Le Capitalisme renaîtra de vos cendres

L’idéation est le mot pour nommer un processus étrange. C’est étrange comme les idées surviennent, ou plutôt comme elles semblent faire surface à l’improviste.
Alors que je feuillette le Diplo du mois d’août, je repère une signature : Razmig Keucheyan, auteur en 2012 d’un article sur Gramsci.

Profitant de l’ombre généreuse, bercé par le murmure dans la frondaison, je lis l’article Anatomie d’une triple crise, je souligne deux, trois passages.

Et, je passe à un autre sujet, à un autre article. Trop tard, j’ai déjà l’esprit accaparé. Le titre ci-dessus vient de surgir de nulle part. Reste à développer.

Le Capitalisme, c’est l’accumulation de richesses : ce n’est pas nouveau ! c’est au moins aussi vieux qu’Aristote ! Les moyens se modernisent, mais la finalité demeure inchangée.

Le Capitalisme serait « économiquement à bout de souffle » (1), en manque d’inspiration pour rétablir des taux de croissance attendus. Certains le jugent « stationnaire » (2).

Bien au contraire, il n’a jamais été aussi fort, faute d’une solution de rechange « crédible ». Le Capitalisme n’est pas en crise : la société est en crise, le monde du travail à la peine, le ruissellement économique à l’étiage, l’ascenseur social en panne. Mais, lui, il ignore la crise. Il suscite les cycles, les crises, mais il est le dernier à en pâtir. ’’ Trop gros pour tomber’’, diront-ils. Il a su devenir insurmontable, incontournable, alors qu’il est inhumain, incorrigible. À intervalles réguliers, c’est le grand chambardement, suivi laborieusement par une morne déflation, le temps de purger certains excès d’une façon très indirecte en jouant sur certaines variables ; grâce au soutien inconditionnel des États, des organismes internationaux, la pompe est réamorcée, les circuits et les flux sont relancés jusqu’à la prochaine fièvre.

’’Comment ça, vous le jugez amoral ? Non, bien au contraire, la moralité est : le Capitalisme, c’est notre système, c’est votre problème !’’, lanceront les plus goguenards.

Quand il s’enrhume, il désigne un nouveau lot de sinistrés : les pauvres succombent derechef. Comme dirait le « bon libéral » : « S’il faut en passer par là ! »

Quand il est fiévreux, on s’empresse de le perfuser généreusement avec le sang des volontaires désignés.

Il est indispensable, organique, il est partout : dans la plus grosse artère comme dans la plus petite veinule.

Bien sûr, la croissance n’est plus celle des « trente glorieuses ». Qu’importe, il capte toujours plus : il überise si le salariat ne lui suffit plus. L’auto-entrepreneur devient son plus flexible soutier. Il captera tant qu’il restera quelqu’un, quelque chose - deux sortes de minerais en somme - à exploiter. C’est sa raison d’être.

Le monde autour de lui va mal : et alors, ce n’est pas son affaire. D’autant que d’un mal peut naître un bien, un profit ! La vie comme la mort sont pour lui gisement à exploiter.

Il a suffisamment de ressort. Il a l’intelligence de faire en sorte que le discrédit soit jeté sur la politique. Les politiques servent de fusibles, de défouloir et canalise le mécontentement.

De toute façon, le Capitalisme est indifférent au régime politique, il est transpolitique, comme il est transnational.

Il peut tout aussi bien s’accommoder des démocraties, fragiles par essence, que des pires dictatures : son statut, le place au-dessus comme un suzerain.

D’aucuns le voient sur le déclin, en péril à cause de ses excès (3). Il a besoin de main-d’œuvre, de ressources exploitables facilement. Il ne mourra pas faute de ressources naturelles, ni si l’espace vient à manquer, ni si les « terres rares » se font encore plus rares : il saura s’en prémunir.

Il dispose d’une arme redoutable : il peut susciter la guerre. Si besoin, elle sera mondiale, mondiale comme son emprise, son exploitation. Il l’a déjà fait, il le fera, volontiers, encore (4). Les sentiments, la compassion, la miséricorde, les scrupules lui sont des notions étrangères.

Une bonne guerre : et les surnuméraires ne seront plus des bouches inutiles à nourrir. C’est l’ultime variable d’ajustement : une sorte de solution finale. Il suffira d’invoquer la patrie en danger, la religion, la civilisation ou le mode de vie : on croira n’importe quel faux prétexte comme jadis une certaine dépêche « condensée » initia les hostilités (5).

À chaque guerre, sa cohorte d’orphelins, de blessés, de mutilés, de morts : ils ne sont, au mieux, que des chiffres sans âme. Le monde capitaliste est un monde de chiffres : la géométrie a été créée pour mesurer des surfaces, pour mesurer des propriétés. Au début du capitalisme était la propriété, et ensuite tout a dégénéré. Il manie les quatre opérations de base : additionner, soustraire, multiplier, sans oublier diviser pour mieux dominer. Par contre, il ne sait pas partager.

