Algérie Patriotique : L’actualité est dominée par l’accord sur le programme nucléaire iranien, qu’en pensez-vous ? Qui cet accord arrange-t-il le plus ?
Robert Bibeau : L’accord Iran-États-Unis à propos de l’industrie nucléaire iranienne a été accepté par les représentants de l’Iran, suite il est vrai à un embargo et à des sanctions américaines et européennes illégales (en droit international).
Tout de même, c’est le choix du gouvernement iranien légitime de convenir d’une telle entente. L’indépendance de la nation iranienne lui donne le droit de signer les accords qui lui conviennent. Tout autre peuple ou nation ne peut que s’incliner devant la volonté du gouvernement de l’Iran concernant ses relations internationales avec l’impérialisme étasunien. Cependant, on est en droit de se demander pourquoi n’y a-t-il pas réciprocité ? Où est l’accord États-Unis-Iran sur le nucléaire étatsunien ? Après tout, l’Iran n’a jamais lancé de bombe nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki.
J’espère toutefois que par cet accord l’Iran ne renonce pas à son programme d’enrichissement nucléaire et de développement d’une industrie de l’énergie nucléaire. J’espère que l’Iran ne renonce pas à ses droits légitimes et fondamentaux car l’Iran représente le symbole d’un État tenant tête à l’une des grandes alliances impérialistes spoliatrices [1].
En termes géostratégique cet accord révèle qu’un grand réalignement des forces impérialistes mondiales est en cours. Je m’explique :
Les États-Unis d’Amérique, grandement affaiblis sur le plan économique, industriel et financier, ont de moins en moins les moyens militaires de leurs ambitions hégémoniques. Après leurs échecs militaires répétés en Afghanistan – d’où ils sont chassés par les Taliban, des gueux armés de dynamite et de fusils – et en Irak où après avoir détruit le pays ils ont laissé en plan une guerre civile larvée qui demain pourrait couper les exportations de pétrole de ce pays. Présentement, seule l’intervention impérialiste de l’Iran dans les affaires internes de l’Irak, par milices chiites interposées, permet au pétrole irakien de sortir du pays pour approvisionner l’Europe et le Japon.
L’échec en Libye où la guerre civile pourrait là aussi, d’un jour à l’autre, perturber l’exportation du pétrole vers l’allié européen.
L’échec de l’agression militaire en Syrie que les monarchies du Golfe maintiennent à flot via des bandes de mercenaires armés (pseudo djihadistes) qui seront peu à peu exterminées par l’Armée arabe de Syrie et ses milices. Bref, les États-Unis, obnubilés par leur grand ennemi, la Chine, ont décidé de jeter du lest sur le front iranien et de recentrer leurs activités militaires vers l’Asie-Pacifique, là où se jouera le prochain grand cycle impérialiste.
Pour le moment l’Union européenne joue les faire-valoir et suit la parade dans ce foutoir, avec le président Hollande de France qui comprend bien la joute en cours, mais ne sait pas quelle position adopter au nom de son pays en ruine (financièrement parlant).
La France, telle la grenouille se croit capable de prendre la place du bœuf étasunien sur la scène du Moyen-Orient et de l’Afrique. Le prochain printemps africain devrait lui faire réaliser la futilité de ses visées hégémoniques.
C’est la raison pour laquelle, au moment où l’accord sur le nucléaire iranien se conclut à Genève, au grand dam de Netanyahou, le petit président français déambule en Israël afin d’offrir ses bons offices aux sionistes désemparés, pensant ainsi récupérer la mainmise sur l’État impérialiste sioniste comme avant la guerre des Six Jours.
Mais le monde a changé depuis l’attaque du Yom Kippour et la France n’a qu’à compter ses porte-avions, ses drones, ses bombardiers furtifs, ses divisions de combats pour comprendre qu’elle ne fait pas le poids.
À peine peut-elle se maintenir au Mali et en République Centre-Afrique, et encore la partie n’est pas finie.
Là où la puissance militaire étasunienne déclare forfait (Syrie-Liban-Irak-Iran-Libye), la France croit-elle pouvoir reprendre le flambeau et poursuivre l’agression contre ces guérillas anti-occupation ? Poser la question c’est y répondre.
