(Résumé)
Depuis octobre 2023, Israël a fondamentalement changé sa politique à l’égard des Palestiniens. À la suite de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a lancé une campagne militaire intensive dans la bande de Gaza qui se poursuit plus de 21 mois plus tard. L’assaut israélien sur Gaza comprend des massacres, à la fois par des attaques directes et par la création de conditions catastrophiques qui augmentent le nombre de morts ; des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de l’ensemble de la population de la bande de Gaza ; la destruction à grande échelle des infrastructures et des conditions de vie ; la destruction du tissu social, y compris des établissements d’enseignement et des sites culturels palestiniens ; des arrestations massives et des mauvais traitements infligés aux détenus dans les prisons israéliennes, qui sont devenues des camps de torture pour des milliers de Palestiniens détenus sans procès ; des déplacements forcés massifs, y compris des tentatives de nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza et la transformation de ce dernier en objectif de guerre officiel ; et une attaque contre l’identité palestinienne par la destruction délibérée des camps de réfugiés et des tentatives de saper l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Le résultat de cette attaque globale contre la bande de Gaza est un préjudice grave et, au moins en partie, irréparable pour plus de deux millions de personnes vivant dans la bande de Gaza, en tant que membres du peuple palestinien.
L’examen de la politique israélienne dans la bande de Gaza et de ses terribles résultats, ainsi que les déclarations de hauts responsables politiques et militaires israéliens sur les objectifs de l’attaque, conduisent à la conclusion sans équivoque qu’Israël mène une action coordonnée et délibérée pour détruire la société palestinienne dans la bande de Gaza. En d’autres termes, Israël commet un génocide contre les Palestiniens : de la bande de Gaza.
Le terme génocide désigne un phénomène socio-historique et politique qui s’est produit tout au long de l’histoire de l’humanité. Depuis la signature de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948 (entrée en vigueur en 1951), le génocide est également reconnu comme l’un des crimes les plus graves du droit international, impliquant des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Le génocide est perpétré au moyen de pratiques multiples et parallèles dans le temps, les massacres physiques n’étant que l’une d’entre elles. La destruction des conditions de vie, parfois dans des zones de concentration ou des camps, la tentative systématique d’empêcher les naissances, la violence sexuelle généralisée à l’encontre des membres d’un groupe ou leur expulsion massive peuvent être - et ont été tout au long de l’histoire - des moyens utilisés par les États ou les autorités dirigeantes pour détruire des groupes ethniques, nationaux, raciaux, religieux et autres. En conséquence, les actes génocidaires sont des actions diverses destinées à provoquer la destruction d’un groupe distinct, dans le cadre d’un effort délibéré et coordonné d’une autorité dirigeante ( ). Tant sur le plan moral que juridique, le génocide ne peut être justifié en aucune circonstance, y compris en tant qu’acte d’autodéfense.
Un génocide s’inscrit toujours dans un contexte : il y a des conditions qui le rendent possible, des événements déclencheurs et une idéologie directrice. L’assaut actuel contre le peuple palestinien, y compris dans la bande de Gaza, doit être compris dans le contexte de plus de soixante-dix ans pendant lesquels Israël a imposé un régime violent et discriminatoire aux Palestiniens, prenant sa forme la plus extrême contre ceux qui vivent dans la bande de Gaza. Depuis la création de l’État d’Israël, le régime d’apartheid et d’occupation a institutionnalisé et utilisé systématiquement des mécanismes de contrôle violent, d’ingénierie démographique, de discrimination et de fragmentation du collectif palestinien. Ce sont ces fondements posés par le régime qui ont rendu possible le lancement d’une attaque génocidaire contre les Palestiniens immédiatement après l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023. Le présent rapport met l’accent sur trois de ces fondements en particulier : la vie sous un régime d’apartheid qui impose la séparation, l’ingénierie démographique et le nettoyage ethnique ; l’utilisation systématique et institutionnalisée de la violence contre les Palestiniens, alors que les auteurs jouissent de l’impunité ; et les mécanismes institutionnalisés de déshumanisation et de présentation des Palestiniens comme une menace existentielle.
De telles conditions peuvent exister au fil du temps sans se transformer en une agression génocidaire. Souvent, un événement violent qui crée un sentiment de menace existentielle au sein du groupe qui commet l’attentat est l’élément déclencheur du génocide pour le système dirigeant.