Dire qu’il aurait suffi de partir du principe que nous ne sommes que les usufruitiers d’une terre sur laquelle notre séjour est un passage, et la face du Monde en eût été changée.

Mais, Homo sapiens est né conquérant, il ne connaît que deux pulsions : Éros et Thanatos. Seule la finitude du monde l’arrêtera.

Avant cette perspective eschatologique, beaucoup de terriens se fracasseront dans une impitoyable sélection.

Le Capitalisme n’est pas malade : ce besoin irrépressible d’accumuler est une maladie, une tumeur maligne.

L’humanité est souffrante : elle larmoie, tousse, pour les plus chanceux, d’autres se noient, sombrent, crèvent, pendant qu’une minorité sable le champagne, fête des profits records.

Ce système de pensée, qui génère tant de désolation, d’inégalités criantes, de souffrances silencieuses, ne suscite que fort peu de réprobation, même des principales victimes qui en deviennent propitiatoires. Comme si le syndrome de Stockholm avait touché l’Humanité entière. Peu ou prou, tous y adhèrent : par crainte du déclassement, celui, qui est devenu moins misérable, ne veut déjà plus partager en voyant plus miséreux que lui.

Ne surtout pas sous-estimer ce système abject : beaucoup d’intelligence concourt à sa pérennité. Il sait innover pour redonner du souffle à ses serviteurs, ses sujets, ses soutiers, ses soutiens, ses clients. Il saura se métamorphoser, « révolutionner » avec la passivité de la masse comme complice, pour mieux perdurer.

L’opinion publique semble totalement indifférente aux images de violence, de pauvreté, et elle reste subjuguée par des choses insignifiantes. Pendant qu’une jeunesse, ayant eu la mauvaise idée de naître parmi les pauvres, telles des ombres errantes, erre parmi les détritus ou joue avec un ballon de fortune, la foule compacte se presse pour voir, approcher, photographier la nouvelle vedette sportive : alors l’argent coule à flots dans une totale obscénité.

Quelle faute de goût, « avec le hasard comme complice », que de naître parmi les pauvres !

Le Capitalisme est une doctrine que seul un Idéal pourrait arrêter. Cet Idéal a déjà un nom : simple à retenir, qui contient un concept des plus compréhensibles : l’Humanisme (6) reste une idée neuve !

Malheureusement, les idées, les Idéaux ne sont plus à la mode. La mode est au divertissement, au ludique, au « technologique », au virtuel : aux antipodes de la réalité. Après le travail, le « parc de distractions »...

Ce qui pourrait perdre le Capitalisme : son insatiable appétit ! À trop vouloir saigner l’Humanité, il pourrait susciter la Révolte...

Mais pour l’heure, la maîtrise est totale et à tous les niveaux. Encore longtemps, il y aura les eaux turquoise de l’opulence pour une minorité, « les eaux glacées du calcul égoïste » pour la majorité et les eaux profondes de la noyade pour les sacrifiés.

Le Monde connaîtra des convulsions terribles, qui n’auront rien de telluriques.

Le Monde connaîtra encore les joies de la création-destruction : création de richesses, destruction d’existences. Un jeu macabre à somme nulle.

Et, le Capitalisme renaîtra de vos cendres.

« Malheur à nous, si nous n’avons pas la force d’être tout à fait libres, une demi-liberté nous ramène nécessairement au despotisme » (7).

« Personne »,

10 fructidor an 225

(1) Anatomie d’une triple crise, Razmig Keucheyan, Monde diplomatique août 2017 : « Avec la fin des ’’trente glorieuses ’’, on assiste à la fin de l’alliance entre le capitalisme et la démocratie, sa meilleure ’’enveloppe’’. Un capitalisme économiquement à bout de souffle, incapable de rétablir des taux de croissance significatifs, ne parvient plus à satisfaire les demandes de bien-être matériel des populations. Ce qui implique qu’à l’avenir le capitalisme s’alliera avec des formes politiques de moins en moins démocratiques ».

(2) Ibidem : « Mais l’idée de ’’capitalisme stationnaire’’ recèle une contradiction dans les termes, puisque le capitalisme est par essence dynamique »

(3) Ibidem : « Le sociologue Immanuel Wallerstein en tire la conclusion sans appel : le capitalisme n’en a plus pour longtemps, précisément parce qu’il a un besoin impératif de cette nature bon marché ».

(4) Lire La chanson de Craonne  : https://www.legrandsoir.info/maudite-soit-la-guerre.html

(5) « Dépêche d’Ems », prétexte à la guerre de 1870

(6) Humanisme : la Dignité humaine (sans exclusion) doit être défendue contre les atteintes provenant des pouvoirs économiques, politiques, médiatiques, religieux.

