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Syrie : Le peuple syrien fait face à une guerre impérialiste

Questions douloureuses

Les Syriens comprennent que la destruction de l’infrastructure, le pillage des hôpitaux, l’incendie des usines, des écoles, et des établissements publics, l’explosion des pipelines, et des pylônes électriques, tendent, à l’instar des sanctions économiques arabes et occidentales, à rendre leur vie plus pénible !

Ils comprennent que l’appui politique, financier et militaire apporté aux gangs armés par les pays du Golfe et occidentaux, extirpe les miséreux de leur misère sociale (en donnant de l’argent et des armes). Et donne libre cours aux spéculations que les lois, et la suprématie de l’État, réfrènent.

C’est ainsi qu’apparaissent des gangs qui kidnappent et demandent des rançons ; et des spéculateurs commerçants peu scrupuleux qui font grimper les prix !

Les Syriens comprennent tout cela. Car le projet politique impérialiste sioniste est de déstructurer la société et de démanteler le pays en émirats confessionnels, pour qu’Israël devienne la seule force dans ce qui est une région stratégique.

Mais ce que n’arrivent pas à comprendre les Syriens, c’est la sauvagerie des gangs armés, l’horreur des mutilations, des découpages de cadavres auxquels ils se livrent : un jeune homme attaché à une voiture et traîné dans la banlieue de Damas, jusqu’à la mort ; une jeune fille pendue pour avoir témoigné à la télévision en disant que les gangs tuent des innocents ; des chambres de torture munies de crochets comme ceux qu’utilisent les bouchers pour accrocher les moutons égorgés ; des bourreaux inscrivant sur les murs « la brigade libyenne Khaled Bin el Walid est passée par là  ! » Une famille entière égorgée, à l’exception des deux petits derniers qui, de leur cachette, ont assisté au carnage ; ces deux petits orphelins ont raconté en pleurant que les hommes armés ont brûlé les cadavres de leurs parents.

Les tueurs racontent, comme on conte une histoire banale, qu’ils violent les femmes avant de les tuer, et filment ces horreurs pour les diffuser ensuite sur la chaine Al-Jazeera.

Ces scènes sanglantes, étalées devant nos yeux par centaines, suscitent des questions brûlantes

Comment ces sauvages sont-ils soudainement apparus dans la société syrienne qui a été élevée dans la bonté et les mots d’amour des poèmes de Nizar Qabbani ? Comment n’avons nous pas vu le Wahhabisme sauvage arriver et prendre la place de la bonté de et la miséricorde ?

Pourquoi avons-nous imaginé que les escadrons de la mort - qui ont sévi en Amérique Latine et en Algérie - faisaient partie d’une époque révolue ?

Mais les vrais criminels ne sont-ils pas ces politiciens occidentaux qui qualifient ces gangs de « révolutionnaires », et les soutiennent publiquement avec leur réseau de communication (Clinton) ; ou concoctent des réunions au Conseil de sécurité sous l’article 7, (Juppé) ; ou leur offrent des sanctuaires aux frontières et l’appui des services français, états-uniens, britanniques et israéliens. Les régimes despotiques du Golfe qui financent les gangs et achètent les armes ne sont-ils pas responsables ?

Les médias occidentaux qui passent sous silence les témoignages des blessés rescapés des carnages et le rapport des observateurs arabes, ces médias qui participent au mensonge dans la guerre d’invasion sioniste contre le peuple syrien, ne sont-ils pas eux aussi responsables ?

Le 28 avril, l’armée libanaise a arrêté un navire chargé de 140 tonnes d’armes, en provenance de Libye et à destination de groupes armés syriens. Le navire a navigué sous le regard de la FINUL et des Israéliens dans une zone sous protection occidentale et internationale. Cette violation du plan de Kofi Annan a-t-elle été condamnée ? Et cette intervention de la Libye exportant des armes à destination des gangs d’Al-Qaida a-t-elle été condamnée ?

Le 27 avril encore, un terroriste s’est fait exploser à la sortie des fidèles de la mosquée dans le quartier Midane, à Damas. Al-Qaida a revendiqué l’attentat. Dans la même semaine, deux terroristes se sont fait exploser à Idleb, détruisant des immeubles d’habitation. Les gangs ont kidnappé onze chercheurs scientifiques et ont tué un médecin ; ils ont attaqué aux roquettes RPG la banque centrale syrienne et assassiné un candidat aux élections parlementaires à Idleb ; puis un autre à Deraa. Est-ce que les dirigeants occidentaux, ou leurs médias, ont condamné les attaques visant des habitations et une institution civile économique, des compétences scientifiques et des candidats aux élections législatives ?

