Pour définir une dictature, il existe un critère « objectif » qui n’est contesté par (presque) personne : celui du parti unique. La démocratie étant elle-même (et à tort, dirons certains) définie par le pluralisme des opinions qu’elle est censée garantir, elle permet au peuple, par le biais d’élections libres et non truquées, de se choisir des représentants ayant différentes opinions mais qui fonctionnent ensemble à travers un dialogue constructif dans l’intérêt général. Des contre-pouvoirs sont également institutionnalisés pour éviter les abus de pouvoir, qui sont de nature législative, exécutive ou judiciaire, et auxquels s’ajoute la presse.
Même si la confiscation de ces quatre pouvoirs par le gouvernement actuel fait dire à certains, en référence à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution »), que la démocratie n’existe pas en France, ce pays dispose pourtant de nombreux partis, et la campagne électorale qui a commencé compte une multitude de candidats. Comment pourrait-on alors douter du caractère démocratique de notre pays puisque, à chaque élection présidentielle et même aux législatives, le peuple peut se choisir d’autres représentants lors de ces scrutins ?
Tout d’abord il convient de rappeler que le président de la République française est désormais élu pour cinq ans, tout comme les députés. La récente modification de la Constitution qui a remplacé le septennat par le quinquennat interdit de fait les cohabitations, car les élections législatives interviennent quelques semaines seulement après les élections présidentielles, ce qui accorde presque automatiquement au nouveau gouvernement la majorité à l’Assemblée Nationale, c’est-à dire quasiment les pleins pouvoirs, pour peu que le sénat ne change pas de camp.
Ensuite, l’élection présidentielle accorde à tous les partis la possibilité de présenter un candidat, pour peu qu’il ait les quelques qualités indispensables pour y prétendre, plus quelques 500 signatures de soutien de la part des maires de France (sur 37 000 communes) : cela laisse théoriquement de la marge pour de nombreux prétendants, mais la concomitance et la proximité des deux scrutins (de nombreux maires sont députés et la plupart sont « encartés » dans un parti) met une pression supplémentaire sur les stratégies électorales : certains candidats affirment que les appareils de parti les empêchent d’obtenir les signatures nécessaires à leur validation.
Et puis il y a le financement des partis, dont seuls ceux qui font plus de 5% aux élections sont remboursés de leurs frais de campagne, ce qui avec l’impossibilité de recourir à des investisseurs privés limite le nombre des petits candidats. Si on ajoute à cela les fraudes « légalisées » qui autorisent la création d’une multitude de petits partis capables de servir les finances des grands partis, le champ des possibilités se restreint encore un peu plus pour assurer le multipartisme.
Et enfin le mode de scrutin à deux tours, qui met les deux plus grands partis toujours en tête au deuxième tour (sauf cas exceptionnel), crée un précédent psychologique qui conduit les citoyens à laisser de côté leur « premier choix » pour se rabattre sur une sorte de « tactique » mathématique qui, par auto-réalisation, anticipe la présence des deux favoris au deuxième tour. C’est là qu’intervient la notion de « vote utile ». Partant du principe que de toutes les manières seuls les deux plus « gros » candidats arriveront à se qualifier au deuxième tour, on s’aperçoit qu’en guise de pluralisme le dialogue politique s’organise en réalité autour d’un bipartisme qui, si l’on y regarde de près, ressemble fort aux deux faces d’une même médaille, et ce à tel point que l’on emploie désormais le terme « UMPS » pour les désigner tous deux ensemble.
En définitive, la seule opposition qu’on peut trouver entre l’UMP et le PS n’est pas une différence idéologique (tous deux sont des libéraux) mais une différence d’intensité (le PS est moins « à droite » que l’UMP). Et la confusion qui règne chez les électeurs réside non pas dans les programmes des candidats (lorsque monsieur Sarkozy aura un programme, on s’apercevra qu’il est assez semblable à celui de monsieur Hollande), mais dans l’inconscient collectif qui se fait abuser par l’appellation historique du parti (anciennement) à tendance socialiste.
Pour le reste, les deux grands partis qui exercent ENSEMBLE le pouvoir depuis plus de trente ans défendent ENSEMBLE les mêmes intérêts, ceux de la classe sociale qui les nourrit, à savoir les 1%capables d’imposer leur volonté et qui leur permettent de continuer à toucher leurs émoluments sans trop de peine, pour peu qu’ils fassent ce qu’on leur demande : c’est un peu « arrangez-vous comme vous voulez entre vous, tant que vous votez ce qu’on vous dit de voter, personne ne viendra vous embêter ».
Après ça qu’on vienne encore me dire qu’il faut aller voter, ou pire encore qu’il faut voter « utile »… Mais c’est quoi le vote utile, et utile pour qui d’ailleurs ? A tous ceux qui se donnent une bonne conscience de citoyen en se soumettant au « non-choix » de l’UMPS je voudrais leur dire qu’ils se trompent, car la démocratie n’existe déjà plus : le pouvoir n’appartient pas au peuple mais à un seul et même parti unique divisé en deux, qui s’arrangent entre eux pour s’arroger des privilèges éhontés, et qui font semblant de se battre pour donner le change à ceux qui croient remplir leur devoir en allant voter pour l’un ou l’autre des deux candidats d’un même parti. Comme cette histoire qu’on raconte à propos de la guerre de sécession durant laquelle un des frères Rothschild finançait le nord pendant qu’un autre finançait le sud : le résultat était que l’argent, comme chez nous les bulletins de vote, allait dans les mêmes poches. Le vote utile n’est qu’un leurre offert en pâture aux citoyens pour les empêcher de choisir tout en leur donnant l’illusion de le faire.
Le vote utile est le mépris du citoyen, en même temps que la preuve flagrante du caractère anti-démocratique de notre système électoral. Il n’y a pas d’alternance possible, pas de renouveau idéologique envisageable, pas de pluralisme réel, pas d’opinions divergentes audibles. Le bipartisme c’est le parti unique ; et le vote utile une arnaque.
Caleb Irri
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