Le front de gauche fait un peu plus de 11% au 1er tour. C’est un score tout à fait honorable qui acte incontestablement l’émergence d’une nouvelle force politique de gauche mais qui est tout de même quelque peu décevant au regard des espoirs qu’avaient suscités les déferlantes humaines de Bastille, du Prado et d’ailleurs, venues entonner des airs de YA BASTA pour donner corps à la révolution citoyenne que Jean-Luc Mélenchon dit vouloir.
Alors pour tenter de comprendre les raisons de ce succès trop relatif au goût de nombreux militants et sympathisants et faire en sorte qu’aux prochaines échéances, les idées du Front de Gauche continuent de progresser et recueillent au moins 15/20% des suffrages, il me semble indispensable de réfléchir à ce qui « en interne » a pu limiter l’audience électorale du mouvement et de ne pas trop s’épancher sur les ennemis traditionnels de la souveraineté populaire dont il ne faut tout de même pas s’étonner qu’ils aient, comme d’habitude, eu recours aux subtilités les plus sales et grossières pour discréditer les idées du progrès social.
Plutôt que de s’offusquer de ce que des médias conservateurs aient pu user d’attaques ad hominem pour disqualifier les idées progressistes du Front de Gauche, il conviendrait tout d’abord de chercher à comprendre et à prévenir ce genre de bévues. Pour reprendre l’exemple de l’affaire Patrick Buisson, comment se fait-il après tout que des journaux foncièrement réactionnaires ait pu trouver pareille opportunité de salir notre mouvement populaire à quelques jours des élections ? L’invitation que Mélenchon a honorée en venant assister à la remise de la légion d’honneur dudit Buisson, transfuge d’extrême droite et idéologue en chef du Président de la République, n’est-elle pas de nature à légitimer quelques questions pour qui souhaiterait s’assurer de l’intégrité de son candidat ? Les militants du front de gauche ne doivent-ils pas tenir leur candidat comptable de ce type de relation médiatique ? L’ironie laconique en guise de réponse était-elle la meilleure façon de convaincre ceux qui hésitaient encore ? Bref, l’annihilation, au moyen d’une explication claire et absolument convaincante, des présomptions de compromission que des papiers cherchent à nourrir, eut été largement préférable. De même, le Front de Gauche est légitime à vouloir comprendre les raisons intimes de cette autre demi-bévue qu’a constitué l’entretien de Mélenchon avec Médiapart sur l’abstention de ce dernier lors du vote qui a eu lieu au Sénat pour la saisine du conseil constitutionnel sur le conflit d’intérêts évident ayant entaché l’élection de Serge Dassault au Sénat. Prétendre qu’il était plus sensé de s’abstenir au motif qu’une telle saisine avait déjà eu lieu dans un passé lointain et qu’elle s’était soldé par une décision négative dudit conseil est pour le moins douteux. A supposer que la jurisprudence des sages de la rue Montpensier ne fût largement évolutive et passablement arbitraire (dans les marges que lui autorise le bloc de constitutionnalité), il n’en restait pas moins, à l’évidence, tout à fait opportun sur le plan des principes de soutenir la force qui manifestait là son refus que des mastodontes - en l’espèce de l’armement et des médias ! - vivant largement de commandes publiques mirobolantes puissent voter les crédits de ces commandes publiques ! On imagine mal qu’une assemblée votant à l’unanimité en faveur d’une telle saisine n’ait pas au moins une portée symbolique susceptible de générer quelques changements souhaitables.
Alors appliquons-nous d’ores et déjà à nous-mêmes les vertus de la « démocratie participative » (pléonasme pour qui n’oublie point que la démocratie, dans son acception originelle, n’a strictement rien à voir avec le gouvernement représentatif, consubstantiel de l’oligarchie ; ce gouvernement représentatif dont Rousseau disait que « c’est une forme de servitude ponctuée de brefs instants de liberté ») et faisons en sorte que les égarements soient publiquement corrigés. Sortons de l’enfance et arrêtons de considérer que la vertu ne saurait jamais faire défaut aux représentants que l’on se choisit. Soyons présents et rappelons-nous à cette obligation du peuple souverain qui est de contrôler en permanence ses représentants. Sinon c’est l’abandon qui nous perd…En l’espèce, je dis donc qu’il aurait été préférable de mettre les choses au point sur ces positions qui interrogent. Clarifier, c’est moraliser dit le philosophe.
