Progressisme et idiots utiles : le cas chilien

Chili, août 2011 : Alors que les mouvements étudiants sont plus que jamais mobilisés contre la réforme de l’éducation promue par le gouvernement, et alors que se prépare dans le pays une grande grève générale lancée à l’appel des mouvements sociaux chiliens, le président Sebastian Pinera (un milliardaire ultra-libéral qui a succédé à la social-démocrate Michelle Bachelet l’an dernier et qui n’a pas hésité à s’entourer d’anciens hauts responsables du régime de Pinochet) annonce le dépôt d’un projet de loi ouvrant le droit à la reconnaissance civile des couples homosexuels.

Une mesure considérée comme progressiste par l’ensemble des mouvements de gauche dans le monde entier (à juste titre), mais qui ressemble étrangement à une tarte à la crème politique.

En effet l’on constate depuis plusieurs années déjà , qu’au fur et à mesure que les partis de gauches dits "de gouvernement" se soumettent à la dictature des marchés financiers et au dogme ultra-libéral, ceux-ci multiplient les mesures et les propositions sociétales progressistes. En revanche rien ou si peu au niveau social (si ce n’est les miettes de l’immense gâteau). Les ultra-libéraux de tous poils semblent avoir compris que le progressisme sociétal sans le progressisme social était une excellente arme.

Le propos n’est évidemment pas ici de critiquer les avancées sociétales mais de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces mesures sont tant mises en avant par des partis alignés sur l’idéologie capitaliste. La plupart de ces mesures étaient pourtant considérées il y a encore quelques décennies comme "subversives" voire dangereuses par les pouvoirs en place, elles semblent donc l’être beaucoup
moins de nos jours à en observer les situations des différents pays où elles ont été adoptées.

Mieux, elles servent désormais de paravent aux échecs des gouvernements de gauche sociaux démocrates comme de droite.

Le cas cité plus haut concernant le président chilien Sebastian Pinera en est un exemple flagrant, en effet celui-ci annonce le dépôt de ce projet de loi au moment où il est au plus bas dans l’opinion et la récente réforme de l’éducation privilégiant les élèves les plus aisés n’a rien arrangé.

Comment ne pas voir dans l’annonce faite une tentative de (re)séduire une partie des classes moyennes chiliennes et la communauté homosexuelle alors que les classes populaires souffrent toujours plus des mesures du président et de son gouvernement depuis sa prise du pouvoir l’an dernier.

Certes il existe des homosexuels dans toutes les classes sociales de la société chilienne c’est une évidence, mais la chilienne ou le chilien modeste est certainement plus préoccupé(e) par l’amélioration de sa condition de vie désastreuse et celle de sa famille et de ses proches, que par la reconnaissance du l’union des couples homosexuels (du moins cette mesure lui semblera t-elle anecdotique au vu de sa situation de classe).

Ou bien l’on choisi d’affirmer que les classes sociales et la domination qui en résulte n’existent pas et que dès lors les droits individuels (individualistes ?) priment sur tout le reste.

Mais ce serait une étrange contradiction pour des individus qui combattent le système capitaliste.

La récente adoption du mariage homosexuel dans l’Etat de New York aux Etats-Unis avec l’appui de voix républicaines est venue à nouveau démontrer l’importance de lobbys où priment ces droits individuels bien au delà des étiquettes politiques.

Un véritable progressiste de gauche ne devrait-t-il pas s’atteler à faire primer le collectif et le social tout en défendant toutes les mesures sociétales progressistes dont fait partie le mariage homosexuel ? Nous assistons malheureusement à la montée en puissance de lobbys communautaires défendant les droits individuels, laissant de coté le véritable changement social.

En France, l’on peut être certain que si le Parti socialiste revient au pouvoir en 2012, le mariage homosexuel sera l’une de ses mesures phares, alors que l’on pourra toujours attendre en vain qu’il affronte le grand capital et les marchés financiers. Ils emboitera ainsi le pas de l’Espagne et du Portugal (dirigés alors tous deux par des partis sociaux-démocrates) qui ont adopté cette législation (en 2005 et 2010).

Le Progressisme, le vrai, est celui qui allie les droits collectifs et les droits individuels, celui qui défend l’universalisme et non le communautarisme, quel qu’il soit.

La transformation sociale collective doit être l’élément central du combat politique
de la gauche "radicale".

Mettre en avant les constats et analyses ci dessus et dire que le mariage homosexuel ne dérange pas la droite et le système ultra-libéral ne doit pas entrainer des réactions pavloviennes basées sur un dogmatisme idiot qui arrange la droite et la fausse gauche.

Pour exemple un pays comme l’Argentine a très bien su mêler les avancées sociales et sociétales, en légalisant notamment le mariage homosexuel en 2010 tout en prenant parallèlement des mesures sociales importantes contre la pauvreté (allocations, retraite, droit du travail) et la finance vorace.

Pourtant l’Argentine est loin de vivre une révolution sociale de type vénézuelienne et sa présidente est plus proche du jospinisme que du chavisme.

Il est donc temps, plus que jamais, d’êtres vigilants et de réfléchir au sens primordial du combat que nous menons afin de ne pas être les idiots utiles du système et de l’idéologie que nous combattons.

Frédéric André

COMMENTAIRES  

01/09/2011 12:03 par Marie

Tout à fait d’accord avec cet article !

Juste une remarque, en tête d’article n’est ce pas plutôt Aout 2011 ?

Amitiès d’une lectrice assidue du Grand Soir qui ne prend pas souvent le temps d’intervenir....même si elle en a souvent l’envie !

