui ont donné naissance à nouveau
salariat (la prolérarisation des métiers intellectuels) qui partage le même
sort que la classe ouvrière industrielle et qui pour cela fait partie
intégrante de la classe ouvrière ; c’est à dire une masse d’hommes et de
femmes qui doivent vivre de la vente de leur force de travail.
Sous le capitalisme, l’ouvrier est un instrument de production - mais il est
un instrument particulier car lui seul peut produire la plus-value d’où le
patron tire son profit capitaliste. Si l’ouvrier prend conscience de cette
réalité, de sa puissance, pour la mettre "au service d’un appareil
représentatif de type étatique, si la classe ouvrière fait cela, elle pose
un acte fondamental, elle entame une histoire nouvelle". Ainsi, du sein même
de l’entreprise, surgit une institution inconciliable avec le capitalisme et
où les ouvriers réalisent une expérience d’autodétermination,
d’administration, de direction et de planification.
Cet élément qualitativement supérieur et subversif que la nouvelle
organisation de Zanon entame, trace le chemin pour les nouvelles générations
ouvrières et pour les mouvements qui ont impulsé en Argentine les germes de
la démocratie directe telles que les assemblées de quartiers et les
mouvements piqueteros combatifs.
La question du pouvoir
Depuis les Journées de Décembre, le débat sur la "question du pouvoir" et
son rapport avec les expériences de démocratie directe et
d’auto-organisation des masses prennent de plus en plus d’importance.
De la coordination, massification et organisation de la classe ouvrière et
du peuple en lutte peuvent surgir les institutions d’un nouveau pouvoir sur
lequel se basera le futur Etat des travailleurs. Dans ce sens, nous
valorisons l’expérience initiée par les ouvriers de Zanon comme une voie pour
le mouvement ouvrier afin qu’il avance dans l’auto-organisation et l’unité
avec le peuple.
Beaucoup de militants sociaux, tels ceux qui revendiquent l’autonomisme,
apprécient l’expérience de Zanon et de la gestion ouvrière. Ils voient dans
cette dernière un acte d’auto-affirmation populaire comme base pour des
relations sociales plus solidaires. Reconnaître cela est un grand pas en
avant mais il reste insuffisant. Car il rate l’essentiel ; le germe de
pouvoir alternatif sous-jacent qu’exprime ce genre d’auto-organisation
incarne et anticipe un nouvel ordre social incompatible avec la domination
capitaliste.
Pour ces courants, avoir une stratégie de lutte pour le pouvoir n’est pas
nécessaire et va même à l’encontre des possibilités de transformation. Ils
mettent l’accent sur l’autonomie mais en la limitant à un développement
autogestionnaire en dehors de la lutte politique contre l’Etat bourgeois,
lequel est ignoré. Ils nient donc, en dernière instance, la révolution comme
moyen pour abattre l’ordre ancien, disloquer les forces répressives de
l’Etat et imposer un nouveau gouvernement qui s’appuye sur le pouvoir des
organismes autonomes des travailleurs et du peuple pauvre et qui incorpore
les masses exploitées et opprimées aux décisions sur tous les domaines de la
vie sociale, politique et économique.
Les espaces de démocratie directe conquis après décembre, sont l’expression
d’un changement dans les rapport de forces entre classes. La crise du vieux
régime et de la bourgeoisie, posera - tôt ou tard - la nécessité de
nouvelles actions révolutionnaires, jusqu’à leur effondrement. Si tel n’est
pas le cas, ce seront les classes dominantes qui imposeront leur solution
par la force.
Dans cette perspective, l’hégémonie politique, sociale et culturelle de la
classe ouvrière est une question clé qui mérite la réflexion théorique
profonde de tous les militants ouvriers et populaires, et en particulier des
marxistes
Ruth Werner et Facundo Aguirre
Source : RISBAL
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