J’en viens maintenant à cette stratégie du Front de Gauche qui a fait du Front National l’une de ses cibles privilégiées. Bien sûr, il y a lieu de condamner ce parti avec la plus grande fermeté en raison de tous les relents xénophobes qui en émanent. Mais le traitement exclusif et particulièrement véhément que Mélenchon lui a réservé avec force insistance ne fait-il pas précisément le jeu du FN épouvantail que le système scénarise pour détourner des vrais enjeux ? N’est-ce pas là exciter davantage le racisme que l’on prétend combattre ? A remuer cette soupe merdique que le politique concocte avec talents, les relents nauséabonds qui s’en dégagent ne se diffusent-ils pas encore bien davantage ? Et puis au fond, investir autant d’énergie contre celle qui capitalise sur la haine des gens qui se trompent de colère, par désarroi et ignorance, n’est-ce pas se tromper de combat et s’en prendre aux conséquences plutôt qu’aux causes ? Il faut au contraire remonter la chaîne des causes et agir sur les causes premières comme s’évertue en ce moment à le répéter Etienne Chouard dont les conférences font le buzz sur la toile citoyenne. Le Front National, ne feignons pas de l’oublier, n’est jamais que la créature et l’instrument de nos vrais ennemis politiques. C’est le parti punching-ball qu’ils nous opposent pour ne pas être atteint. A taper sur le Front National, on tape dans le vide car ce n’est pas lui qui gouverne et ce catastrophisme sur sa montée en puissance est un brin démagogique car jusqu’à preuve du contraire il est clair que ce parti est loin, très loin, d’être en mesure de rassembler une majorité de voix au second tour d’une élection présidentielle. A terme, cela pourrait changer mais là encore, ce sont les apprentis sorciers au pouvoir qui en décident. S’ils persistent dans la voie qui est la leur, nul doute que leur Frankenstein utile continuera de monter en puissance. Rappelons au passage, pour qui douterait de la pertinence de cette métaphore, que contrairement aux partis qui, normalement, ne deviennent médiatiquement visibles qu’une fois acquise, par la voie électorale, une certaine assise politique, le Front National a quant à lui pu apparaître sur la scène médiatique au début des années 80 en n’étant aucunement représentatif de qui que ce soit, et ce grâce au coup de pouce très appuyé de François Mitterrand qui donna instruction à TF1 (à l’époque non privatisée) de le recevoir sur ses plateaux (les autres chaînes embrayant le pas). Bien sûr, la création du problème s’est accompagnée de la solution, SOS racisme. D’une pierre trois coups puisqu’ainsi, on détournait des vrais enjeux, on divisait le camp politique adverse et on renforçait cette cohésion « animique » du peuple derrière le chef protecteur. Je vous renvoie pour les détails à cet ouvrage trop méconnu, « La main droite de Dieu : enquête sur François Mitterrand et l’extrême droite. » (de Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Perez, édition Le Seuil, 1994) qui revient sur le passé cagoulard et maurrassien de notre défunt président socialiste. Président socialiste dont je rappelle au passage qu’il nous a permis, avec la complicité de ses « cohabitants » RPR, d’avoir sur notre conscience collective le dernier génocide du 20ème siècle (un million de Tutsi rwandais génocidés en moins de 10 semaines), et ce précisément en appliquant la doctrine de « l’école française » qui instrumente le racisme et la terreur pour contrôler et mater (Lire à ce sujet Gabriel Périès, Marie-Monique Robin, Mathieu Rigouste…). Alors s’il est vrai que la créature peut échapper aux mains de son maître, il ne faut pour autant pas se laisser éblouir par les vrais décideurs qui usurpent l’esprit