En méditant sur la destruction de Homs, on découvre les traces d’une vraie guerre. On découvre que le quartier de Baba Amr, l’émirat islamique que Bernard-Henri Lévy a présenté comme le berceau de la révolution, est en fait un bastion de gangs, avec des prisons, des centres de torture et de terreur et, le long des rues que les gangs avaient conquises, des barricades militaires, des maisons vidées de leurs habitants et dont les murs intérieurs ont été démolis par les gangs pour faciliter leur passage d’un appartement à l’autre.

En dépit de cela, les médias menteurs, et les dirigeants impérialistes, qualifient les criminels de « révolutionnaires » et d’« armée libre » !
Aux Nations Unies on n’évoque jamais Israël, qui a commis les massacres de Qana, de Jenin et de Gaza, et qui emprisonne des milliers de Palestiniens, mais on évoque la Syrie qui soutient la résistance arabe à Israël. La « communauté internationale » est furieuse de n’avoir pas réussi à rééditer le drame libyen en Syrie ; elle se rabat sur les charges explosives, les voitures piégées et les assassinats quotidiens.

Sur le plan local, la Syrie doit faire face au poids infligé par la destruction des infrastructures et les séquelles de l’embargo économique. Les communes recensent les dégâts subis pour dédommager les habitants. Mais peut-on évaluer les dégâts que représentent des milliers d’orphelins, de veuves, et de mutilés ? Comment mesurer la douleur de notre âme dans une société connue pour son tact et sa gentillesse, son raffinement et son dégoût de la brutalité ? Traditionnellement basée sur la miséricorde, elle a été surprise par la sauvagerie wahhabite.

Une question nous assaille : comment avons-nous pu partager avec ces sauvages notre air et notre eau ? Et comment la vigilance des services officiels, et des partis ne les a-t-elle pas détectés ? Ces questions ensanglanteront nos coeurs pour longtemps…

Il y a une autre douleur. Une douleur politique.

De Syrie, depuis la seconde moitié du siècle dernier, un chant : « Pays arabes, ma patrie » s’est répandu dans les pays arabes. La Syrie a inspiré les résistants arabes. La Syrie a loyalement honoré ses devoirs liés à sa position géopolitique : elle a accueilli un demi-million de réfugiés palestiniens qu’Israël a chassés. Un million et demi d’Irakiens s’y sont réfugiés lors de l’invasion états-unienne. Et des milliers de Libanais s’y sont réfugiés lors de l’invasion israélienne au Liban (en 2006). La Syrie leur a accordé les mêmes droits au travail, à l’assurance maladie, à l’éducation et au logement qu’à ses propres citoyens. Et voici que des institutions officielles arabes conspirent avec Israël et les États-Unis contre la Syrie ; que des bandes arabes et islamistes armées s’infiltrent depuis les pays arabes voisins et se livrent au meurtre des Syriens. Et que la Ligue Arabe est utilisée pour réaliser le projet occidentalo-sioniste en Syrie !

Le néo-libéralisme

Les crises arrivent lorsque les relations économiques et sociales heurtent les besoins et les aspirations humaines et nécessitent alors d’être changées. Après la chute de l’Union Soviétique, une période historique mondiale étant révolue, les Syriens ont compris qu’ils perdaient un appui important. Et les changements politiques et économiques sont apparus comme une évidence. Malgré cela, la Syrie a su garder ses acquis culturels et économiques : le secteur public, et le rôle de l’État dans le commerce extérieur et la planification économique, la culture pour tous, la gratuité de l’enseignement, les magasins d’État, le soutien des produits de base, la place des syndicats ouvriers et agricoles dans les décisions économiques et politiques. Le plan de « sécurité alimentaire » a été maintenu, et des millions d’oliviers ont été plantés dans le nord. La Syrie a sagement traversé la période de l’effondrement du bloc socialiste, et n’a pas rejoint le marché capitaliste occidental.

