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Quand les médias jouent sur les pleurs et les peurs

Sur le drame du Chambon-sur-Lignon

Les journaux télévisés de ce week-end ont battu tous les records dans la dérive sensationnaliste en ouvrant les journaux télévisés, pendant 10 longues minutes, sur un fait divers. Le viol puis le meurtre (suivi de crémation) de la jeune Agnès par un de ses camarades de lycée.

Fait sans précédent, une réunion interministérielle a été convoquée ce lundi. En pleine crise économique et financière un fait divers retient toute l’attention d’un gouvernement aux abois.

Je souhaite dire quelques mots du traitement, par les médias (en particulier France 2, France 3 et France Inter) du drame survenu au Chambon-sur-Lignon - le viol puis le meurtre (suivi de crémation) de la jeune Agnès par un de ses camarades de lycée.

Comme souvent, mes remarques sont une critique du journal "en creux", c’est-à -dire de ce qui a été tu, passé sous silence, ignoré ou négligé.

1. Première remarque : les journalistes se sont largement épanchés sur la douleur des parents, des condisciples de la victime, mais aucun n’a eu un mot pour la douleur, la honte, la déréliction des parents et proches du présumé coupable. Or, avoir un proche criminel est aussi une grande douleur que d’avoir un proche victime, douleur psychologique, certes (comme celle des proches de la victime) mais aussi douleur morale, parce que personne ne se précipite pour vous soutenir, personne (à part quelques intimes) ne vous manifeste sa compassion.

Cette situation, pour les parents, est aussi injuste que celle qui frappe les parents de la victime, d’autant plus, en l’occurrence, qu’il n’y a pas de "déterminisme social" (les parents du meurtrier présumé ne viennent pas de la "banlieue", ils ne sont pas immigrés, ils ont même des revenus très corrects, pour payer les importants frais de scolarité du collège cévenol). Ce coup du sort est du même ordre que celui qui les atteindrait si leur fils avait été atteint d’une maladie génétique, d’un dérangement de son organisme - et, à bien des égards, ces pulsions de viol et de meurtre ne sont-elles pas, aussi, un dérangement de cette partie de l’organisme qu’est l’esprit ?

2. Deuxième remarque : les journalistes considèrent comme "anormal" qu’un individu - et, à plus forte raison, un jeune - commette de tels forfaits. Or, ce qui devrait être intégré, c’est que de telles horreurs, loin d’être anormales, sont, dans une société, "normales", entendu au sens d’inévitables. Il est statistiquement normal que, sur 65 millions de Français, des individus sortent de la norme, soit en "bien" (capacités physiques ou intellectuelles exceptionnelles), soit en mal.
On pourrait même estimer que, comme les accidents de la circulation, il est étonnant qu’il n’y en ait pas plus ! Chaque groupe social comporte nécessairement son lot de désaxés, névrosés, etc. et il est même heureux qu’il en soit ainsi et qu’on n’aboutisse jamais à une société "normative" qui, à coup de pilules, de vaccins, ou de modifications génétiques, remettrait ses membres dans une hypothétique "norme". Une telle société atteindrait le fond - si tant est qu’il y en ait - du totalitarisme...

3. Troisième remarque : la perspective de cet horrible fait divers change lorsqu’on le considère non dans son aboutissement (un meurtre) mais dans son origine (une désocialisation, une perte des repères). Or, cette désocialisation, cette perte de repères peuvent aussi bien prendre
les modalités, chez une jeune fille, d’une boulimie ou d’une anorexie, ou chez un jeune homme, de conduites à risque - prise d’alcool, vitesse excessive, recherche de dangers - qui aboutissent exactement au même résultat, soit pour l’individu, soit pour les tiers. Souvent, dans la nuit des samedis aux dimanches, de jeunes conducteurs précipitent leur voiture de plein fouet contre un arbre, contre un mur ou contre un autre véhicule, en tuant trois, quatre ou cinq personnes. La plupart du temps, cela ne fait l’objet que d’une brève, qui ne dure guère plus que quelques secondes - et qui ne passe qu’une fois. Or, quelle est la différence, pour les parents, par rapport à ce qui est survenu au collège cévenol ?