républicain et édulcore l’idée de démocratie. Ce n’est pas le Front National qui confisque depuis des lustres la démocratie que je sache. Alors je préfèrerais voir Mélenchon pilonner, tout en finesse subversive évidemment, les véritables chiens de garde de cette économie totalitaire, à savoir les « partis de gouvernement » qui nous jouent cette illusion d’alternance en même temps qu’ils continuent de faire progresser le projet qui nous détruit. Cette Europe antisociale, ce « néolibéralisme », c’est un projet on ne peut plus à droite mais ceux qui le défendent arborent presqu’indifférememnt des étiquettes de gauche et de droite. Les Jacques Delors, Pascal Lamy, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, François Mitterrand bien entendu, Lionel Jospin, etc., l’ont tous fait progresser, et pas qu’un petit peu. Ils ont autant inscrit la France dans la trajectoire de cette économie totalitaire et antisociale que ne l’ont fait leurs comparses de droite. La désindexation des salaires sur l’inflation (1983) - trahison ultime et catastrophique accomplie sourdement mais sûrement, le creusement cynique et délibéré de cette dette qui asservit aux marchés, les privatisations en chaîne, le bradage des bijoux de famille, la mise en place d’une banque centrale rendue indépendante pour être programmée contre les peuples et pour le chômage, l’appel à voter oui du PS au traité de 2005 qui constitutionnalisait 50 ans d’anti-socialisme européen, la trahison du peuple avec la ratification de ce traité, devenu « de Lisbonne », etc. Au regard de tous ces maux qui expliquent pour une bonne part l’abîme dans laquelle nous sommes plongés, la stratégie consistant manifestement à tant ménager le PS tout en insultant la responsable du Front National apparaît bien peu pertinente.
N’aurait-il pas mieux valu au contraire, à l’instar de cette union sacrée de 1914 qui aura su rassembler d’une extrême à l’autre quand il s’est agi de défendre la nation, reconnaître et acter, en matière de politique économique uniquement, cette alliance objective de fait qui réunit les opposants aux tenants de ce fédéralisme européen qui s’applique à dépecer les acquis sociaux et éloigner définitivement le spectre de la démocratie ? Car enfin, il n’est pas besoin d’écouter Emmanuel Todd pour constater simplement que les programmes économiques des deux front sont très proches ! Alors quoi, il est suspect que le front national ait ainsi virevolté et renié son ultra libéralisme au profit d’un anticapitalisme forcené ? Donc acte. Mais prenons le au mot et considérons ouvertement le fait que d’un point de vue économique, et donc social, l’électorat des deux fronts rejettent massivement l’oligarchie et la technocratie financières. Sur le front de l’égalité, la vraie force, c’est cette exigence populaire qui souhaite en finir avec ce paradigme économique qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, et ce à un rythme encore plus effréné en période de crise. C’est ce refus massif qui dénonce avec toujours plus de perspicacité et de vigueur cette imposture monétaire absolue et fondamentale qui est à la base de tout et que nos élites, de l’extrême gauche à l’extrême droite, n’auront opportunément découvert que bien tardivement, une fois que les citoyens s’en étaient eux-mêmes saisi. Il n’est quand même pas compliqué de comprendre que c’est là que se trouve le potentiel populaire en terme de levée de boucliers à même de générer du vrai changement et un grand bol d’air social ! Là doit être la grande priorité et que le Front National se soit positionné lui aussi sur ce créneau (malheureusement bien avant l’extrême gauche d’ailleurs) ne suffit pas à discréditer ces idées forces.
