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par peur de perdre notre emploi, il nous arrive de monnayer notre santé

Thyssen Krupp blues

photo : scène du film "La fabbrica dei tedeschi"

La fabbrica dei tedeschi, (l’usine des allemands) a été accueillie avec une grande émotion hier au festival de Venise. C’est que la tragédie des ces ouvriers morts brûlés le 6 décembre dernier à l’Usine Tyssen-Krupp de Turin a laissé des traces dans le pays.
Pas assez vive pour détourner l’attention des grands partis politiques de la « chasse aux roms et aux étrangers », de l’hystérie sécuritaire, de l’indifférence.

Mais depuis ce jour de décembre les cadavres des ouvriers s’accumulent et il devient difficile de fermer les yeux.

Il est devenu difficile de fermer les yeux sur les témoignages et sur les rapports des enquêtes en cours sur l’ « accident ». :

Emidio, 27 ans a donné sa démission un mois avant la catastrophe : « c’était pour éviter des ennuis encore pires. J’ai travaillé cinq ans à Tyssen, j’étais au service finitions. Jamais une remarque, jamais un reproche. Puis à partir de septembre la musique a changé. On nous demandait des heures sup. à go go. Service après service. Moi je ne voulais pas, il y avait encore mes camarades en cassa (Cassa integrazione, sorte de chômage technique) je disais « reprenez l’un d’entre eux ». Un jour j’ai refusé. Ils m’ont envoyé la lettre à la maison ( un avertissement ). La deuxième fois j’ai décidé de m’en aller. Je ne vis pas seul, je suis encore chez mes parents, je pouvais me le permettre. Mais beaucoup de camarades faisaient des services de 12 heures »

Il est vrai que : « parfois par peur de perdre notre emploi, il nous arrive à nous les métallurgistes de monnayer notre santé » avoue Ciro, délégué de l’établissement dont les effectifs ont fondu comme neige au soleil. « Les plus qualifiés sont tous partis » ajoute-t-il : « n’importe qui s’enfuirait, en sachant qu’ils vont fermer l’usine ». La fermeture avait été négociée par les syndicats pour le 30 septembre 2008. En échange il s’agissait de sauver l’aciérie-symbole de Terni, « A Terni un laminoir s’était cassé » dit Giorgio Airaudo, secrétaire Fiom de Turin (syndicat de la métallurgie) « (ainsi) alors l’entreprise a recommencé à faire tourner l’usine de Turin à pleine cadence ». Cela explique peut-être le recours aux heures supplémentaires « forcées ».

Mais les dirigeants de l’entreprise connaissaient la situation, ils savaient que le matériel était vétuste, que les normes de sécurité étaient insuffisantes : lorsque l’incendie a éclaté les extincteurs ne fonctionnaient pas, le système de sécurité qui aurait permis l’extinction immédiate du feu n’avait pas été mis au normes. Du coup lorsque les ouvriers se sont précipités pour éteindre les flammes et essayer de sauver leur outil de travail, ils n’ont rien pu faire, ils ont été enveloppés par les flammes.

Mais les dirigeants de Thyssen savent surtout une chose qui est apparue lors de l’enquête : selon les documents internes saisis par la justice, les normes de sécurité étaient à géométrie variable selon qu’il s’agissait de la maison mère à Düsseldorf, ou de ses filiales à l’étranger, notamment en Italie ou l’on aurait sciemment appliqué des conditions de sécurité moindres qu’en Allemagne. Ainsi on instaure un droit et donc des profits à géométrie variable entre la maison mère du pays le plus riche et « obligé » de respecter plus de garanties et les pays moins « favorisés » comme l’Italie et plus encore les pays de l’Est européens ; puis on instaure en interne un échelon d’exploitation supplémentaire par une « guerre entre pauvres » entre l’usine de Turin et celle de Terni.