4. Quatrième remarque : parmi les causes qui aboutissent à mourir avant la majorité, le meurtre est l’une des plus rares. L’énorme majorité de jeunes qui meurent avant 20 ans périt d’accidents de la circulation, d’accidents domestiques, de noyades, de chutes d’arbres, de murs, d’immeubles, etc. Le premier souci des parents devrait être de protéger leurs enfants contre tous les dangers - et pas seulement contre celui de meurtre. Dans la focalisation sur ce type de danger, il y a la même irrationalité que dans la phobie des requins alors que les attaques de ces derniers, par an, ne concernent pas plus qu’une dizaine de cas - infiniment moins que les seules piqûres de guêpes, abeilles ou frelons, ou que les morsures des "braves toutous" de la maison...

On peut même se demander, parfois, si la société, plutôt que de chercher à prévenir un acte (viol, crime) ou un fait (mort violente) ne cherche pas davantage à punir un acteur (violeur, criminel) dont elle nourrit une idée préconçue : noir, arabe, immigré, chômeur, déviant (trop volubile, trop taciturne, trop bruyant...). Tout se passe comme si la volonté de punir préexistait à la raison censée l’avoir suscitée.

Philippe Arnaud, Tours.


En complément  : Communiqué du Syndicat national des journalistes.

Quand les médias jouent sur les pleurs et les peurs.

Le fait divers du Chambon-sur-Lignon a une nouvelle fois été utilisé par de nombreux medias audiovisuels pour faire du « sang à la une ». Audimat oblige, mais pas seulement.

Les journaux télévisés de ce week-end ont battu tous les records dans la dérive sensationnaliste en ouvrant les journaux télévisés, pendant 10 longues minutes, sur un fait divers. Pour qui ? Pour quoi ?

Les détails les plus macabres ont été dévoilés au grand public ; un reportage dans le village d’où est originaire le meurtrier présumé est venu clore ce grand déballage sordide. Les affirmations des responsables du collège-lycée Cévenol ont été livrées sans aucune réserve alors que les faits semblent plus nuancés.

Comme par hasard, on remarquera que ce matraquage honteux qui joue sur les peurs et les douleurs, a également été utilisé avec avidité par Sarkozy et son entourage pour s’en prendre à la magistrature, aux psychiatres. C’est une nouvelle fois un prétexte pour la politique « sécuritaire ». Il s’agit de faire passer l’idée que tout mis en examen serait un récidiviste en puissance.
Fait sans précédent, une réunion interministérielle a été convoquée ce lundi. En pleine crise économique et financière un fait divers, aussi dramatique soit-il, retient toute l’attention d’un gouvernement aux abois. S’il doit se réunir après chaque fait divers, il devra bientôt siéger en permanence, laissant aux agences de notation, aux traders et aux fonds d’investissement la gouvernance du pays.

Cette dérive médiatique est pour le SNJ-CGT d’une gravité extrême niant le rôle social du journaliste et la hiérarchisation de l’information.

Nulle volonté pour nous d’occulter une information même un fait divers, mais de là à ouvrir des journaux radio et télé pendant 48 heures, n’est-ce pas faire le lit des forces les plus rétrogrades, du parti de la haine ?

Le rôle des journalistes est de traiter l’information avec le recul nécessaire et suffisant, mais sûrement pas de tomber dans le sensationnalisme le plus morbide. Aujourd’hui, pour le SNJ-CGT, plus que jamais, il faut imposer aux directions une véritable hiérarchie de l’information, plutôt que de rejoindre le camp de la « psychose » de Sarkozy.

En un mot, les journalistes doivent entrer en résistance.

En 2002, nous dénoncions déjà ces graves dérives auxquelles se prêtent certains patrons de médias, chaînes de télévision et radios.

Le 1er tour d’avril 2002 avec Le Pen en 2ème position n’a-t-il pas servi de leçon aux apprentis sorciers de tout poil ? Vous avez dit irresponsable ?