Mais la corruption a gagné le secteur public. Et il a paru à la classe compradore locale et à l’Occident, qu’ils pouvaient changer la structure économique syrienne et la politique extérieure syrienne. Les pays européens ont fait croire à la Syrie qu’ils étaient prêts à participer à la modernisation de son économie et de sa structure administrative. Nous avons alors vécu une période dite « d’expansion européenne ». Un institut pour former des administrateurs à diriger nos institutions à la manière occidentale a été créé, et un projet incluant la Syrie dans le marché commun européen a été préparé. Et Madame Ashton, qui aujourd’hui menace la Syrie, était alors souriante et satisfaite de sa visite à Damas.

La « fetoue » [1] a été supprimée, qui sous-entendait une militarisation des élèves ; et sont apparues les ONG. Le secteur public a été prié de s’en aller.

La classe ascendante ne s’est pas souvenue du projet de Khaled El Azem, représentant de la bourgeoisie nationale dans les années cinquante du siècle dernier, d’instaurer un immense secteur public avec l’aide de l’URSS. Et les médias syriens ont ignoré, lors de sa visite en Syrie en août 2006, le discours d’Hugo Chavez sur la nationalisation des grandes sociétés. [2]

Les relations politiques et économiques ne convenaient plus à la classe compradore influente politiquement et issue de la corruption. Les réformes étaient devenues une nécessité, mais dans quel sens ? Et dirigées par qui ? La réforme de l’enseignement dans le sens de la dynamisation des universités et des écoles ? Ou la création d’universités et d’écoles privées enseignant en anglais ? Épurer le secteur public des corrompus et de l’engluement administratif, ou céder ? Au secteur privé le rôle de l’État dans la gestion économique, et la suppression du soutien des produits de base ?

Dans les réunions hebdomadaires du mardi économique, les économistes ont critiqué la libéralisation de l’économie, le délaissement du secteur public, et la prépondérance accordée aux services et au tourisme sur la production agricole et industrielle. Le ministre du tourisme, qui représentait alors le néo-libéralisme, avait même planifié l’exploitation des lieux archéologiques, et avait exproprié les vergers de l’entrée historique de Damas ; pour réaliser des projets hôteliers internationaux, il avait aussi mis la main sur le littoral syrien. Le gouverneur de Homs avait, lui, planifié la construction de terrains de golf, d’une cité diplomatique, et de gratte-ciels Qataris, comme s’il préparait Homs à devenir un émirat indépendant, ignorant tout évidemment des tunnels creusés sous terre préparant l’arrivée des bandes armées ! Il ne lui a pas été demandé des comptes pour avoir construit une place inspirée de la place de l’holocauste à Berlin.

Les syndicats ouvriers s’étaient à l’époque opposés à ce courant. Ils se sont notamment opposés à la location des ports de Tartous et de Lattaquié à des sociétés étrangères. Au cours de cette période, l’homme d’affaires a pris le pas sur l’intellectuel, et les « libéraux » ont transformé l’économie de production agricole et industrielle en économie immobilière touristique. La culture de l’exploitation a envahi la vie publique. Les rues se sont couvertes de panneaux publicitaires faisant la promotion de marques de voitures ou de marques de vêtements importés. Les devantures des magasins ont vu fleurir les présentations en lettres latines ; et les T-shirts aussi, alors même que les lettres arabes se prêtent mieux à la calligraphie. La pauvreté s’est répandue, la classe moyenne s’est effondrée. Les dirigeants politiques n’ont pas remarqué - car ils ne se déplacent qu’en voiture - que la zone de départ des transports vers la banlieue dévoilait une pauvreté sans précédent en Syrie. Et que l’extérieur pouvait tirer profit de cette paupérisation et du ras-le-bol. Est-ce que l’emprise du pouvoir a donné l’illusion que l’expropriation des terres agricoles pour des constructions résidentielles privées, ou des complexes que l’État a prévus pour ses employés, serait sans conséquences politiques ? Comment ont-ils pu oublier que la corruption, les erreurs et la mauvaise gestion portent des fruits politiques ? Et que l’injustice est une braise qui allume l’incendie si un vent mortifère l’attise !