A Düsseldorf, pas d’inquiétude : « vous comprenez, l’enquête sur les causes de l’accident est encore en cours. Mieux vaut ne pas faire des commentaires si l’on ne connaît pas les conclusions » . Mais visiblement les représentants des travailleurs, les fonctionnaires du Betriebsrat, et le conseil d’entreprise tiennent le même discours. Le conseil d’entreprise, dans des groupes de la dimension de Thyssen-Krupp, réunit aussi les délégués des filiales étrangères, explique Rudi Ostler dans Il Manifesto, « son président , Thomas Schlenz, devrait parler aussi au nom des deux cent « collègues » de Turin. Il devrait. Mais hier il était « en réunion ». Sa secrétaire promet de lui transmettre le message mais elle ne pense pas que M Schlenz trouvera le temps de rappeler et pour adoucir l’interlocuteur répète la même rengaine : « vous savez, l’enquête à Turin est toujours en cours ».

Les similitudes entre la direction de l’entreprise et les représentants du personnel n’étonnent pas Rudi Ostler. Selon lui ce serait même la règle du système de la co-gestion : « les Betriebsräte, bien que composées presque toujours d’anciens ouvriers ou d’ouvriers toujours syndiqués (Schlenz a été élu sur les listes Ig-Metall) sont obligés par la loi à « coopérer » avec l’entreprise. Ils siègent dans le conseil de surveillance en nombre égal avec les représentants des propriétaires (dont la voix prévaut toujours en cas de dissension car celle du président, choisi parmi ces derniers, vaut le double) Ils s’engagent à la réserve sur les informations de l’entreprise qui tend immanquablement à se traduire par une complicité. Complicité largement compensée par des salaires de manager. » L’entreprise exprime « les plus profonds sentiments de sympathie aux familles et aux amis des travailleurs morts à Turin », conclut la secrétaire de M Schlenz

Mais lors des funérailles les ouvriers turinois ont refusé la présence des patrons : « La participation de représentants de l’entreprise aux funérailles n’est pas souhaitée - a expliqué le délégué Fiom Ciro Argentino - nous considérons leur éventuelle présence comme une offense, en plus d’être un élément d’instabilité pour l’ordre public »

Devant tous ces témoignages recueillis sur la tragédie de Thyssen Krupp, comme dans la plupart des autres tragédies sur les postes de travail qui se sont succédées dans la péninsule, on est surpris de voir l’esprit de solidarité et d’entre aide de tous ces ouvriers. Malgré les « enterrements successifs » de la « conscience ouvrière » proclamés avec grand tapage par quelques représentants de la pensée « postfordiste » il semble que la solidarité, l’attachement à l’outil de travail, et le respect, malgré tout, du travail à accomplir, dessinent un profil proche d’une « classe ouvrière » qui, si elle est décidément moins politisée et engagée (s’engager avec qui ? diraient nombre de ces ouvriers) est toujours là , et rappelle parfois plutôt le dix-neuvième siècle.

Depuis le drame de Turin, un documentaire a été réalisé (La classe operaia va all’inferno) ; après le docu-fiction de Mimmo Calopresti un autre documentaire est prévu demain, toujours à la Mostra de Venise « Thyssen Krupp blues ». Une pièce de théâtre, de multiples initiatives de solidarité de la part d’autorités locales comme le maire de Turin Chiamparino, comme des syndicalistes et des travailleurs se sont manifestées partout en Italie, mais les voix « d’autorité » sont restés muettes ; le réalisateur s’en prend au silence des syndicats et à l’indifférence des médias. Il dit qu’il vaudrait faire un prochain film de fiction « mais à ma façon. Peut-être sur les ouvrières qui aujourd’hui s’en prennent à ces pauvres bougres de "roms" ».

[1] Dernier film de Mimmo Calopresti, le réalisateur de La seconda volta.

[2] Mesure de « mise à disposition » prévue par une loi de 1947, où le salariés ne sont plus employés, mais perçoivent une indemnité versée sur les fonds publics. Cette mesure permet d’éviter des licenciements secs, et décharge les frais des entreprises sur le contribuable, elle peut durer plusieurs années. L’entreprise est censée reprendre le salarié lorsque les temps redeviennent meilleurs.

[3] Cité par Paolo Griseri, Quei turni infernali di 12 ore. "E chi rifiutava perdeva il posto" La Repubblica 12 décembre 2007.

[4]

[5] Id.

[6] Gianluca Gobbi I padroni non li vogliamo, Il Manifesto, 13 décémbre 2007.

[7] Id.

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