Montreuil, le 22/11/2011

Syndicat national des journalistes CGT 263, rue de Paris - Case 570 - 93514 Montreuil Cedex

Tél. : 01 48 18 81 78 - Télécopie : 01 48 51 58 08 - Courrier électronique : snj@cgt.fr - site Internet : www.snj.cgt.fr

COMMENTAIRES  

23/11/2011 08:13 par legrandsoir

Précision du GS : le chapeau (ou chapô pour les professionnels) de cet article est du GS. Il s’agit de passages pris dans le texte de l’article de Ph. Arnaud et du communiqué du SNJ-CGT.

L’article de philippe Arnaud commence donc par : "Je souhaite dire quelques mots du traitement, par les médias...

C’est mieux de le dire.

23/11/2011 08:30 par roland

Il s’agit de Chambon-sur-Lignon, et non pas Chambourg. :o)

23/11/2011 10:22 par legrandsoir

Chambon, oui, comme écrit d’ailleurs dans l’article.

Merci de votre vigilance, c’est corrigé.

23/11/2011 08:37 par yapadaxan

Article pour le moins intéressant et indispensable. En creux, il y a la question de la "norme". Si l’on montre l’a-normal, c’est en référence, au moins implicite, du normal. Qu’est-ce que ce normal ? Là est toute la question à laquelle je vais follement tenter de répondre.

Le normal serait celui qui, au coeur même d’une société violemment en crise, manifesterait peu de réactions. Il irait bosser ou pointer au chômage, il voterait UMP, PS, FN ou écolo aux élections de façon régulière. Il serait abonné à Canal +, serait consommateur de films et séries, en particulier US, fermerait sa putain de grande gueule face à l’idéologie trimballée par ces hollywooderies niaisotes, se fendrait grave le parapluie et rigolerait comme une baleine en regardant une comédie française bien lourde et bien grasse.

En cas de guerre, le mec normal aurait forcément le même point de vue que Washington : anticommuniste, mais pas primaire, antiislamiste à fleur de peau, soulagé d’entendre tomber les bombes, râler les agonisants et jouissant démocratiquement à la mort d’un ben Laden ou au spectacle du meurtre en direct de Kadhafi. Il va de soi que le mec normal ne boit pas, ne fume pas, ne baise que madame, bosse sans rouscailler, accepte les hausses d’impôts, les jours de carence, la stagnation du salaire et du pouvoir d’achat, comprend les raisons du chômage, de la récession, n’en veut pas vraiment à ceux qui s’en mettent plein les fouilles.

Le mec normal est contre la mort dans l’arène, pour la défense des animaux, il traverse dans les clous, passe au feu vert, boucle sa ceinture et sa gueule, fait la queue sans moufter, se noue la cravate, fait sa raie au milieu, est un gentil voisin, toujours souriant, vote Marine, aime même les Arabes, un peu les Noirs. Il se rend au PMU, honore le Beaujolais nouveau, se rend sur la tombe du soldat inconnu, n’est pas malade et meurt discrètement un dimanche soir, avant le film, sans faire chier personne.

23/11/2011 08:47 par yapadaxan

@u GS,

C’est pas Chambourg sur Lignon, mais Chambon sur Lignon...

23/11/2011 10:21 par legrandsoir

Chambon, oui, comme écrit d’ailleurs dans l’article.

Merci de votre vigilance, c’est corrigé.

23/11/2011 10:47 par philg

Je trouve pour ma part deplaces de la part des medias de se servir de se servir de ses faits divers certes atroces mais qui ne regarde que les victimes et leur famille ! Les journalistes tels des vautours aiment s’epancher sur ces histoires morbides qui font pleurer dans les chaumières et relèvent l’audimat :-( Autre effets voulu de s’étendre sur ce genre de faits c’est encore une fois de détourner l’attention de l’opinion et pour le pouvoir en place l’occasion de justifier des mesures sécuritaires supplémentaires et donne bien souvent l’occasion de stigmatiser certaines catégories de populations du moins dans l’imaginaire collectif ! Je ne dis pas que le viol ou le meurtre d’un enfant est sans importance, c’est certe une chose douloureuse qui ne peut que nous indigner mais doit on ajouter a la douleur des familles ces étalages médiatiques.. et salir la réputation de la famille du coupable ou du présumé coupable qui est souvent dans le cas ou il est innocente marqué à vie et considérés comme criminel par l’opinion.
Il y a toujours eu malheureusement des affaires de ce genre aujourd’hui même moins que dans les siècles derniers, seulement aujourd’hui on en parle plus !