Au sujet de la réforme économique le Dr Mounir Al Hamash [3] a écrit que deux courants sont apparus. « Le premier courant veut redonner le premier rôle à l’État dans la croissance et la réforme du secteur public et garantir l’indépendance des décisions économiques. Le second courant veut favoriser l’économie libre de marché et l’emprise du secteur privé dans la direction de l’économie. Ce qui s’est passé a été l’application des politiques économiques, financières et commerciales, libérales, qui s’inscrivent dans les plans des institutions mondiales : le Fond monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce. (…) La libéralisation du commerce intérieur et extérieur et l’installation de banques privées ont provoqué des changements sociaux et économiques radicaux. Ces politiques ont conduit à affaiblir le pouvoir juridique de l’État, et à développer un climat de corruption. (…) La direction économique a oeuvré en toute connaissance de cause et elle a réussi à réaliser le changement des cadres économiques en Syrie vers une économie plus ouverte, plus compétitive et plus impliquée dans l’économie mondiale (…) avec de grands changements dans le rôle de l’État. La preuve de la réussite de ce projet est son arrivée au point de non retour ». [4]

Le peuple syrien défend sa Patrie

Le libéralisme a instauré la destruction économique afin de changer l’orientation politique. Mais sa réalisation a été impossible, car la position politique syrienne est intimement liée aux valeurs nationales traditionnelles, à son rôle de gardien patriotique et de la cause palestinienne ; cette position est liée à l’existence même de la Syrie. Par exemple, en 1911, les députés syriens ont dénoncé au Parlement l’infiltration de juifs occidentaux en Palestine. Ils ont démontré que les Ettihadiyyn [5] livraient l’État Ottoman aux banques juives occidentales et vendaient la Palestine. Ils se sont associés à la déclaration de l’indépendance de la Syrie en 1920, et ils ont refusé de livrer la Palestine aux sionistes. En 1936, des volontaires syriens ont participé à la révolution palestinienne ; ils ont participé en 1948 à la résistance à l’occupation sioniste en Palestine. Mais où sont aujourd’hui les forces politiques qui peuvent contrer le grand complot occidentalo-arabe ?! La crise économique a montré le danger de l’éloignement des partis politiques du peuple, et l’erreur qu’ont constitué les freins que le front national progressiste a imposées à l’activité des partis parmi les étudiants, excepté le parti Baath.

Le fait marquant est que le peuple syrien est descendu dans les rues dès lors qu’il a compris qu’il ne s’agissait pas d’une question de changement de régime, ni de réformes, mais que l’on voulait éradiquer la position patriotique syrienne, et faire éclater l’unité du pays. Le peuple s’est précipité dans les rues et sur les places, avec en première ligne les femmes qui n’avaient jamais participé auparavant à l’action politique. Il a déclare son refus de l’ingérence arabe et étrangère. Ces manifestations massives ont mis fin aux manifestations dérisoires à la sortie des mosquées les vendredis. Le jour où une manifestation massive est partie de la mosquée des Omeyyades à Damas, c’était le signe évident d’une position populaire décisive. C’est le peuple syrien qui a défendu sa patrie, qui a encouragé l’armée et qui a compris que celle-ci était la colonne vertébrale de la sécurité et de la cohésion nationale. Les religieux chrétiens et musulmans s’y sont associés. C’est ainsi que le peuple syrien a dépassé ses dirigeants politiques et que, grâce à lui, il a été possible à la Russie et à la Chine de se dresser en défense de la Syrie.

L’isolement des partis politiques

Le Front national progressiste a été fondé en 1972. Il comprenait 7 partis, dont le parti Baath, le parti communiste et le parti national syrien. Sa charte préconisait le modèle économique socialiste par opposition à l’économie de marché. En s’écartant de cette orientation, le Congrès du parti Baath de 2005 était en opposition avec le document sur lequel se fondait la création du Front national, et était au surplus contraire à la Constitution.

Quand j’ai demandé à M. Youssef Faycal, président du parti communiste et membre de la direction centrale du Front national progressiste « N’êtes-vous pas opposés à l’économie de marché ? », il a répondu : « Nous y sommes opposés mais cela n’a servi à rien ; ils ne nous écoutent pas ». Le différend était donc de principe. Cependant le parti communiste ne s’est pas retiré du Front. Est-ce seulement la position politique patriotique de la Syrie qui l’a retenu ?

Les Syriens accusent les partis de se vautrer dans leurs privilèges : les voitures luxueuses, les bureaux, les postes. Ce qui s’est passé est désastreux : l’économie de marche a ouvert la Syrie aux marchandises turques, ce qui a ruiné les entreprises de fabrication de mobilier dans la banlieue de Damas et les usines de textile, a fait flamber les prix, a livré le littoral syrien à quelques riches personnes, associés au Golfe, a abusé des droits du citoyen, et a gaspillé les biens publics. Est-ce le libéralisme qui a pu leurrer les partis du Front, leur faisant croire que la politique patriotique syrienne pouvait continuer, même si l’économie syrienne était transformée ?