Du reste, il est hautement dommageable que les appareils exécutifs des mouvements réellement ancrés à gauche, partis et associations, ne s’emploient pas réellement à s’attaquer ouvertement et pleinement à ce front monétaire qui incarne et régit on ne saurait mieux l’édifice de la prévarication globalisée. Contraints et forcés par une base qui pousse, ils interviennent de façon timorée ou en s’en tiennent trop facilement à de grandes envolées lyriques qui, plutôt que de stigmatiser très précisément les règles et structures qui sont à proscrire, désigne la banque à la vindicte du peuple sans réel plan de bataille. Il s’agirait pour le coup d’être nettement moins démagogique. Il y a là aussi un vrai travail d’autocritique à faire dans le camp du Front de Gauche car prétendre que le poids de la France en Europe suffise à obtenir une modification des statuts de la banque centrale européenne, c’est un peu léger quand on connaît l’inflexibilité de l’Allemagne sur cette question et surtout quand on sait à quel point l’orthodoxie dont ces statuts relèvent domine férocement, et c’est logique, chez les classes dirigeantes et possédantes. Alors oui, il faut bien sûr négocier avec nos partenaires. Mais des efforts n’ont-ils pas déjà été déployés en vain ? Que préconiserait le Front de Gauche en cas d’échec persistant à faire sauter ce verrou structurel qu’est la banque centrale dans ses statuts actuels et sans lequel cette spéculation contre les Etats de la zone euro ne pourraient avoir lieu ? Ne faudrait-il pas commencer à concevoir, comme le préconisent un grand nombre d’économistes (je pense par exemple à Jacques Sapir à gauche qui a détaillé une stratégie très pertinente), de menacer très sérieusement d’une possible sortie de l’euro et de mettre cette menace à exécution en cas de blocage ? Une telle menace ne serait-elle pas le moyen de réorienter radicalement ce projet européen auquel il faudrait adhérer sans réserve ? J’aurais bien aimé en entendre davantage de la part du candidat du Front de Gauche. En attendant, comme l’a dit Jacques Attali et comme le savent les hauts responsables, ce qui se joue maintenant, c’est l’alternative suivante : plus de ce fédéralisme là , entendez moins de démocratie, ou la disparition de l’euro. Le problème, c’est qu’à s’opposer à ce type de fédéralisme purement confiscatoire, on se retrouve en apparence à défendre le repli national. Mais devant la démocratie qui recule et les centres de décision qui s’éloignent, le retour à davantage de souveraineté nationale (qui présente en particulier bien des avantages sur le plan monétaire, tous les gens sérieux le savent) n’est qu’une étape nécessaire, aucunement une fin en soi. Ce qui est en jeu fondamentalement, et ça le front national se garde bien de le défendre, c’est la souveraineté du peuple, c’est-à -dire cette démocratie qu’on se sent aujourd’hui le besoin d’appeler « démocratie directe ».
Pour conclure, il me paraîtrait bienvenu que Jean-Luc Mélenchon, qui maintenant jouit d’une grande écoute, poursuive sur l’importance de la monnaie. Qu’il fasse la pédagogie de cette convention sociale, qu’il décrive les impostures monumentales qui jalonnent son histoire passée et présente, qu’ils en expliquent les principaux mécanismes en restant sur le plan des principes mais sans jamais verser dans un simplisme vulnérable.
Et puis autre front fondamental que je ne développerai pas ici : la loi fondamentale que les citoyens doivent écrire pour affaiblir et contrôler les pouvoirs délégués (ce dont procède la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la Justice, la prédominance du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, etc.). Il me semblerait opportun que le Front de Gauche détaille un peu son programme dont on pourrait penser, au chapitre 6ème république, qu’il s’agit davantage d’un toilettage que d’une réforme en profondeur. Quid de la révocabilité des mandats, du référendum d’initiative citoyenne, du tirage au sort pour certaines fonctions électives, du mandat impératif, de la limitation du nombre de mandats quelles que soit la fonction élective ? Là encore, j’aimerais savoir. S’agit-il d’aller véritablement vers plus de démocratie ou de faire semblant ?
Cette fois, j’ai voulu y croire (il est vrai que c’est aussi un peu faute de mieux) mais je crains dans mon for intérieur que M. Mélenchon n’incarne pas réellement ce qu’il prétend incarner. Logique me direz-vous au regard de l’Histoire. Mais cette question existentielle n’importe plus dès lors que les militants du front de gauche s’assurent de leur destin et prennent les choses en main. Si Mélenchon n’est plus « que » le porte-parole, tout roule.
Marc HAUS
PS : pour aller plus loin sur la monnaie, je vous invite à relire mon précédent article sur ce site "Recouvrons notre souveraineté citoyenne en matière monétaire et budgétaire !"