23/11/2011 11:22 par Rodrigue

Si les psychopathes ont toujours existé, il serait sans doute pertinent de comprendre pourquoi nous en fabriquons à la chaine et de plus en plus tôt. Il n’est pas inintéressant de lire le journal d’un jeune qui s’est suicidé après avoir tué une bonne dizaine de ses camarades. Lars Noren en a tiré une pièce : 20 Novembre. Par ailleurs un passage de quelques jours dans un collège permet surtout de se demander pourquoi tous ces comportements déviants ne se produisent pas plus souvent tant l’état des élèves est désespéré. Ce qui semble curieux, c’est bien comment, malgré toutes ces contradictions folles, la majorité des enfants reste quasi-normale, bien que fortement modifiée par rapport à leur grands parents

23/11/2011 12:08 par yo

Comme Yapadaxan, je pense que la question centrale dans ce morbide déballage médiatique est bien celle de la norme.

Mais au delà de la marginalisation du hors norme que ce type de démarche provoque, le problème est également celui des politiques que cela va permettre d’enclencher. Souvenez-vous du dépistage au plus jeune âge de la délinquance. Je ne serais pas étonné que cette idée totalitaire ressorte suite à cette mise en lumière de ce "grave problème de société".

C’est toujours au travers de la peur et de l’exagération du risque que sont pondues les normes en tout genre qui standardisent la société, et le vivant dans son ensemble. De la production alimentaire à la transformation des aliments, de la naissance à la mort d’un individu, tout objet vivant est remodelé autant que faire se peut pour le conformer à la norme. Pareil pour les techniques, l’artisanat étant évincé par les normes industrielles, toutes les maisons se ressemblent, tous les pantalons, les outils etc, faisant fi de la variabilité des contextes et de l’adaptation évidente à leur milieu que devrait subir tout objet. Même l’éco-construction est normée, un nom sens total quand on prétend que ce type de construction doit s’adapter à son milieu pour y avoir un impact le plus faible.

Et toutes ces normes qui profitent aux industriels et à un pouvoir totalitaire ont été crées suite à des crises mineures, des accidents, des abus, qui ont servi d’argument sécuritaire à "l’égalisation", comme ils disent, mais je ne crois pas que ça soit à cette "égalité" là que devait faire référence la devise de notre pays.

Petit à petit, les normes effacent la diversité de nos pratiques, et comme des plantes cultivées, lorsque nous seront tous les même, que nous auront tous les mêmes moyens d’action, et de réaction à notre environnement (au sens large), la première crise nous écrasera tous de la même manière.

Ce qui est important face à ce genre d’entreprise médiatique, est bien d’empêcher que cela débouche par voie d’amalgames sur des mesures qui n’ont rien avoir avec la réalité du monde et la complexité de l’être humain et de la nature. Protégeons notre diversité, elle est notre principal allié. La nature et l’Homme ne sont pas hostiles, ils sont complexes, refusons donc la facilité qui veut les normaliser pour mieux les contrôler !

23/11/2011 12:10 par Palmer

"Les journaux télévisés de ce week-end ont battu tous les records dans la dérive sensationnaliste en ouvrant les journaux télévisés, pendant 10 longues minutes, sur un fait divers. (...)"

LeGrandSoir

Désolé Camarades mais ce que vous nommez de la "dérive sensationnaliste " n’est rien d’autre que de la pornographie propagandiste !

