Pourquoi la démocratie est l’ennemie des marchés

illustration : Jared Rodriguez / Truthout

La passation de pouvoir n’est même pas encore réalisée que déjà les politiques nous annoncent l’effroyable réalité : les véritables élections décisives pour la politique qui sera conduite en France auront en fait lieu en juin, pour les législatives.

En dehors du fait que cela interroge sur l’intérêt des présidentielles, on s’aperçoit qu’en Europe la question des législatives préoccupe beaucoup nos chers financiers, qui par dessus tout affirment vouloir la stabilité politique. Ce qui semble pour l’instant être le cas avec la succession de monsieur Sarkozy par monsieur Hollande, car en France l’élection du nouveau président n’a pas fait -comme promis par la droite- chuter les bourses, et la note française n’a pas encore été dégradée.

Mais même si ce changement ne provoque pas les remous attendus et craints par la droite, il fait quelque peu bouger les lignes en Europe car il risque de retarder un peu les plans de ceux qui voulaient imposer une gouvernance européenne unique dont le programme économique réside essentiellement dans l’austérité. Certains Etats pourraient lui emboîter le pas, d’autant que la partie n’est pas terminée.

Comme il apparaît aujourd’hui, la bataille des législatives, préparée de longue date par les deux camps arrivés en tête au deuxième tour, n’est en réalité rien de moins que le troisième tour des élections : le camp qui détiendra la majorité sera responsable de la politique conduite.

L’incertitude qui règne actuellement quant à la majorité qui ressortira des législatives, comme la situation de blocage que connait la Grèce actuellement, a bien plus d’effet sur les marchés que l’élection d’un président de l’UMP ou du PS. Car les extrêmes gauche ou droite obtiennent un soutien de plus en plus fort de la part des électeurs écoeurés par les partis «  traditionnels ». Et c’est peu de dire qu’ils ne sont pas favorables à la politique imposée par Bruxelles. Sauf que l’extrême droite n’a pas les mêmes objectifs que l’extrême gauche : le premier veut sortir de l’Europe sans payer, tandis que le second veut y rester, sans payer non plus.

Mais paradoxalement cette incertitude pourrait leur permettre de réaliser leur objectif, à savoir la prise de contrôle définitive de l’Europe par la suppression pure et simple de la démocratie. Il faut que je m’explique.

La montée des extrêmes en Europe est bien la conséquence de la crise économique : après que les peuples se sont laissés bernés par leurs dirigeants modérés, les marchés sont parvenus à imposer, de manière non démocratique, un changement de politique au sein des pays les plus touchés par la crise pour y mettre fin. Cette crise s’étant aggravée depuis des réformes drastiques et injustes rendues obligatoires, c’est presque naturellement que les extrêmes recueillent les voix des déçus des deux camps… Le risque étant une remise en cause, par l’expression des urnes qui mettrait au pouvoir des ennemis de l’austérité (des vrais), les traités déjà signés par les équipes précédemment au pouvoir. Car si chaque élection est l’occasion pour un pays de renier les engagements pris par ses prédécesseurs, alors la gouvernance européenne que souhaite la Troïka ne sera ni pérenne ni unie.

Il faut donc pour les marchés, afin d’éviter le refus de payer des pays les plus endettés, supprimer purement et simplement ce qu’il leur reste de démocratie, démocratie qui décidément les empêche de faire tranquillement leurs affaires. En Grèce, les marchés mécontents du résultat des urnes préfèrent refaire les élections que de laisser une majorité hostile à l’austérité s’installer au pouvoir. Et c’est donc avec satisfaction qu’ils apprendront qu’une alliance serait conclue entre les deux partis «  institutionnels » pour diriger le pays (ce qui implique donc une soumission du parti socialiste grec à l’austérité- prenons en de la graine pour la France).

Car c’est bien en jouant sur la peur des extrêmes que les marchés espèrent réaliser à la fois ce qu’on appellera «  l’Union Sacrée » et la fin de la démocratie. En laissant entendre que ces partis empêchent la stabilité et nuisent à la cohésion sociale, ils désirent faire valider comme «  démocratiquement » la fin de la démocratie à travers la fin du pluralisme électoral.

