Le courage d’Achille, la ruse d’Ulysse

Les dernières péripéties dans la négociation entre le gouvernement grec et ses créanciers mettent en lumière les contre-sens de beaucoup des commentateurs. Ils partent du principe que le gouvernement grec « ne peut que céder » ou « va immanquablement céder » et considèrent chaque des concessions tactiques faites par le gouvernement grec comme une « preuve » de sa future capitulation, qu’ils la regrettent ou qu’ils l’appellent de leurs vœux. De ce point de vue, il y a une étrange et malsaine synergie entre les plus réactionnaires des commentateurs et d’autres qui veulent se faire passer pour des « radicaux » et qui oublient sciemment de prendre en compte la complexité de la lutte conduite par le gouvernement grec. Ce dernier se bat avec le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse. Disons déjà qu’aujourd’hui tous ceux qui avaient annoncé la « capitulation » du gouvernement grec ont eu tort. Il faut comprendre pourquoi.

Le point de vue du gouvernement grec

En fait, le gouvernement grec bien fait des concessions importantes depuis le mois de février dernier, mais ces concessions sont toutesconditionnelles à un accord général sur la question de la dette. Il faut savoir que c’est le poids des remboursements qui contraint le gouvernement grec à être dans la dépendance de ses créanciers. Le drame de la Grèce est qu’elle a réalisé un effort budgétaire considérable mais uniquement au profit des créanciers. L’investissement, tant matériel qu’immatériel (éducation, sante), a donc été sacrifié sur l’autel des créanciers. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner que l’appareil productif de la Grèce se dégrade et qu’elle perde régulièrement de la compétitivité. C’est cette situation que le gouvernement actuel de la Grèce, issu de l’alliance entre SYRIZA et l‘ANEL, cherche à inverser. Le gouvernement grec ne demande pas des sommes supplémentaires à ses créanciers. Il demande que l’argent que la Grèce dégage puisse être utilisé pour investir, tant dans le secteur privé que public, tant dans des investissements matériels qu’immatériels. Et sur ce point, il n’est pas prêt à transiger, du moins jusqu’à maintenant.

Les mauvaises raisons des créanciers

Les créanciers de la Grèce, quant à eux, continuent d’exiger un remboursement intégral – dont ils savent parfaitement qu’il est impossible – uniquement pour maintenir le droit de prélever de l’argent sur la Grèce via les intérêts de la dette. Tout le monde sait qu’aucun Etat n’a remboursé la totalité de sa dette. De ce point de vue les discours qui se parent d’arguments moraux sont parfaitement ridicules. Mais, il convient de maintenir la fiction de l’intangibilité des dettes si l’on veut maintenir la réalité des flux d’argent de la Grèce vers les pays créanciers. Quand, ce 24 juin, Alexis TSIPRAS a constaté l’impossibilité d’arriver à un accord, ce qu’il a résumé dans un tweet en deux parties, il a pointé ce problème.

Il insiste sur le fait que le comportement des dirigeants européens montre soit qu’ils n’ont aucun intérêt dans un accord, et la négociation est vaine, ou qu’ils poursuivent des intérêts « spéciaux » qu’ils ne peuvent avouer. L’accusation est grave, même si elle est très réaliste. Et c’est peut-être l’annonce d’une rupture à venir.

En fait, on peut penser que les « créanciers » de la Grèce, et en particulier les pays de l’Eurogroupe, poursuivent deux objectifs dans les négociations actuelles. Ils veulent, tout d’abord, provoquer la capitulation politique de SYRIZA et ainsi, du moins l’espèrent-ils, sauver la politique d’austérité qui est désormais contestée dans de nombreux pays, et en particulier en Espagne comme on l’a vu avec la victoire électorale de PODEMOS. Mais, ces pays veulent aussi maintenir le flux d’argent engendré par les remboursements de la Grèce, car ce flux profite largement aux institutions financières de leurs pays. Tsipras a donc parfaitement raison d’indiquer un « intérêt spécial », qui relève, appelons un chat un chat, de la collusion et de la corruption.

Il est, à l’heure actuelle, impossible de dire si le gouvernement grec, désormais menacé par l’équivalent d’une « révolution de couleur » arrivera à maintenir sa position jusqu’au bout. Mais, jusqu’à présent, il a défendu les intérêts du peuple grec, et au-delà, les intérêts des européens, avec la force d’un lion. Nous n’avons pas le droit d’oublier cela et nous nous en souviendrons quel que soit le résultat final de cette négociation.

