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Agnulus Dei (ou : Ces innocents qui doivent sauver le Monde) - (Sinistra in Rete)

Hier, reportage sur la BBC. Titre : « Cinq adolescents qui ont changé le monde » (Five teens who changed the world »).

On y raconte l’épopée moderne de Greta Thunberg (engagée contre le changement climatique), Malala Yousafzaï (héroïne de l’émancipation féminine anti-talibans), Emma González (survivante d’une fusillade dans un lycée étasunien et militante du contrôle des armes à feu), Jack Andraka (inventeur d’un test médical dans une foire étasunienne pour petits inventeurs), Amika George (qui soutient le droit des femmes les moins fortunées à avoir des serviettes hygiéniques gratuites).

En dehors de quelque effet comique involontaire de cas un peu inégaux, cette charretée de « nouveaux héros » s’avère assez éclairante. Elle nous montre une façon significative qu’ont les membres de l’appareil médiatique de l’Occident industrialisé de protéger les intérêts des couches sociales qui signent leurs chèques.

On mettra tout de suite de côté toute question concernant la valeur humaine ou l’exceptionnalité réelle des adolescents ci-dessus mentionnés. Il peut se faire que les jeunes concernés soient tous des personnes merveilleuses, capables et vertueuses.

Ce ne sont pas eux qui sont ici le sujet.

Ce qui compte, c’est le type de modèle humain qui est ainsi proposé au grand public.
Il y a quatre points à souligner, que nous pouvons énumérer comme suit.

1) Jeunisme.

Le premier point qui saute aux yeux, c’est le fait d’élever au rang de modèle éthique justement des ados. Quel est le sens de cet intérêt particulier ? Ce n’est pas difficile à comprendre. Un jeune a des racines superficielles, courtes, il n’a pas (nécessairement) des connaissances profondes, ni des expériences solides, ni un enracinement social. D’un côté, il apparaît comme quelqu’un qui ne doit rien à personne, et, de l’autre, il a une autonomie limitée. Une fleur coupée dans un vase, qui peut être déplacée à volonté, tant qu’elle dure. Faute d’enracinement, les adolescents doivent tout à l’œil de la caméra, qui les porte à l’existence en tant que symboles à l’usage d’autrui. Privés d’un arrière-plan structuré et contrôlable, ils peuvent difficilement donner lieu à des « coups de tête » imprévus. Et, si jamais ils devaient le faire, au fond, ce sont des gamins, n’est-ce pas ? Tant qu’ils sont utiles, ils peuvent être des adultes honoraires, et, s’ils devaient se mettre à gêner, on peut à tout moment les laisser retomber dans le néant du silence médiatique.

2) Individualisme.

Nos jeunes modèles sont représentés selon le canon littéraire du héros solitaire. Le récit qu’ils suscitent est construit de façon à en souligner l’image d’« êtres supérieurs » qui s’imposent par leurs propres vertus, envers et contre tous. Self-made (wo) men en herbe, ils sont présentés comme de jeunes idéalistes qui n’ont pas besoin d’interagir, discuter, trouver des points d’accord, convaincre personne. La voie royale c’est, comme dans tout film de Hollywood digne de ce nom, « fais ce qui est juste » et le monde te suivra.

3) Particularisme

Il s’agit, en troisième lieu, de sujets qui sont censés « changer le monde » sans avoir la moindre idée du « monde » qu’ils seraient en train de « changer ». (Et, du reste, comment prétendre qu’ils puissent en avoir, à cet âge ?). Leur histoire est là pour attester que les tentatives de compréhension systématique, de vision complexe et d’ensemble sont choses fastidieuses et superflues. Pour « améliorer le monde », tout ce qu’il faut, c’est suivre l’inspiration du moment et lutter de tout son cœur contre l’obstacle, se dévouant ainsi à ce petit bout de monde sur lequel on a achoppé. L’idée, ici, c’est que le monde s’améliorera automatiquement si on multiplie les prétendues solutions sectorielles pleines de bonnes intentions.

4) Compatibilité avec le système.

Enfin, on notera que les thèmes sur lesquels ils se concentrent appartiennent à des ordres d’idées répondant à deux caractéristiques : être déjà médiatiquement accrédités (des choses qui, chez les élites occidentales, sont reconnues comme étant le Bien), et être des sujets définis de façon à ne pas créer de problèmes aux capitaines du bateau (les signataires des chèques ci-dessus mentionnés). Des choses qui donnent bonne conscience, sans rien coûter de significatif à ceux qui tiennent la caisse.

Naturellement, il n’est nul besoin d’une « planification centralisée » pour lancer ces projets médiatiques. Ce sont des contenus qui ont une fonction, et peuvent donc naître et proliférer comme des fruits spontanés de l’engagement des « professionnels de l’information ».

Il s’agit de fragments d’une éthique médiatique qui donnent l’impression à tous qu’ « il y a de l’espoir », sans besoin de rien faire, sans besoin d’actions collectives ou de vérités communes. Tels des fleurs des champs, belles, sauvages et vigoureuses, les « jeunes » sauveront le monde, et, pendant qu’ils le sauvent, nous, nous serons à l’abri, à filmer l’événement, à manger des pop corn et à les applaudir. Nous avons ici, bien loin des encombrantes formes traditionnelles de « l’homme providentiel », des « gamins providentiels » qui, sans tomber dans les formes coercitives et fastidieuses des exemplaires adultes, remettront le monde sur ses rails à coups d’actes spontanés, individuels, purs, sans le fardeau des arguments, et sans aucune forme contraignante. D’un côté, la « politique », sale, trouble, intrusive, un mal peut-être nécessaire, mais à éviter autant que possible ; en face, le spontanéisme juvénile de qui n’a besoin de rien, ne doit rien à personne, n’est ni compromis ni intrusif, et qui, surtout, fait tout lui-même, sans besoin de rien de notre part que notre sympathie.

Petits agneaux de Dieu, venus nous libérer des péchés du monde, sans perturber le zapping.

Andrea Zhok

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