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Adieu au dernier survivant espagnol des camps de concentration nazis

Le Cordouan Juan Romero s’est éteint cette nuit dans la commune française d’Aÿ. Après sa mort, il ne reste plus aucun des 9300 Espagnols qui furent déportés dans les camps de concentration nazis.

L’Espagne perd un morceau irremplaçable de son histoire. Il n’en reste plus aucun. 75 ans et cinq mois après la libération des camps de concentration nazis, s’est éteint le dernier Espagnol qui vécut cet enfer et qui a pu en réchapper pour le raconter. Le Cordouan de Torrecampo Juan Romero Romero a entrepris cette nuit son dernier voyage depuis la commune d’Aÿ (en Champagne) où il résidait depuis sept décennies. Il avait 101 ans et laissait derrière lui une vie remplie de souffrances, d’engagement et de lutte pour la liberté. Une vie où il a obtenu la reconnaissance de la France. Une vie où il dut attendre 101 ans pour que sa patrie lui rende hommage et le traite comme ce qu’il fut : un héros.

Une vie de lutte.

Né en avril 1919 à Torrecampo (Cordoue), Juan Romero grandit au sein d’une modeste famille de paysans. Le désir d’en finir avec les immenses inégalités économiques et sociales qui régnaient dans l’Espagne d’alors le conduisit à adhérer à l’Union Générale des Travailleurs [syndicat proche du PSOE ]. Âgé de seulement 17 ans au moment du soulèvement militaire contre la démocratie républicaine, Juan s’engage comme volontaire pour combattre les troupes fascistes. Il lutta au sein de la 33e Brigade Mixte dans la Sierra de Guadarrama, à Brunete, Guadalajara et Teruel. La bataille de l’Ebre fut particulièrement dure pour Juan : il dut traverser le fleuve sur une petite barque, pendant que les soldats franquistes tiraient sur lui depuis la rive. Beaucoup de ses camarades moururent. Juan fut blessé, mais, après s’être remis dans un hôpital de campagne, il rejoignit sa brigade. Devant l’avance désormais irrésistible des soldats franquistes, il franchit la frontière française en février 1939.

Les autorités françaises l’internèrent, avec des milliers de ses compatriotes, dans le camp de concentration de Vernet d’Ariège. Malgré les mauvais traitement reçus des autorités françaises, Juan décida de s’enrôler dans la Légion Etrangère pour recommencer à combattre le fascisme dans la guerre qui s ’annonçait contre Hitler. Ce deuxième combat non plus ne se termina pas bien pour le lutteur cordouan. Dans l’été 40, les troupes nazies le capturèrent et l’envoyèrent dans le camp de prisonniers de guerre installé dans la ville allemande de Luckenwalde. C’est dans cet cadre, où les droits humains et les conventions internationales étaient plus ou moins respectés, qu’il aurait dû passer le reste du conflit. Mais les discussions entre le régime franquiste et ses alliés nazis provoquèrent un changement dramatique dans le destin de tous les Espagnols qui, comme Juan, se trouvaient dans ces camps pour prisonniers de guerre. La Gestapo s’occupa de les identifier un par un et les envoya dans les camps de concentration pour y exploiter leur travail et les exterminer.

Au seuil de la chambre à gaz de Mauthausen

Juan Romero fut un des plus de 7500 Espagnols qui, après avoir fait partie de l’Armée française, arrivèrent à Mauthausen-Gusen entre 1940 et 1942. 1800 autres compatriotes, hommes et femmes, allaient être déportés dans d’autres camps de concentration nazis pour appartenance à la Résistance. Des 7500 de Mauthausen, 5200 ne purent en sortir que par la cheminée du four crématoire, devenus cendres et fumée. Juan eut de la force, de l’intelligence, et, surtout, une bonne dose de chance, qui lui permit de survivre.

Le premier travail d’esclave que lui assignèrent les SS eut pour cadre la terrible carrière de granit où les Espagnols passaient près de 12 heures à casser et transporter des pierres. Chaque minute était horrible, mais Juan se rappelait quel était le pire moment de la journée : « A la fin de la journée, nous remontions une pierre par l’escalier, et il ne fallait pas qu’elle soit petite... Les SS étaient des criminels. Tous les jours, les charrettes de la carrière arrivaient pleines de morts ». Lui ne finit pas dans une de ces charrettes parce que, après plusieurs mois d’un très dur travail, il fut transféré dans un groupe qui travaillait à l’extérieur du camp et qui était dirigé par le kapo espagnol César Orquín (1). Mieux traité et disposant d’un peu plus de nourriture, Juan reprit des forces jusqu’à ce qu’un jour il fut sérieusement blessé à la suite d’un accident du travail. Les prisonniers savaient que l’infirmerie de Mauthausen était un abattoir. Les médecins SS s’empressaient de faire des injections d’essence au cœur aux déportés qui ne pouvaient plus leur être utiles par leur travail. Une nouvelle fois, Juan eut de la chance et, avec l’aide de quelques infirmiers-prisonniers espagnols, il se rétablit.
Son travail suivant, et le dernier, à Mauthausen, eut lieu dans ce qu’on appelait le « commando de la désinfection ». Sa mission consistait à rassembler les vêtements des fournées de prisonniers qui arrivaient au camp et de les transporter sur de grands brancards dans l’édifice où ils étaient lavés et désinfectés. Juan ne mourut pas de faim parce que lui et ses camarades de commando trouvaient toujours un peu de nourriture dans les poches de ces vêtements. Physiquement, ce n’était pas un travail spécialement dur ; mais il l’était sur le plan psychologique. Juan devait regarder, surtout dans les derniers mois de la guerre, les groupes de prisonniers qu’on envoyait dans les chambres à gaz. « S’il y avait des groupes qui arrivaient et qui, au lieu d’aller à la douche, restaient dehors, c’était très mauvais... Ceux-là allaient directement à la chambre à gaz ».