Source http://russeurope.hypotheses.org/3990

26 juin 2015

 http://syriza-fr.org/2015/06/26/le-courage-dachille-la-ruse-dulysse-par-jacques-sapir-%C2%B7/

COMMENTAIRES  

27/06/2015 07:49 par CN46400

On sait maintenant que Tsipras n’a pas capitulé puisqu’un référendum est convoque pour le 5 juillet. C’est le peuple grec qui va trancher, reste à savoir s’il pourra le faire hors de toute pression extérieure, comme l’a demandé Tsipras en annonçant cette consultation.....

27/06/2015 10:35 par Scalpel

Avec tout le respect dû à l’auteur de ce billet, le projet même de Syriza était/est condamné dans l’œuf.
La toute puissante Goldman $achs a jeté les grecs dans l’euro avec les magouilles et au coût que l’on sait.
Preuve s’il en est de la mainmise de la finance US sur notre continent.
Dès lors, comment envisager une sortie de crise en restant encamisolé et par l’euro (politique monétaire et économique de TOUTE la zone euro dictée par G$) et par l’UE(SA) ?
Un "courage de lion" ne sert à rien si l’on avance les yeux bandés.
l’Article 50 est "l’anomalie" démocratique d’un Traité d’essence totalitaire, ploutocratique ET anglo-saxonne, l’unique sortie du labyrinthique bordel oligarchique, chaos délibérément organisé. Et pour trouver la sortie, encore faut-il la chercher.
En ignorer la "miraculeuse" existence revient à être complice de l’escroquerie atlantisto-européiste.

27/06/2015 11:59 par Taliondachille

La Grèce est à l’Europe ce que Cuba est aux États-Unis : le pire des exemples, un cauchemar. Cent ans de pratiques mafieuses conduisant en principe à la fin de l’Histoire et au totalitarisme le plus abouti (dans le sens où le champ des possibles n’a jamais été aussi mince) ne peuvent pas être remis en cause par des pêcheurs d’éponges mangeurs de feuilles de vignes farcies. Si le peuple grec tient bon, attendons-nous au joker habituel : l’élimination physique des dirigeants. Souhaitons à nos Achille et Ulysse la chance de Fidel Castro.

27/06/2015 14:44 par Autrement

La décision a été prise cette nuit : le conseil des ministres grec a voté à l’unanimité la proposition de Tsipras de recourir au referendum, voir ici (site de Syriza-Paris).
Voir aussi l’article de M. Soudais dans Politis.

29/06/2015 01:01 par Arthurin

Je fais parti des cassandre qui ont acté la reddition de Syriza en passant sous la table (et en versant un demi milliard), ce referendum est une bonne surprise ; toutefois le fait même de négocier avec la troïka reste une gageure ; comme il semble impossible de penser en dehors de ce schéma de pensée, les grecs devront choisir entre la peste et le choléra, l’Europe des peuples ne sera pas pour demain, mission accomplie.

29/06/2015 14:20 par Autrement

@ Arthurin. Mais vous voyez bien que Syriza ne "négocie" pas (et n’a pas d’illusion à ce sujet !) mais lutte pour le minimum vital de son pays, et cherche à prouver aux autres peuples d’Europe (et a déjà prouvé) qu’une autre politique que la soumission au capital financier est non seulement possible, mais la seule réaliste. Syriza et tous les Grecs qui la suivent ( "Coalition de la gauche radicale") affrontent en ce moment ce qui est le noyau du combat de classe par excellence, la "dette", c’est-à-dire le moyen inventé par Giscard et Cie pour réduire les instances politiques à un théâtre de marionnettes, introniser l’Entreprise, détruire le droit du travail et les services publics, et pressurer le citron populaire sans plus rencontrer de résistance, car ils ont avec eux le soporifère des grands médias. L’Eurogroup cherche à isoler la Grèce dans l’opinion, à s’en débarrasser sans trop de casse, et le gouvernement grec a raison de répliquer que c’est l’Europe qui est en train de perdre la boussole !

30/06/2015 00:09 par Arthurin

@ Autrement

Ils ont payé les 450M alors qu’ils avaient dans les mains la conclusion de l’audit déclarant la dette illégitime, mais ils vont quand même poser la question à la plèbe s’il faut la payer, on sait jamais sur un malentendu ça peut marcher, et si elle répond non ça va affaiblir géopolitiquement toute la zone, c’est gagnant-gagnant.

Ce referendum reste quand même une bonne surprise, il est le signe que le rapport de force interne à Syriza a empêché le storytelling initial de se produire, mais c’est tout.

Je serais vraiment heureux d’avoir tort, le temps nous dira.

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