L’attaque du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023 a été un catalyseur de ce type. Cette attaque atroce, qui visait principalement des civils, comportait de nombreux crimes de guerre et probablement aussi des crimes contre l’humanité. Elle a coûté la vie à 1 218 Israéliens et ressortissants étrangers, dont 882 civils, a donné lieu à des actes de violence graves et de grande ampleur, y compris des violences sexuelles, a blessé des dizaines de milliers de personnes et a entraîné l’enlèvement de 252 personnes dans la bande de Gaza, pour la plupart des civils, dont des femmes, des personnes âgées et des enfants. Le plus jeune des enfants enlevés était un bébé de neuf mois qui a été tué, ainsi que son frère de trois ans et leur mère, alors qu’ils étaient détenus à Gaza. Pour les Israéliens, le fait même de l’attaque, son ampleur et ses résultats ont produit de l’anxiété et un sentiment de menace existentielle à un degré tel qu’il a entraîné de profonds changements sociaux et politiques dans la société israélienne. Ceux-ci ont entraîné un changement de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens de la bande de Gaza : de la répression et du contrôle à la destruction et à l’anéantissement.
L’assaut contre Gaza ne peut être dissocié de l’escalade de la violence infligée, à différents niveaux et sous différentes formes, aux Palestiniens en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et à l’intérieur d’Israël. Dans ces régions, comme à Gaza, des crimes mortels sont commis contre les Palestiniens sans que les auteurs aient à rendre compte de leurs actes. La violence et les destructions dans ces zones s’intensifient au fil du temps, sans qu’aucun mécanisme national ou international efficace n’intervienne pour y mettre un terme. En conséquence, ces crimes deviennent normaux aux yeux des soldats, des commandants, des politiciens, des médias et des Israéliens en général. Nous mettons en garde contre le danger clair et actuel que le génocide ne reste pas confiné à la bande de Gaza, et que les actions et l’état d’esprit qui le sous-tendent s’étendent à d’autres régions également.
BtTselem est une organisation israélienne de défense des droits de l’homme qui documente et recherche les préjudices causés aux Palestiniens sous le régime d’apartheid et d’occupation israélien. Au nom du devoir de protéger les êtres humains, leur vie, leur dignité et leurs droits individuels et collectifs, BtTselem s’efforce depuis plus de 35 ans de dénoncer les violations systématiques des droits de l’Homme des Palestiniens par Israël.
En tant qu’organisation de défense des droits de l’Homme œuvrant à l’arrêt et à la prévention de la violence systémique et généralisée de l’État contre les Palestiniens, il est de notre devoir d’analyser les violations de ces droits sur le terrain dans le contexte du régime qui les commet et de sa logique politique sous-jacente.
Depuis octobre 2023, nous avons recueilli des témoignages et documenté des centaines d’incidents d’une violence extrême et sans précédent contre des civils palestiniens sur l’ensemble du territoire contrôlé par Israël, tandis que des politiciens et des commandants militaires de premier plan ont ouvertement déclaré les politiques mises en œuvre sur le terrain. Les innombrables preuves des conséquences de ces politiques reflètent l’horrible transformation de l’ensemble du système israélien dans son traitement des Palestiniens.
À BtTselem, des juifs-israéliens et des Palestiniens de la bande de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et d’Israël travaillent côte à côte, guidés par l’idée commune que la défense des droits de l’Homme est une obligation humaine et morale fondamentale. Nous vivons tous sous un régime d’ apartheid discriminatoire qui classe certains d’entre nous comme des sujets privilégiés simplement parce qu’ils sont juifs, et d ’autres comme ne méritant aucune protection simplement parce qu’ils sont palestiniens. Ensemble, nous luttons pour le droit que nous avons tous de vivre entre la mer Méditerranée et le Jourdain sans discrimination, sans oppression violente et sans anéantissement.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, Israël intensifie son assaut brutal et impitoyable contre les Palestiniens. Les massacres et les destructions systématiques dans la bande de Gaza, ainsi que la violence croissante et le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes en Cisjordanie, n’auraient pas été possibles sans l’inaction de la communauté internationale face à l’ampleur et à la gravité incompréhensibles de ces crimes. De nombreux chefs d’État, en particulier en Europe et aux États-Unis, se sont non seulement abstenus de prendre des mesures efficaces pour mettre fin à l’anéantissement et à la violence, mais ils ont également permis à ces actes de se poursuivre, que ce soit par des déclarations affirmant le "droit à l’autodéfense" d’Israël ou par un soutien actif, notamment par l’envoi d’armes et de munitions.
En tant qu’habitants de ce pays et militants des droits de l’homme, il est de notre devoir de témoigner de la situation que nous et beaucoup d’autres avons documentée et sur laquelle nous avons enquêté. Il est de notre devoir de nommer la réalité dont nous sommes témoins et que nous vivons, de la raconter et de nous tenir aux côtés des victimes.
La reconnaissance du fait que le régime israélien commet un génocide dans la bande de Gaza, et la profonde inquiétude qu’il ne s’étende à d’autres régions où les Palestiniens vivent sous la domination israélienne, exigent une action urgente et sans équivoque de la part de la société israélienne et de la communauté internationale, ainsi que l’utilisation de tous les moyens disponibles en vertu du droit international pour mettre fin au génocide d’Israël contre le peuple palestinien.
B’Tselem
Traduction "les rangs des négationnistes sont dégarnis" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