Avant et après l’avènement du libéralisme, le Front a cantonné les partis politiques dans des bureaux, loin du peuple, et ils se sont uniformisés. Une blague circule : un homme du parti communiste accroche sa pancarte à la porte du siège de son parti : « Parti communiste syrien ». Quand il se retourne et se voit observé, il rajoute a la hâte : « A son maître le parti Baath arabe socialiste ». Il est regrettable que les dirigeants n’aient pas analysé ce genre de blague et pris en compte la position politique populaire. Il semble que la confiance dans le patriotisme, la sagesse et la patience du peuple syrien, ainsi que le sentiment des partis d’être les protecteurs du peuple, aient facilité leur éloignement de la population.

Le Front a adopté une politique dont les effets néfastes n’ont pas fini de se manifester. A chaque parti est attribué un lot de postes dans les ministères, ainsi que des bureaux exécutifs dans les syndicats et comités. Ces gens-là ont bénéficié de privilèges ; ils ont été choisis sur la base d’amitiés ou de liens de parenté et non pas pour leurs compétences, ce qui les a éloignés encore plus du peuple. La crise que traverse le pays a montré le danger de cette situation. Si les politiciens avaient eu une influence sur les couches sociales pauvres et défavorisées, ils se seraient orientés vers une action politique forte d’un programme national. Mais ce sont les cheikhs rétrogrades des mosquées, les wahhabites, les agents du Qatar, le Mossad et l’Arabie Saoudite, qui s’en sont emparé. Ils ont répandu l’argent et les idées. Et, au moment opportun, ils ont fourni des armes. Le politicien patriotique Bassam Al Shakaa, ex-maire de Naplouse, qui a perdu ses deux jambes lorsqu’Israël a piégé sa voiture, m’a confié : « Le problème réside dans le fait que les résistants sont devenus des fonctionnaires ! ». Il parlait des Palestiniens, mais cela s’applique aussi à la Syrie.

Le phénomène du Front du changement

Dans les couches les plus défavorisées de la société, l’opposition politique patriotique n’a pas d’influence. Les gangs ont profité de ce vide. Car l’opposition politique locale est composée de personnes de cultures et d’idéologies différentes, sans projet cohérent, qui sont apparues au moment de la crise mais sans parcours politique connu du peuple. C’est dans ce contexte que l’on comprend la popularité du Front du changement qui réunit aujourd’hui le parti de Qadri Jamil « La volonté populaire », le parti d’Ali Haydar « Le nationaliste syrien social », ainsi que des personnalités indépendantes, parmi lesquelles Monsieur Naiseh et un jeune prêtre. Ce front se distingue par sa position ferme contre l’ingérence extérieure, par son dynamisme et son indépendance. Dans son programme électoral parlementaire, il a inscrit « le jugement de la grande corruption ». Certains disent de Qadri Jamil qu’il est le fils de traditions communistes anciennes ; ce qui est vrai. Il a acquis son expérience politique d’un parti qui a joué un rôle patriotique. Il a tiré profit des préceptes enseignés pour analyser la crise. Derrière la politique officielle nationale, il a vu le danger de la chute de la Syrie dans le néolibéralisme ; il a donc inclus dans son programme électoral parlementaire un front économique mettant en garde contre les conséquences de cette politique. Il a concrétisé, par son alliance avec des jeunes forces politiques, son objectif d’un changement qui préserve les acquis nationaux et le courant syrien qui soutient la Résistance à Israël. Il tire maintenant parti de son ancien lien avec la Russie dans le sens que souhaitent les Russes : une opposition réaliste qui veut des réformes, refuse l’ingérence extérieure et la violence armée. Une délégation du Front du changement s’est déjà rendue deux fois en Russie. [6]

Ce Front du changement est témoin des dysfonctionnements de la vie politique passée. Il est commun de neutraliser ceux qu’on écarte et de ternir leur réputation. Mais Qadri Jamil s’est battu contre ce destin ; il a formé une coalition de communistes comblant le vide laissé par les politiciens parmi les indépendants. Et, pendant la crise, il s’est réuni en un unique front avec Ali Haydar et les patriotes syriens non représentés dans le Front national officiel. Il a soulevé cette question : pourquoi, durant ces dernières décennies, les partis ont-ils perdu leurs compétences, perdu ce qu’ils avaient de meilleur ?