(7) Robespierre

COMMENTAIRES  

28/08/2017 10:38 par Assimbonanga

De par la loi de la propriété privée, la « nature » est la propriété de chefs d’entreprise, nommés agriculteurs. Ils en disposent selon des critères de rentabilité quand ce n’est pas de possession pure et simple. Des zones humides embêtantes sont parfois asséchées vite-fait. Sur de petites parcelles, oh c’est pas grave ! Et petit à petit, par les moyens du gigantisme avec des engins qui facilitent la tache, la nature est bouleversée, les "châteaux d’eau" du pays disparaissent petit à petit. C’est dans 10 ans que les citoyens constateront les dégâts. Il sera trop tard. On ne recrée pas une zone humide.

28/08/2017 14:45 par Rauch

A quoi ça sert de jeter la pierre en prononçant le mot capital ! et d’appeler à la révolution contre .
La révolution ça par contre il faut la faire mais sur des bonnes causes et pour quelques choses.....
Le capital ne sert à faire que du crédit et ainsi convertir de la création monétaire en vrais monnaies. C’est utile le crédit
Cette monnaies ne devient vrais que par la sueur de celui qui rembourse son crédit.
Ce pouvoir de création est donc lié à la planche à billet et donc au pouvoir de brûler l’argent imprimé en trop.
Forcément il y a toujours de l’argent en trop si on fait de la création monétaire. les deux sont liés c’est comptable
Ce pouvoir ne peux être qu’en possession de la nation et de son organe technique la banque nationale comme cela était par le pouvoir du roi en son temps sinon rapidement le papier monnaie ne vaut plus rien, si n’importe qu"elle banque peux fabriquer de la monnaie.
Cette banque ne peut appartenir qu’ à la nation en question c’est la seule qui peux exister à l’exclusion de toutes les autres banque ainsi le peuple donne la vrais valeur à l’argent papier, ceci par le travail de ces membres. Les autres banque ne sont que des agences pour distribuer le papier elle ne peuvent en aucun cas fabriquer même virtuellement ni détruire de l’argent.
Vus comme cela l’économie c’est très simple et c’est comme cela qu’il faut la voir à mon sens.
Il est maintenant facile de voir ce qui cloche dans le système !!!! et c’est pas le capital ça n’as rien à voir.
je vous en donne un petit échantillon :
_On ne prête qu’au riche !
_Camarade avec ton crédit tu paye deux fois ta maison sur 20 ans ! moi avec le mien trois fois !
_oui je vais au pays des volapuques (les crèves sans fin) car avec mon euro, la bouffe et l’hotel c’est donné.
_tout ce qui est rare est chère : connerie va t’en boire ton lingot d’or en plein desert.
La liste est inépuisable le problème c’est l’éthique et les lois qui l’inspire
_. égalité au droit au prêt ,
_arrêt de l’usure,
_retour de l’argent à la nation, contrôle des changes interdiction du commerce des monnaies etc
les taux d’échnage devrait être nul un travailleur africain vaut autant qu’un allemand
_rappel de la monnaie pour détecter l’accumulation de richesse avec taxe sur la fortune monétaire autant que mobilière c’est la même chose.
Si on ne possède plus sa monnaie on en possède plus sa liberté !!!!
Avant la chute d’un certain mur un pays pratiquait cette politique tant bien que mal je crois. Quelques autres aussi le font encore mais difficilement car ils sont sous embargo. Certaine ont voulus le faire on leur as déclaré la guerre je crois et ils ont été rasé et livré au pillage.
Un capitale éthiquement géré peut être révolutionnaire. Autrement tu peux acheter du bitcoin le sommet de l’arnaque mais bientôt on te laisseras pas le choix tu te feras arnaqué envers et contre tout.

28/08/2017 14:48 par desobeissant
28/08/2017 22:27 par irae

La force du capitalisme il mute depuis les smith ricardo et jusqu’à friedman. Un peu comme un virus bien mortel comme hiv. On croit le vaccin sur la bonne voie et le voilà en classiques, néo classiques, libéraux et néo (thatcherisme et reaganisme).
Je pense que la prochaine souche nous anéantira si on ne trouve pas rapidement un antidote.

28/08/2017 23:05 par Michèle

"Homo sapiens est né conquérant"

Attention, l’homo sapiens est surtout né solidaire, sinon, il n’aurait pas pu survivre. L’idée que le capitalisme ferait partie des lois de la nature est chère aux capitalistes qui justifient ainsi leur soif d’accumulation de richesses au détriment de leurs semblables. Néanmoins, nos sociétés (même les sociétés capitalistes) sont construites aussi autour de l’entraide, de la gratuité et du partage.

Va-t-on continuer à fonctionner au mérite et à la conquête ou va-t-on enfin partager mieux ?

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