Ceux qui n’ont pas encore compris dans l’hexagone que la totalité des médias (propagandistes antisociaux putrides) sont à boycotter à 100% sont des simples d’esprit ou des pervers !!!!

23/11/2011 12:51 par Laurent

Quand est-ce que quelqu’un aura l’idée de demander au CSA l’attribution d’un canal sur la TNT pour créer une TV d’informations alternatives ?

A l’heure où la première chaine nationale ambitionne de diffuser des spots publicitaires en plein JT, comme certaines chaines anglo-saxonnes et outre-manche, alors qu’à l’époque de sa privatisation il avait été "juré" que la "une" serait une chaine culturelle où on aurait droit en prime time à de l’opéra...il y aurait urgence.

Pour ceux qui aurait oublié les belles promesses ensuite de la privatisation de TF1 au milieu des années 80 par messieurs Bouygues et Le Lay ; http://download.audioblogs.arteradio.com/3043369_tf1.mp3

23/11/2011 13:07 par yapadaxan

La démocratie factice dans laquelle on nous enferme définit "la" norme. Et même ne fait que ça.

Citoyenneté, consommation, contribution, loisirs, tout n’est que renvoi à cette norme. C’est une norme que l’on nous fabrique et dans laquelle nous devons tous entrer.

Logement (affreusement identique d’un lieu à l’autre), mode vestimentaire et culture de l’apparence (jusqu’au découpage de la silhouette), auto (fabriquée en série), cimetière (peuplé des mêmes pierres tombales), enseignement réputé fièrement le même pour tous et chacun), la culture (l’enfance avale le même Harry Potter, esgourde le même top 50, mate le même dernier Hollywood et bouffe au même Mc Do, jusqu’à Pékin ou Moscou).

Bref, on sort de la même matrice et on est fabriqués à la chaîne par le fordisme industrialo-commercial de la biologie et de la psychologie. On est déjà clônés.

Au fond, c’est plus une norme, c’est une marque de fabrique.

Le fou est ce sage qui ricane sardoniquement. Un Nagasaki de la révolte, en fait.

23/11/2011 14:20 par Djino

C’est un peu tiré par les cheveux...
Même s’il est statistiquement normal que des désaxés en viennent au meurtre, il me semble également normal de diaboliser ça de manière à ne pas marginaliser cette horreur. Même si c’est "normal", personne ne devrait le considérer comme tel, sans pour autant en venir à la prise de pilule / manipulation génétique...
La différence entre ce fait divers et les accidents, c’est que ceci n’est précisément pas un accident. C’est volontaire.
Sans réellement se soucier des gens (proches de la victime ou du criminel), il faut avant tout condamner l’acte, CE QUI A ÉTÉ FAIT volontairement.

23/11/2011 15:12 par AP Kotchik

Les faits divers sont un matériau classique de la propagande afin de faire diversion, c’est un truisme que de le rappeler...

«  La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. Or, en mettant l’accent sur les faits divers, en remplissant ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on écarte les informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ces droits démocratiques. »

Pierre Bourdieu

23/11/2011 15:16 par dominique

Il est instructif de se rappeler les expériences de Laborit sur les souris. Une souris qui peut echapper à une décharge en changeant de cage avant la décharge n’a pas de problèmes de santé. Une souris enfermée seule sans pouvoir échapper aux décharges somatise et tombe malade. Deux souris enfermées sans pourvoir échapper aux décharges mais qui peuvent se battre entre elles, restent en bonne santé comme la première souris.

Donc plus on est enfermé dans des situations insupportables, plus on a besoin d’adversaires pour rester en bonne santé sans doute parce que ça permet d’extérioriser les tensions...
La dramatisation des faits divers et la "punition" du méchant pour le même rôle que la xénophobie, l’islamophobie
et les guerres contre les "dictateurs" libyens, etc...

Il s’agit de donner un exutoire au peuple pressé comme un citron par l’oligarchie internationale...

23/11/2011 15:46 par yapadaxan

Les media télévisuels prennent la décision d’informer. Ce faisant, il leur incombe, en principe, des devoirs ressortissant à l’éthique et à la déontologie.