La crise par laquelle passe le pays a soulevé une autre question : la mainmise du parti Baath sur l’activité publique a-t-elle servi l’intérêt national ? Cette mainmise n’a-t-elle pas été la cause d’un éloignement des Syriens de la vie publique jusqu’à ce que le danger encouru par leur pays les mobilise à nouveau ? En l’absence de partis traditionnels, la place de la revendication populaire est occupée aujourd’hui par des groupes de jeunes, par des organes nouveaux et divers qui ont en commun la défense de la patrie et le refus de l’ingérence extérieure. Ils déroulent des banderoles de centaines de mètres pour collecter des signatures, ils remettent en état les jardins dévastés par les gangs, ils visitent les blessés dans les hôpitaux et les familles des martyrs dans les zones soumises aux attaques de bandes armées, ils font des collectes pour venir en aide aux Syriens déplacés, Le président et son épouse ont un jour également participé à ces actions. Ces groupes commencent sainement : ils mènent leur travail au sein de la population et non dans des bureaux.

Les religieux musulmans et chrétiens occupent également la scène publique par leurs rencontres et leurs prières communes dédiées aux martyrs, la réception des délégations. Certains ont été assassinés ; parmi eux un imam de mosquée à Midane et un religieux chrétien.

La conscience syrienne apparaît admirablement dans les vigoureuses manifestations des femmes qui crient après chaque attentat : « C’est cela la démocratie et la liberté qu’ils veulent ? » Si c’est cela « selmiyyeh selmiyyeh », (« pacifique, pacifique ») [7] que Dieu les maudisse. Les femmes accomplissent des activités qu’elles n’avaient pas avant la crise. Hier par exemple, des tableaux sur la révolution syrienne de 1925 ont été exposés sous le patronage d’un groupe de dames ; elles ont peint des vergers, des chevaux et des fontaines damascènes décorées, s’inscrivant dans une mémoire historique nationale en défiant ainsi les bandes armées qui se servent de ces vergers pour y cacher les armes.

Les tribus arabes qui se déplacent entre la Syrie, l’Irak, la Jordanie et l’Arabie Saoudite, organisent de grandes réunions condamnant le maléfique complot ourdi par l’Occident et les régimes arabes despotiques.

Le 2 mai, le fils d’Ali Haydar a été assassiné. Le père a déclaré : « Ne venez pas me présenter vos condoléances ; mon fils n’est que l’un de ces milliers de martyrs syriens ». Il est probable que c’était le père lui-même qui était visé, ainsi que la liste du changement sur laquelle il est candidat aux élections. Il semble que les élections vont se dérouler sous les balles des snipers et des charges explosives.

Le désaccord n’a jamais porté sur les réformes ou sur la démocratie. Au début des événements, Netanyahou avait déclaré : « Pour que les actions armées s’arrêtent en Syrie, il faut que celle-ci change son attitude vis-à -vis d’Israël ». Nous n’avons pas besoin de Netanyahou pour savoir que la raison de la guerre contre les Syriens est qu’ils ont fermement maintenu leur position politique : l’ennemi c’est l’impérialisme et Israël. L’histoire des partis en Syrie témoigne de leur attachement aux valeurs nationales. Le président Hafez El Assad avait résumé cette attitude traditionnelle, en répondant, lorsqu’on lui avait demandé de visiter Israël : « Personne en Syrie n’accepte cela, personne en Syrie ne le peut ».

La question est : avec quelle structure politique et économique portons-nous ces grandes valeurs nationales ?

Conclusions

En 2003, l’invasion de l’Irak a anéanti une force arabe, qu’Israël avait demandé de liquider. En 2006, la guerre d’Israël contre le Liban, soutenue par les États-Unis, a tenté d’anéantir la résistance libanaise. En 2008/2009, la guerre israélienne contre Gaza a voulu briser la résistance palestinienne. En 2011, la guerre dirigée par l’OTAN contre la Libye et soutenue par les sionistes, a brisé une force arabe patriotique. En 2012, l’alliance entre des pays occidentaux, Israël et des pays du Golfe a installé la guerre menée par Israël au coeur de la Syrie. Le danger de ce tournant, entamé avec la guerre contre la Libye, est le fait que désormais des régimes arabes despotiques sont devenus des alliés d’Israël dans sa guerre contre les Arabes et que des bandes armées arabes et islamiques se substituent aux armées israélienne et étasunienne pour se battre à leur place.