Car pour les banques l’enjeu est de taille. Ce que redoute à tout prix les marchés, c’est qu’un gouvernement européen en difficulté refuse de payer, car alors ils ne pourraient rien exiger d’un pays souverain, comme cela s’est déjà produit ailleurs. C’est qu’on oublie de le rappeler trop souvent : il est bel et bien inscrit dans le traité de Lisbonne qu’un pays de la «  zone euro » ne peut être exclu de l’Europe. Cela signifie qu’en dehors d’une demande de l’Etat Grec d’en sortir, nul ne peut l’en chasser de force. C’est là tout le danger pour les financiers qui veulent un gouvernement grec susceptible de conduire l’austérité pour continuer à faire des sous, ou capable de demander sa sortie de l’Europe une fois le pays ruiné -ce que seuls les deux plus grands partis ont accepté. Comme pour le rachat d’entreprises en difficulté (et on comprend mieux l’arrivée au pouvoir en Europe des hommes de Goldman-Sachs), les financiers qui imposent l’austérité prennent tout ce qu’ils peuvent, vendent le maximum et licencient, avant de laisser le pays et ses habitants lessivés par ce grand nettoyage.

Car que se passerait-il si la Grèce ou un autre refusait de payer, tout en refusant de sortir de l’Europe ? Ce serait soit la fin de l’euro, soit…celle des banques. Que préféreriez-vous ?

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

COMMENTAIRES  

14/05/2012 17:53 par latitude zero

il est bel et bien inscrit dans le traité de Lisbonne qu’un pays de la « zone euro » ne peut être exclu de l’Europe. Cela signifie qu’en dehors d’une demande de l’Etat Grec d’en sortir, nul ne peut l’en chasser de force. C’est là tout le danger pour les financiers

Car que se passerait-il si la Grèce ou un autre refusait de payer, tout en refusant de sortir de l’Europe ? Ce serait soit la fin de l’euro, soit…celle des banques. Que préféreriez-vous ?

C’est bien dans ce sens que certains « petits » partis « frileux » espèrent , clament et exhortent le démantèlement de l’Union Européenne par une réaction de pur désespoir qui montre bien leur impuissance à envisager d’autres solutions beaucoup plus pragmatiques mais aussi plus complexes , et sans jeter le bébé avec l’eau du bain.
Ca me fait penser à ces naufragés désespérés qui quittent bien trop tôt leur bateau chahuté et bien mal en point, pour se réfugier dans leur canot de survie, où on les retrouvent bien souvent morts alors même que leur bateau, retrouvé bien avant, flottait encore avec à bord tout le matériel qui aurait assuré leur survie.

Il y a bien sûr une autre voie que celle de ce choix réduit et imposé qui participe à l’état de choc , un autre choix qu’une Europe ultra libérale inféodée à Washington, ou celle du repli nationaliste, qui dérangera peu les financiers et les spéculateurs , mais qui leur compliquera juste un peu la tâche dans l’obligation qui leur serait faîte de s’attaquer à chaque état , un par un.