Israël est évidemment le grand perdant de cet accord inter-impérialiste. Il y a trois ans que nous répétons que le sionisme et les tenants de la religion juive ne gouvernent pas le monde. Qu’ils ne dirigent même pas la politique du Pentagone et de la Maison-Blanche ; que le pouvoir de l’AIPAC à Washington est directement proportionnel à la convergence des intérêts de la grande puissance impérialiste étasunienne et de la petite puissance impérialiste israélienne ; que le jour où les intérêts économiques, financiers, politiques et militaires de la superpuissance de 15 000 milliards de PIB annuel divergeront des intérêts du petit pays impérialiste de 240 milliards de PIB par an, vous verrez le chien reprendre la maîtrise de sa queue et balayer le petit État génocidaire.
Israël tout en feignant de penser le contraire convient de ces constats. Le petit État encerclé s’agite en menaçant d’attaquer l’Iran soutenu en cela par quelques sous-fifres monarchistes du Golfe Persique. Tout ceci n’est que bouffonnerie. Sans les satellites américains pour diriger les avions de combat – sans l’accord du maître américain et son parapluie antimissile et ses pièces de rechange pour l’armement, l’État voyou est démuni.
Comment l’armée israélienne (Tsahal) embourgeoisée, battue à deux reprises par la milice du Hezbollah – présentement occupée à s’entraîner et à éradiquer les criminels de guerre exfiltrés en Syrie – peut-elle laisser présager qu’elle pourrait attaquer la farouche armée iranienne ? Les pseudo-experts analystes militaires occidentaux devraient cesser de paraphraser les communiqués de la NSA et de la CIA [2].
Enfin, l’accord entre l’Iran et les États-Unis est une victoire retentissante pour les diplomaties russe et chinoise qui s’activent en coulisse. La victoire russo-chinoise a débuté après le coup fourré de la résolution onusienne 1973 contre la Libye que la Chine et la Russie ont laissé passer au Conseil de Sécurité contre la promesse que la Syrie serait épargnée. Sitôt que les puissances occidentales pensèrent en avoir fini avec le clan Kadhafi et la Libye, la Syrie fut attaquée par les puissances occidentales camouflées en bandes armées.
Les puissances impérialistes russes et chinoises décidèrent de ne plus rien céder et d’affronter l’alliance occidentale (OTAN) en Syrie jusqu’au dernier Syrien si requis. Ayant gagné la guerre de Syrie, la route militaire vers Téhéran est fermée aux puissances occidentales. Le gouvernement iranien ne s’y est pas trompé qui a soutenu énergiquement le gouvernement syrien contre ces attaques de mercenaires criminels [3].
Algérie Patriotique : Vous estimez que l’agression militaire contre la Syrie visant à faire tomber son président, Bachar Al-Assad, a totalement échoué. Comment voyez-vous la sortie de ce conflit ?
L’agression militaire occidentale (par bandes armées interposées) visait secondairement à abattre le Président Bachar Al-Assad. Elle visait premièrement à imposer une autre défaite militaire à l’alliance russo-chinoise – à ouvrir la voie militaire vers l’Iran afin de menacer ce pays pour qu’il rompe son alliance avec la Russie et la Chine et reprenne la devise américaine (dollar) dans ses échanges pétroliers. L’affaire de l’énergie nucléaire iranienne n’est qu’un prétexte pour justifier ces pressions. Les États-Unis d’Amérique, propriétaires de 3 500 vecteurs thermonucléaires, n’ont rien à craindre de la future-éventuelle bombe iranienne. Chose que nous avions signalée dès 2010 [4].
La personne de Bachar Al-Assad a peu d’importance dans ce bras de fer impérialiste. La coalition impérialiste Russie-Chine-Syrie-Iran ayant gagné temporairement la partie, la seule sortie envisageable au conflit ne peut être que le massacre (en cours) des mercenaires encerclés dans quelques poches de résistance en Syrie. Ces hobereaux seront sacrifiés par leurs commanditaires disqualifiés. Les rencontres prévues à Genève en janvier 2014 ne visent qu’à négocier l’exfiltration de ces assassins – s’ils en restent de vivants – du sol syrien.
Ce sera la mise en veilleuse de la Coalition pour la libération de la Syrie qui sera maintenue en léthargie afin de réguler la pression sur le gouvernement syrien – une monnaie d’échange – pour la suite des choses. Peut-être que lors des prochaines élections présidentielles syriennes vous verrez Bachar prendre sa retraite, mais je ne suis pas convaincu que le camp russo-chinois accorde ce prix de consolation aux Européens, aux monarchies du Golfe et aux Étatsuniens vaincus. Nous sommes loin du Grand Réaménagement du Moyen-Orient que les pseudo-experts occidentaux annoncent depuis longtemps [5].
Robert Bibeau [6], entretien réalisé par Kamel Moulfi et Mohamed El-Ghazi du webzine Algérie Patriotique le 3 décembre 2013.