Des cauchemars jusqu’au jour de sa mort

Le combattant cordouan n’a jamais pu oublier ces groupes qui se dirigeaient, sans le savoir, vers l’abattoir. Parmi tous ceux-là, il y en a un qui, racontait-il lorsqu’il se rappelait ces années, l’a particulièrement marqué. « On vit arriver au camp un groupe, il y avait des hommes, des femmes, de très jeunes enfants. Ils étaient 30 ou 40. Nous allions sortir ; nous avons attendu qu’ils entrent, ils passaient devant nous et une petite fille m’a souri...la pauvre petite, elle ne savait pas qu’elle allait directement dans la chambre à gaz. Cela m’a fait très mal. J’ai vu beaucoup de groupes, mais cette petite, la fillette qui m’avait adressé un sourire... Aujourd’hui encore, la nuit, je pense beaucoup à elle ».

Quand, le 5 mai 1945, les soldats US arrivèrent à Mauthausen, ils libérèrent physiquement les prisonniers, mais personne n’a jamais pu libérer leur esprit. Les souvenirs de leurs souffrances au camp, des camarades assassinés, des atrocités dont ils furent témoins les poursuivirent pendant le reste de leur vie. Dans le cas des Espagnols, un drame supplémentaire s’ajouta à ce traumatisme : ils ne pouvaient pas rentrer dans leurs foyers parce que l’Espagne était toujours entre les mains de Franco. Il refit sa vie en France. Il s’installa dans la commune d’Aÿ, se maria, fonda une famille et vécut sa carrière professionnelle dans une cave de Champagne.

De même que les autres survivants espagnols, Juan dut attendre des années que l’Etat français lui reconnaisse un statut semblable à celui des déportés français. A partir des années 80 en particulier, il était déjà considéré comme un héros et traité comme tel. Il a reçu toute sorte d’hommages et de décorations, comme la prestigieuse Légion d’Honneur. Bien différente a été l’attitude de l’Espagne. Pendant la dictature, on s’efforça d’effacer et déformer l’histoire des déportés et déportées espagnols. Oubli et mensonges qui ont continué pendant la Transition et qui ont continué jusqu’à tout récemment.

Pour Juan, les hommages de sa patrie sont arrivés au dernier moment. Ce fut le 5 mai dernier, quelques jours après son 101e anniversaire, lorsque le Conseil des Ministres approuva un texte où on reconnaissait son rôle. Cette reconnaissance lui fut personnellement exprimée par la première vice-présidente au mois d’août dernier. Carmen Calvo se déplaça à Aÿ pour lui dire de vive voix ce que Juan avait attendu pendant des années et des années : « Merci pour ta vie ». Carmen Calvo le remercia d’avoir lutté contre le franquisme et défendu la démocratie en Espagne et dans toute l’Europe : « Nous ne ferons jamais assez, nous aurons toujours une dette à l’égard des anti-franquistes espagnols qui ont payé de leur vie. Gratitude éternelle de la part de la démocratie espagnole. » Ce jour-là, Juan se montra très content et ceux qui l’aimaient affirment que cette reconnaissance finale lui a permis de partir en paix.

Avec la mort de Juan Romero, disparaît le dernier Espagnol déporté dans les camps de concentration nazis. Les près de 4000 – dont au moins 300 femmes – qui parvinrent à survivre aux barbelés de Mathausen, Buchenwald, Ravensbrück, Sachsenhausen, Dachau ou Auschwitz sont partis peu à peu durant ces 75 années. Presque tous sont morts oubliés, ignorés, sans avoir été reconnus par l’Etat espagnol. Désormais, ils font partie de l’Histoire.

Vicente García Riestre, survivant asturien du camp de concentration de Buchenwald, exprima en 2017 ce que ressentaient alors Juan Romero et la dernière poignée de déportés encore en vie : « Nous sommes une espèce en voie d’extinction. Nous sommes appelés à disparaître. On n’y peut rien rien. C’est la vie. » C’est la vie.

NdT

(1) César Orquín Serra : c’est un anarchiste valencien, héros de Mathausen, qui utilisa ses fonctions de kapo (dues à sa maîtrise de l’allemand) pour protéger les prisonniers qui faisaient partie de son commando ( voir article du 29 septembre, du même auteur dans le même journal).

»» https://www.eldiario.es/sociedad/adios-ultimo-superviviente-campos-concentracion
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