Et cela devrait aboutir à délivrer l’information de façon la plus distanciée possible, sans flirter, et encore moins sombrer, dans l’émotionnel.

Ce qu’ont fait les JT, lors du drame de Chambon sur Lignon, c’est rien moins que d’exploiter la fibre sensible à seule fin de refiler tel quel le bébé au pouvoir politique. Heureux de l’aubaine, Sarko a su flatter son auditoire en improvisant une grande messe dramatique à souhait. La ligne à suivre était facilement le "drame", l’irréparable et la sécurité.

Voilà à quoi servent les faits divers au jour d’aujourd’hui : à faire jouer les violons. On abreuve les téléspectateurs de détails bien réalistes, histoire de créer une ambiance, on insiste lourdement, on obtient un public tout juste prêt à tout avaler.

C’est une tendance, très nette et très lourde, qui caractérise nos JT de plus en plus : l’émotion, l’hyperdramatisation. Obtenir une opinion publique traumatisée, choquée, réagissant par l’affect et le subjectif. Ca nous éloigne du raisonnement froid et critique, ça fait de nous des gens prêts à partir le fusil sur l’épaule.

Ce qui relie le meurtre de Kadhafi et celui de l’adolescente est cette catharsis par l’hyper émotion. Outre que c’est indécent, c’est dangereux pour l’état démocratique.

23/11/2011 19:14 par Philippe Arnaud

Réponse à Djino (de la part de l’auteur)

Ce qui est arrivé au Chambon-sur-Lignon est aussi un accident : collectivement, la notion d’acte "volontaire" n’a aucun sens. Et ce pour plusieurs raisons.

1. D’abord parce qu’il est inévitable, compte tenu de l’extrême variété des comportements humains, qu’il y ait des crimes, comme des suicides, comme des adultères, comme des vols, bref comme tout ce qui dévie de la norme.

2. Ensuite parce que la "volonté" n’est pas plus présente dans le cas d’un crime qu’elle ne l’est dans celui d’un accident de la circulation. En effet, bien que l’on sache qu’il est dangereux de boire avant de conduire, nombreux sont ceux qui, en toute connaissance de cause, boivent. Et nombreux aussi sont ceux qui dépassent les vitesses autorisées. Lorsqu’un accident survient - pour l’une ou l’autre de ces raisons ou pour les deux cumulées - il a eu comme origine l’acte volontaire de boire, de conduire vite ou de griller une priorité.

3. Enfin parce qu’en cas de crime (et, en l’occurrence celui de la jeune Agnès, doublé d’un viol) la "volonté" est oblitérée. La pulsion qui pousse un sujet à violer ou à tuer est quelque chose de plus fort que sa "volonté".

Dernier point : ce qui est important n’est pas la façon dont meurt un individu donné (et, plus particulièrement un jeune) mais le FAIT qu’il meure. Pour des parents, l’essentiel est que leurs enfants ne meurent pas, au moins dans la période où ils ne sont pas pleinement adultes. Or, parmi les causes de mort violente des jeunes, les crimes ne constituent qu’une très faible proportion.

Il est bien plus important, pour les parents - ou pour la société - de diminuer la totalité des causes de mort violente des enfants plutôt que de se concentrer, de façon démagogique et pleurnicharde, sur les seuls crimes. Il y a beaucoup plus de jeunes qui meurent d’accidents de voiture après s’être saoulés en discothèque que de jeunes qui meurent d’assassinat. Or, bien que cela se fasse dans les pays scandinaves, on n’a jamais pris de mesures drastiques contre l’alcoolisation des jeunes. Or, ces mesures - qui existent - épargneraient davantage de vies que d’hypothétiques mesures sécuritaires contre d’hypothétiques criminels.

