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Tchernobyl et le Costa Concordia

On a dit, il y a quelques années, que la catastrophe de Tchernobyl était un symbole de l’état de l’URSS à cette époque et qu’elle préfigurait la catastrophe qui attendait le régime à peine 5 ans plus tard (et même trois ans, si l’on fait remonter le naufrage à la chute du Mur de Berlin).

A partir de cette observation, il m’a semblé que le naufrage du Costa Concordia, sur le rivage d’une île toscane, pouvait être vu comme une parabole (ou une métaphore) du naufrage actuel de l’économie capitaliste.

1. A l’instar des entités financières (banques, assurances, fonds de pension, fonds de placement), les moyens de transport et de communication deviennent de plus en plus gigantesques (comme des pyramides de La Grande-Motte sur l’eau). Là où les uns entassent les milliards, d’autres entassent les passagers - ce qui est d’ailleurs également observable pour les avions. Là où la première version de l’avion Caravelle, en 1958 (il y a 54 ans) emmenait 80 passagers, l’Airbus A-380, en 2012, dans sa version charter A-380-800, emmène, lui, 853 passagers et 20 membres d’équipage.

1 bis. Et notons que la logique à l’oeuvre est la même : comme les milliards placés en Bourse ou prêtés aux Etats ou aux particuliers ne servent qu’à engranger d’autres milliards, la course au gigantisme de moyens de transport (avions ou bateaux), par l’économie d’échelle qu’elle permet, ne sert aux croisiéristes ou compagnies aériennes qu’à engranger le maximum d’argent.

2. Dans les deux cas, lorsqu’il arrive une catastrophe, elle est donc à proportion des moyens engagés. Lorsqu’une Caravelle s’écrasait, c’était 80 morts. Lorsqu’un Airbus A-380 s’écrasera (car, hélas, cela arrivera), ce sera près de 900 morts. Lorsqu’une crise financière avait lieu jadis, elle était fonction des sommes engagées, qui, elles-mêmes, dépendaient des instruments financiers. Aujourd’hui, ces instruments financiers ont été démultipliés par les combinaisons mathématiques et les ordinateurs à un niveau où ils n’existaient pas il y a un demi-siècle (par exemple à l’époque de la Caravelle) : les dégâts sont donc à la mesure des sommes engagées.

3. Comme dans l’économie boursière, c’est le "pilotage" de l’instrument, toujours aux limites de l’équilibre ou de la flottaison, qui provoque le naufrage. Dans le cas des placements en Bourse, chacun spécule sur la montée de ses actions, en essayant de grappiller "le" dernier centime (un "dernier petit sou", comme dit Grezillo - remarquablement interprété par Michel Piccoli - dans Le Sucre), avant que la conjoncture ne se retourne. Et c’est précisément cette attente du dernier centime, cette avidité à ne rien laisser perdre, qui provoque la catastrophe - car, comme les spéculateurs sont moutonniers, personne ne veut vendre le premier. Et tout le monde se casse la figure en même temps. De même aux États-Unis, les banques ont prêté à des emprunteurs à chaque fois moins solvables, elles ont titrisé le plus qu’elles ont pu, pour essayer de "fourguer" à d’autres banques ou à d’autres "investisseurs" le maximum de leurs actions et obligations pourries avant que quelqu’un ne siffle la fin du jeu.

3 bis. Dans le cas du Costa Concordia, le capitaine du navire, qui avait l’habitude de naviguer très près des côtes, a voulu naviguer encore plus près, pour montrer ce qu’il savait faire, pour que les passagers "en aient pour leur argent" (donc pour qu’ils fassent de la publicité de bouche-à -oreille et touchent de nouveaux clients, qui rapporteront encore plus d’argent). Mais il n’a pas su distinguer où était la limite du fond...

4. Comme dans la crise financière, ce sont les gros qui se sauvent en premier. Des passagers rescapés témoignent que des hommes ont bousculé femmes et enfants pour embarquer les premiers dans les canots de sauvetage, certains allant même jusqu’à crier : " I am a V.I.P. ! " [Very Important Person], pour (tenter de) justifier leur muflerie et leur sauvagerie. De même, dans la crise financière, les mesures de rigueur, réclamées ici et là à cor et à cri, ne toucheront que les passagers des cabines du bas, pas ceux des suites princières.

5. Comme dans le cas de la crise financière, les dégâts sont socialisés (comme les bénéfices antérieurs avaient été, eux, privatisés). Après le naufrage du Costa Concordia, ce sont les services publics italiens (police, carabiniers, pompiers, plongeurs, hôpitaux...) qui sont venus au secours des passagers, les membres d’équipage, s’étant eux, défilés, en particulier le capitaine. [De la même façon que Papandréou, Berlusconi ou Madoff avaient été "débarqués"].

Philippe Arnaud

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