Tout d’abord, quelques rappels de faits indiscutés.
En dépit des frasques de son dirigeant en place depuis 42 ans - contre 59 ans pour la reine Elisabeth d’Angleterre et 43 ans pour le sultan Hassanal Bolkiah du Brunei [1] - la Libye est le pays le plus développé d’Afrique si l’on se réfère au classement IDH (Indice de développement humain) établi par le Programme des Nations unies pour le développement. L’éducation est gratuite pour tous. Le taux d’alphabétisation, avec 82 % de la population sachant lire et écrire, est le plus élevé d’Afrique du Nord. [2] Bien-sûr la manne pétrolière y est pour beaucoup mais tous les pays pétroliers ne peuvent en dire autant, loin s’en faut.
La Libye est aussi le pays le moins endetté du monde : la dette publique en 2010 est à 3,3% du PIB, alors qu’elle est à 98,6% en Belgique, à 88,9% aux USA et à 84,5% en France. [3] Côté gestion, la Libye est exemplaire.
Le conflit démarre officiellement par une émeute armée à Benghazi, berceau historique de l’opposition au régime, le 13 février 2011 où, selon Human Rights Watch, 173 « manifestants » (des insurgés armés suite à l’attaque-suicide d’une caserne) sont tués en quatre jours d’affrontements. [4]
Mais ce qui retient l’attention et déclenche le vote du Conseil de Sécurité des Nations Unies le 19 mars, ce sont les prétendus 6000 morts ultérieurs rapportés par l’opposition au régime. Un chiffre qui, en dépit du niveau élevé de technologies de communication disponibles dans le pays, ne sera jamais étayé par aucun élément tangible. On parlera d’ailleurs ensuite de 2000 morts. Puis de quelques centaines. Qu’importe… [5]
Au fil des mois, sous l’assaut des bombardements de l’OTAN puis les révélations croissantes d’atrocités et d’exactions commises par des groupes rebelles [5] [6], dont certains sont membres d’Al Qaeda - désormais donc soutenu par l’OTAN - le soutien du peuple libyen au gouvernement en place se manifeste et se renforce.
En témoigne cette impressionnante manifestation à Tripoli le 1er juillet rassemblant des centaines de milliers - voire plus d’un million - de Libyens venus voter avec leurs pieds [7] alors que l’OTAN se propose de venir les protéger et leur apporter paix, démocratie et civilisation.
Malgré la présence et la libre circulation de journalistes occidentaux sur place, l’écho de cette énorme manifestation dans les médias est quasiment imperceptible. Silence radio complet dans la presse belge, britannique ou étatsunienne. Le Monde sous la plume de Jean-Philippe Rémy rapporte la nouvelle de cette façon : « Les dernières manifestations de soutien à Mouammar Kadhafi, sur la place Verte de Tripoli, donnaient des signes d’essoufflement. (…) Vendredi 1er juillet, voici à nouveau la foule. Plusieurs dizaines de milliers de personnes se pressent sur la place Verte et ses abords, acheminées depuis toute la Libye en bus pour faire nombre. » tout en déviant l’attention du public en titrant l’article : « Tripoli menace la France, qui a livré des armes aux rebelles, de « guerre ouverte » » [8]
Le soir du 1er juillet est diffusé sur youtube une copie d’un reportage de 40 minutes de la télévision libyenne sur la manifestation. Bien-sûr, no-fly zone oblige, on manque des vues habituelles prises d’hélicoptère. Néanmoins ces images laissent peu de doute sur l’ampleur, la localisation et la date de l’évènement. La date par exemple est confirmée par cette séquence vers 22:38 - qui ne parait franchement pas avoir été manipulée - où l’on peut voir évoluer une pancarte affichant 2011/7/1. [9]
Des journalistes occidentaux présents sur place, tels le journaliste américain Webster Tarpley sur Infowar [10] et le journaliste français Thierry Meyssan du Réseau Voltaire [11], confirment ces informations et estiment le nombre de manifestants compris entre 1 et 1,7 million de personnes.
Alors, où est la réalité ?
Face à ces prises de liberté avec la réalité sur le terrain - et un million de personnes sur une population de 6 millions d’habitants, c’est non seulement considérable, mais cela fait un peu tâche dans le story telling des médias - qui dit vrai ? Ceux qui esquivent l’information ? Ceux qui la minimisent, la galvaudent (« acheminées depuis toute la Libye en bus pour faire nombre ») et la dissimulent sous un titre belliqueux ? Ceux qui, présents sur place, témoignent de ce qu’ils voient ?
Les seules images disponibles sont celles de la télévision libyenne. Elle paraissent un peu plus crédibles que les images de la place Verte « à Tripoli » diffusées 8 semaines plus tard par Al Jazeera le 21/8/11 mais enregistrées selon toute vraisemblance… en studio au Qatar [12]
ou celles de la place Verte « à Tripoli » diffusées par la BBC le 24/08/11 montrant une foule agitant des drapeaux… indiens. [13]
A vous de juger. Les victimes de cette guerre écoeurante n’auront plus la chance de pouvoir le faire.
Jean-Luc Guilmot
Belgique
(publié sur http://www.michelcollon.info/Manipuler-le-soutien-populaire-ou.html
Cet article en PDF avec illustrations détaillées :
http://www.vigli.org//Manipuler_le_soutien_populaire_en_Libye_ou_l_art_des_medias_de_prendre_les_gens_pour_des_nuls_JL-Guilmot_28-08-2011.pdf