Philippe Arnaud

23/11/2011 22:06 par Sébastien

Article et commentaires en tous points remarquables et très politiquement incorrects ! Je me fais souvent ce genre de réflexions mais je les garde pour moi...
En effet, nous n’arriverons jamais à éradiquer totalement tel ou tel acte. La fameuse "tolérance zéro" renvoie à une autre notion, celle du "risque zéro", qui renvoie elle-même à celle du "zéro défaut". Bonne image du monde moderne, non ?
Plutôt que la recherche binaire victime/coupable, nous devrions envisager les problèmes dans leur ensemble pour éviter tous les petits cailloux qui mènent à ces drames, QUEL QU’EN SOIT LE FACTEUR DECLENCHEUR.
Et qu’on ne me sorte pas l’argument pré-enregistré qui sert à clore le débat par un "encore un qui cherche à excuser les coupables". Alors on répète pour les bouchés du ciboulo : expliquer et comprendre pour empêcher les malheurs n’est en rien un signe de faiblesse. Je suis loin d’être "un laxiste" mais à un moment, il faut se poser des questions. Mieux vaut prévenir que guérir. Si on pense aux victimes, le mieux n’est certainement pas la vengeance car elle ne ressuscite pas les morts. Certains justiciers à deux balles (dans la tête ?) n’ont pas la capacité de le comprendre.
Et comme on est sur la voie du populisme de bas étage à tous les étages (notion plus que partagée par le pouvoir en place mais par le FN aussi hélas, ce qui en fait un partie aussi banal que les autres), c’est pas gagné...
Pour prendre un exemple, que fait-on des drames familiaux dans lesquels un père de famille (mais les femmes peuvent aussi obtenir l’égalité dans ce domaine, tout va bien) tue tous ses membres puis se suicide ? Bizarrement dans ces cas-là , on entend les mouches volées, et pourtant, quel honte et quelle humiliation pour l’ensemble de la société. Et quel échec.

24/11/2011 12:29 par yapadaxan

Comment peut-on raisonnablement attendre qu’il n’y ait pas de comportements déviants dans nos sociétés ?

Ce sont les Etats qui ont obligés leurs peuples à se livrer à une guerre de tranchées pendant 4 ans jusqu’à "produire" des millions de morts. Ce sont ces mêmes Etats qui ont mis le monde à feu et à sang durant la 2nde guerre mondiale. On ne va pas énumérer, un à un, tous les conflits depuis Hiroshima, mais quand même voilà qui donne pour le moins à réfléchir. Prenons conscience que toute l’activité scientifique et technique, ce que l’on appelle le progrès, est tournée vers l’invention d’armes de destruction de masse. Ce sont les élites intellectuelles qui participent à fabriquer la mort. J’ai quand même l’impression que le collectif "intellectuel" que nous sommes s’empresse de le refouler, de ne pas en tenir compte, de ne pas l’intégrer lors de réflexions critiques à propos de notre système.

Comment ne pas mesurer, dans toute sa profondeur ni toute sa signification, l’inhumanité barbare qui prévaut dans les rapports sociaux. Le chômage à lui seul est un drame vécu à des millions d’exemplaires, et ce au-dedans des replis des plus profondes et obscures intimités. Le chômeur est celui qui est réputé ne rien valoir. Pire, il est une charge à la société. Et des millions d’individus se voient condamnés à intérioriser cette nullité à laquelle ils se voient réduits.

Les rapports sociaux, les rapports humains ne sont que violents. Ajoutons-y le racisme, l’islamophobie, toutes les formes d’ostracismes. La Palestine offre cet étrange spectacle d’un peuple et d’une nation punis à la face du monde sans qu’il soit possible de l’expliquer logiquement. Survolons les taudis, les bidonvilles, attardons-nous sur ces pays où l’on meurt de faim, de soif, de maladie, de pauvreté. Et il faudrait quoi ? Que nos sociétés renvoient l’image de la concorde ? De l’harmonie ? Du bonheur d’être ensemble ?

En effet, le crime horrible nous dit qui nous sommes vraiment. Lorsqu’il a lieu, le crime horrible effraie. Mais ne nous y trompons pas. Les cris d’indignation ne s’indignent pas du crime lui-même. Ils s’indignent de ce que nous sommes. Et que nous entendons bien refouler. Aussi. Par lâcheté.

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