La bataille de la Syrie met en lumière les points suivants :

- La remise à sa juste place du conflit central contre Israël est une nécessité pour défendre l’existence des peuples arabes.
- Les régimes du Golfe qui ont pris naissances sous la protection d’accords d’occupation avec les États-Unis, sont chargés de diviser les grandes sociétés arabes fortes de traditions patriotiques et historiques.
- L’islam extrémiste se met au service d’Israël.
- Le patriotisme est une valeur progressiste dans la défense de la souveraineté, mais il ne peut triompher sans rétablir la justice sociale et sans dynamiser le peuple avec des libertés et un pluralisme politique national.

La Syrie a gagné de ces évènements :

1) La réappropriation par le peuple du rôle que ses dirigeants lui avaient confisqué.
2) La reconquête par les Syriens de la liberté de parole ; tout Syrien interrogé par des journalistes se livre à des analyses politiques sur le plan local et international.
3) Les femmes ont devancé les hommes dans les manifestations et les analyses politiques.
4) Les jeunes ont trouvé l’espace qui permet leur dynamisme ; ils ont découvert la joie du travail bénévole et patriotique.
5) Un consensus national du refus de l’ingérence arabe et extérieure s’est manifesté.
6) Les évènements en Syrie ont attiré les penseurs et politiciens arabes qui ne se sont pas laissé corrompre par l’argent du Qatar, car ils ont compris que l’issue de la lutte en Syrie décidera du destin de la région et de l’avenir de la Résistance arabe.

Ces conclusions supposent que les dirigeants examinent leur parcours passé, leurs méthodes de travail, la raison de leur absence des régions qui ont connu la crise ; et qu’ils rendent des comptes au peuple syrien qui défend sa patrie.

Dr Nadia KHOST
Damas, le 3 mai 2012
Traduit de l’arabe par Anis El Abed

source : http://www.silviacattori.net/article3184.html

Dr Nadia Khost, romancière syrienne, réside à Damas. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, d’essais, et de nouvelles portant sur l’histoire, l’architecture, la conservation et la protection du patrimoine de la Civilisation Arabe.

[1] Il s’agit d’une éducation civique patriotique, qui était dispensée en tenue kaki (seul aspect « militaire » de cette éducation).

[2] Le président vénézuélien Hugo Chavez, soutient le peuple syrien dans sa résistance face à Israël et le droit de la Syrie à récupérer le Golan. Il s’est rendu en Syrie en 2006, 2009 et 2010.

[3] Le Dr Mounir al Hamash est économiste et directeur d’un centre d’études et de recherche.

[4] « La relation entre les revendications et la situation économique », par le Dr Mounir al Hamash, publié dans le journal Al Nour, avril 2012.

[5] Membres du Comité Ittihad ve tarakki (Comité Union et Progrès) en turc, ou CUP. Cette association secrète fondée à Salonique sous l’aile des francs maçons, a appelé à la liberté et à l’égalité et a organisé un coup d’État militaire qui a renversé l’Empire Ottoman. Elle a gouverné entre 1906 et 1918 et a engagé l’Empire dans la 1ère guerre mondiale. Elle a cédé les finances aux banques européennes et a exécuté, en 1915 et 1916, les représentants de la bourgeoisie arabe nationale qui s’opposaient à la cession de la Palestine au sionisme. Elle a commis le massacre des Arméniens en 1915-1916.

[6] La Russie a ouvert la porte aux pourparlers avec les différents courants de l’opposition ; une délégation de ce Front d’opposition s’est rendue en Russie ainsi que l’opposition du Conseil National Syrien présidé par Burhan Ghalioun, et les Comités de coordination.

[7] Le slogan « pacifique, pacifique » était entonné au début des manifestations (mars 2011). Il n’était pas encore évident pour tout le monde que ces manifestations censées êtres pacifiques étaient instrumentalisées par des provocateurs armés. Ce slogan a longtemps été revendiqué comme un signe de non violence par ceux qui ne reconnaissaient pas le caractère armé.


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