Le pari du front de Gauche, pas si fou que ça loin s’en faut, est la création d’une Europe « dissidente » qui agira par effet de contagion sur les peuples Européens.
Et pourquoi pas 2 blocs Européens, dans l’attente du ralliement d’autres états trop effrayés pour adhérer de suite à cette nouvelle Europe. ?
C’est bien de leurs peurs qu’ils ont cette réaction de suivisme, et par conséquent , pourraient bien finir par nous suivre, libérés de leurs craintes ou encore une fois par la peur de rester dans le mauvais camp.
C’est une lutte à mort entre des Européens qui veulent une autre Europe , sociale, solidaire , et souveraine , ouverte à un monde multipolaire, contre une finance internationale Anglo-Saxonne, conduite (dans le sens « chauffeur » à qui on indique la destination) par Washington
.
Cette Europe là est le cauchemar des banquiers.
Et comme toute la problématique n’est qu’une question de pognon et de répartition, de souveraineté monétaire et économique, c’est donc bien de cette Europe « cauchemar des banquiers » dont on a besoin, et non la tentation du « chacun pour sa gueule » .
Et ce avant même de commencer à évoquer une possible sortie de l’Union Européenne , qui a été brièvement envisagée par le Front de Gauche en cas d’échec total du sauvetage de l’Europe.
Je serais curieux de voir ces 2 blocs face à face, une Europe de l’austérité et de la récession , sous la dictature des marchés, et une Europe déclarant sa souveraineté , monétaire, économique, menant une politique fortement sociale et une politique étrangère libérée du néo colonialisme et du joug impérialiste et faisant cette foi ci les bonnes alliances .
Je pense qu’on assisterai à un rapide ralliement de toute l’Europe !!

16/05/2012 03:18 par babelouest

C’est bien pour ces raisons, Latitude Zéro, qu’on assiste à une tentative par le PS de désolidariser le PCF du reste du Front de Gauche, en l’invitant à participer au partage des circonscriptions "gagnables". La tentative pourrait bien réussir...

16/05/2012 07:31 par calame julia

Tout cela donne l’impression que l’Europe elle-même ne sait comment se défaire de certains
boulets qu’elle dut choisir un peu inconsciemment pensant pouvoir s’en libérer.
Il y a sûrement des solutions mais le courage de les présenter est-il au rendez-vous ?
Il faudrait demander au banquiers ce qu’il feraient sans les peuples ? sans le pognon des
peuples ? Peut-être ont-ils des solutions ignorées par nous ? Quoi ! c’est pas une bonne
question ?

04/06/2012 22:31 par Anonyme

C’est une lutte à mort entre des Européens qui veulent une autre Europe , sociale, solidaire , et souveraine , ouverte à un monde multipolaire, contre une finance internationale Anglo-Saxonne, conduite (dans le sens « chauffeur » à qui on indique la destination) par Washington

C’est oublier un peu vite que l’Angleterre, même "tête de pont" vraie ou supposée de l’impérialisme US, ne fait pas partie de "l’eurozone" et ne fait partie de la Communauté que de la pointe des pieds. C’est l’Allemagne qui bat la mesure (avec la France qui court derrière...) et impose l’austérité, parce que pour elle la fin de l’euro c’est le retour au DM et donc à terme la récession chez elle.
C’est aussi oublier qu’une des chapelles de l’ultra (néo etc...) libéralisme est d’origine germano - autrichienne, le courant issu de la revue "Ordo", qui a sans doute beaucoup plus inspiré les fondateurs de la CEE que leurs frères ennemis d’outre Atlantique.
Mais ça c’est un grand tabou, interdit de le dire pour des raisons historiques... Alors tapons un bon coup sur "l’impérialisme US", ça ne mange pas de pain et puis même si ça ne fait pas de bien ça ne fait pas de mal non plus.

05/06/2012 09:15 par Annie Stasse

j’approuve entièrement le raisonnement de cet article.

Cependant il faudrait que le Front de Gauche et ses candidats locaux aux législatives appliquent sur le terrain ou leur campagne électorale ces beaux principes économiques en au moins en parlant et expliquant dans leur militantisme et surtout dans leur présentation de profession de foi qui est présenté aux électeurs.

J’avais adhéré en octobre 2010 au Parti de Gauche pour des raisons d’accord sur les raisonnements économiques et les propositions dont s’agit ici (et toutes les propositions qui courent partout en France dans les CAC, économistes atterrés, etc…), malheureusement dans mon département s’est un silence total sur la question et si jamais on a le malheur de vouloir en parler on vous harcèle (c’est ce que j’ai vécu durant plus d’un an) pour vous faire taire.

Je pense donc m’abstenir aux législatives. Et je suis en cours de réfléchir à un article (pour mon blog) pour l’exposé publiquement après avoir gardé un silence de discipline.

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