J’aurai le plaisir de vous voir à la fête de l’huma, avez vous déjà vos plannings dans les différents stands ? notamment celui du débat ?

Marie

Cuba Si Lorraine

01/09/2011 12:16 par yo

En effet le progressisme sociétal se vend mieux à l’heure actuelle que le progressisme social. Dans ce monde libéral, la société de consommation a placé l’individualisme, et donc la "liberté" de l’individu de faire ce qu’il souhaite, même (et surtout) aux dépens des autres, au premier plan. Toute atteinte aux libertés individuelles est donc pointée du doigt avec vigueur (l’Islam prioritairement) quand ça nous arrange, tandis que le progressisme social n’est pas considéré comme une valeur universelle, mais comme découlant d’une orientation politique, idéologique, et est donc soumis à caution.

De plus, ceux qui ont les moyens de revendiquer le progressisme sociétal sont souvent ceux qui sont plutôt favorisés par le système social inégalitaire en place, d’où une meilleure appropriation des canaux médiatiques et informatiques pour la diffusion de leurs revendications. Ainsi vu de chez nous, la donne est faussée. En Iran, le principal souci de la population (mais quelle population ?) semble être l’accès à des "libertés individuelles", tandis que les efforts réalisés par Ahmadinejad pour plus d’équité sociale, salués par la population qui l’a réélu, ne pèsent pas du tout dans l’opinion que nous nous faisons de ce pays en occident, et ça nous arrange bien car c’est justement cette politique sociale (entre autres) qui dérange l’occident.

Toutes proportions gardées, la comparaison avec le chili est frappante car c’est l’inverse qui se passe et cet article, avec une argumentation simple et évidente, pointe le doigt sur la question centrale de la diversion médiatico-politique qui nous inonde de problèmes secondaires que nos tristes gouvernements viennent régler (ou pas) en héros tandis qu’ils laissent sur le tapis tous ceux dont les revendications sont suffisamment bien tues.

Malheureusement, au final, l’histoire nous a déjà montré que le progressisme sociétal sans progressisme social, en renforçant les inégalités, enfonce les sociétés dans une voie qui finit souvent par remettre en cause le progrès sociétal lui même au fur et à mesure que le fascisme s’installe (regardez les débats de société réac qui animent la France aujourd’hui). A l’opposée, le progressisme social, même sans volonté initiale de progressisme sociétal, semble permettre à terme une évolution des mentalités vers le respect et une progressive intégration du progrès sociétal. Le cas de Cuba est flagrant à ce niveau, mais a nécessité que le modèle social survive 50 ans pour laisser au temps faire son travail dans les mentalités. En Iran, sans la pression occidentale qui provoque inévitablement une réaction sociétale, je suis certains que cette évolution se ferait aussi, et elle se fait déjà , mais à petits pas, mais lui laissera-t-on le temps d’aller jusqu’au bout, pressés que nous sommes soi disant de libérer ces pauvres gens de l’entrave islamique ?

01/09/2011 16:19 par Bidule Chose

Bizarrement, je suis conservateur sur cette question... bien qu’étant de gauche, voir d’extrême gauche dans mes idées de sociétés, je suis rétrograde sur le plan de ce qui représente pour moi des "déviations" sexuelles...

Bon sans faire mon troll, je vois pas en quoi être attirer par une personne de même sexe est moins condamnable qu’être par exemple attirer par les animaux, voir par les enfants à terme... si c’est une question biologique, on peut bien être attirer par tout et n’importe quoi.

Ma théorie c’est que les gens font tout pour entrer dans un certain type de "moule comportemental", certaines personnes sont un peu fleur bleu/timide voir moins mâle (puisque moins obséder par l’esprit de compétition et tout l’imaginerie du prototype homo sapiens parfait) mais n’arrive pas à être attirer par l’image de la femme actuel dans les médias et donc par extension se transforme en leur propre fantasme (ou bien devienne de pauvre geek esseulé comme moi,snif)...ceci ajoutant à un traitement médiatique plus positif de nos jours plus une certaine forme de camaraderie masculine et puis une meilleur connaissance dans l’anatomie de son partenaire ce qui évite les déboires qui peuvent être traumatisantes avec une partenaire différente/inconnue, ect...

Enfin pour moi tout cela n’a rien de normal, je dois être d’une autre époque...Quelqu’un peut me dire comment me faire soigner ?:p

02/09/2011 11:41 par Adrien

Le titre, associé à l’illustration, créent une accroche ravageuse !
Et dans son article l’auteur arrive à faire passer son message sans taper sur le mariage homo qui n’est qu’un exemple de mesure sociétale. Subtil et rigoureux.
Merci ! Well done !

03/09/2011 17:16 par red

est-ce que la société Chilienne devient une société plus tolérante plus démocratique pour autant le "droit des homosexuels" est toujours une lutte et dans certains pays c’est la mort.
L’habileté en politique ou l’opportunisme c’est peut-etre cela faire passer au premier plan des combats qui ne sont pas des combats de classe qui engagent la collectivité et permettent une amélioration des conditions de vie des populations démunies en tout cas les plus fragiles. Le combat des" homos "s’inscrit dans une démarche individualiste mais aussi il révèle un engagement ou un questionnement vers plus de démocratie c’est une lutte contre les discriminations et en ce sens il nous interroge homo ou pas.EST-ce que le combat contre l’homophobie peut empecher une dictature ? On souhaite a tous les "homos" Chiliens de pas etre que des"idiots utiles" et si possible de s’engager vers des luttes moins sectaires ne serait-ce que pour reconquérir l’espace public avec le peuple entier. VIVA LA REVOLUTION

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