Qu’est-ce qu’un hold-up et quelles sont les conditions qui ont permis l’apparition de ce genre de crime ? Voici comment débute cet essai sur ce que l’auteur va cerner au fur et à mesure du livre : la société du hold-up. Il a fallu la conjonction de deux choses pour l’apparition du hold-up : l’accumulation de richesses et la liberté individuelle. L’auteur, en passant par la description des grands casses et de l’influence réciproque entre cinéma et hold-up, arrive à notre époque et en conclut que « le braquage n’est plus ce qu’il était. »
Là se trouve le nœud du livre : certes le braquage n’est plus ce qu’il était mais il n’est plus là où on l’attend. Il se situe au niveau des puissances financières, des nouvelles techniques numériques, des lancements d’objets culturels : son mécanisme s’est généralisé au point d’infuser toute la société.
Paul Vacca prend trois exemples fondamentaux de « braquage postmoderne » autour des subprimes, des hedge funds et du sauvetage des banques par l’Europe et les États-Unis. Grâce à la définition du hold-up et de ses différentes phases, on comprend comment ces grandes crises financières peuvent, par analogie, être considérées comme des braquages et à quel point la sidération joue en fin de compte. Mais l’auteur pointe aussi les différences essentielles entre le braquage à l’ancienne (un groupe de particuliers s’en prend à une banque) et ces types d’escroqueries paradoxales (une banque s’en prend à tous les particuliers) :
« Et, alors que le hold-up traditionnel était illégal, et pouvait être à certains égards – et c’est ainsi que le présente le cinéma – légitime, le hold-up des financiers en est la parfaite image inversée. Totalement légal – puisque ce sont les acteurs du système financier qui édictent leurs propres règles sous le regard approbateur de l’État – mais illégitime, car les seuls à en payer le prix sont les citoyens. »
La partie la plus passionnante est certainement l’analyse de l’extension du hold-up à d’autres domaines. En particulier, l’auteur explique en détails l’apparition du phénomène des blockbusters (daté autour des conditions de distribution du film Les dents de la mer). Moyen pour rafler la mise en quelques jours sur les évènements « artistiques » : sorties de films, expositions, livres à gros tirages… Et l’explication du phénomène de « disruption » qui devient une obligation pour se maintenir dans les nouvelles techniques, au cœur de notre monde numérique actuel, est très convaincante, fascinante et inquiétante.
Finalement, l’auteur fait la jonction avec l’individu :
« Aujourd’hui, certains évoquent le « descenseur social » pour exprimer la précarisation généralisée que connaît notre société. Mais, quitte à filer la métaphore, celle qui nous paraîtrait la plus adéquate à la situation que nous vivons serait celle d’un ascenseur en apesanteur, dont le logiciel serait devenu fou et qui serait capable de vous propulser au dernier étage comme de plonger à la cave, sans aucun moyen de contrôle. »
La fin du livre laisse perplexe et l’on peut se demander s’il n’y a pas une espèce d’humour noir à placer les espérances d’amélioration de ce chaos disruptif dans des mouvements comme celui des indignés ou autre « disruption » dans le domaine de la pensée à vide.
Essai stimulant, court et compact, la société du hold-up permet la lecture d’évolutions profondes de nos sociétés à travers le filtre (quasi-concept) du braquage. L’invitation à quelques approfondissements est efficace (notamment l’importance du disruptif dans le monde économique actuel). Ou quand le lent et progressif passe à la trappe au profit du discontinu et du rapide...
Olivier Bleuez
La société du hold-up (sous-titré le nouveau récit du capitalisme), novembre 2012. 160 p. 13 € - Ecrivain(s) : Paul Vacca Edition : Mille et une nuits