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La mystification de la révolution verte des années 1960 censée lutter contre la faim dans le monde

Le système d’exploitation et de contrainte, capitaliste depuis trois siècles, façonne les structures de la société en vue d’une exploitation et d’une domination accrues des masses. Pour ce faire, il use de ruse pour arriver à ses fins. En effet, la domination du petit nombre sur le grand nombre a besoin d’un « pseudo » consentement de la part de la masse. Pour l’obtenir, le système met en lumière et promeut des causes « humanitaires » qui, tellement « évidentes », logiques, charitables et flatteuses pour la dignité humaine, deviennent rapidement des dogmes, des vérités imposées qu’il est interdit de mettre en doute ou de contester. Il s’agit le plus souvent de « sauver » tout ou partie de l’Humanité. Ces causes humanitaires, véritables « croisades », mobilisent les multiples agents du système : personnel politique, médias, intellectuels, économistes, juristes, experts… Le but réel desdites croisades est de façonner les structures des sociétés destinataires pour les rendre compatibles avec l’évolution planifiée du système d’exploitation. L’exemple de la révolution verte, débutée dans les années 1960 dans le Tiers-Monde, pour « lutter contre la faim dans le monde » apparaît significatif. Elle a contribué à ajuster les structures de la société (particulièrement celles du secteur de l’agriculture traditionnelle), à intégrer ledit secteur dans la mondialisation et à créer des dépendances externes (économiques, technologiques, financières…). Ce façonnage sociétal facilitera le passage au néolibéralisme avec la crise de la dette extérieure du début des années 1980.

La révolution verte pour lutter contre « la faim dans le monde »

La révolution verte est le pendant de la mise en place de l’agriculture productiviste en Europe après la Deuxième Guerre mondiale. Sous le prétexte de la lutte contre la faim dans le Tiers-Monde, la révolution verte a été un instrument majeur de la destruction de la société traditionnelle et de l’intégration des agricultures du Sud dans la mondialisation et de leur domination par les firmes multinationales de l’agroalimentaire.

Au cours des années 1950-1960, la Banque mondiale ainsi que des fondations privées, notamment les fondations Ford et Rockefeller, ont financé la recherche agricole dans les pays en développement (1) . Cette recherche a abouti à l’élaboration de nouvelles variétés de céréales à haut rendement qui devaient couvrir les besoins alimentaires croissants des pays du Sud.

En effet, les experts soutenaient que les variétés de céréales traditionnelles, caractérisées par de faibles rendements, ne permettraient pas de faire face à l’accroissement de la demande générée par une démographie galopante. L’introduction dans les agricultures du Sud de ces nouvelles variétés à haut rendement (VHR) a pris le nom de « révolution verte » lancée en 1965. Il s’agissait de résoudre le problème de la faim dans le monde par la mise en œuvre de savoirs scientifiques par un programme américain de diffusion des techniques agricoles occidentales (2). La révolution verte a touché l’Asie, le Moyen Orient, l’Amérique Latine et l’Afrique du Nord, mais elle a peu concerné l’Afrique subsaharienne.

L’introduction des VHR a provoqué la « modernisation » de l’agriculture dans un grand nombre de pays du Sud. Ces variétés plus réceptives à l’usage des engrais et de l’irrigation, ont permis dans un premier temps de plus que doubler le rendement des cultures de riz et de blé. L’accélération de la croissance de la production agricole représentait, selon les experts, une importante contribution à l’autosuffisance alimentaire, un renforcement de la capacité d’exportation de produits d’alimentation de base ainsi qu’un accroissement du surplus agricole permettant de financer le développement.

Au-delà de l’augmentation des rendements et de la production à court terme, la révolution verte a engendré de nombreux effets pervers sur les plans écologique, économique et social.

Les effets pervers de la révolution verte (3)

Sur le plan écologique, la révolution verte s’est traduite par : (i) la réduction de la biodiversité ; (ii) l’augmentation de la sensibilité des VHR aux maladies (les variétés traditionnelles se révèlent plus résistantes) ; (iii) l’appauvrissement des sols et leur dégradation par la culture intensive ; (iv) l’irrigation intensive et l’utilisation massive d’intrants (engrais, pesticides) a provoqué la contamination des sols ainsi que la salinisation de vastes territoires ; (v) l’équilibre écologique a été rompu en raison des monocultures et de l’emploi massif de pesticides détruisant notamment une partie de la faune (4).

Sur le plan économique, étant donnée la nécessité d’utiliser un paquet technologique constitué de machines agricoles et de produits chimiques fabriqués dans les pays du Nord, la révolution verte a progressivement augmenté la dépendance des pays concernés à l’égard des multinationales de l’agro-industrie. De ce fait, l’agriculture du Sud est devenue encore plus extravertie et plus intégrée dans les circuits mondiaux des échanges. Grâce à la révolution verte, sous des prétextes louables (humanitaires, charitables) les entreprises multinationales du Nord ont réussi à mettre la main sur une grande partie du secteur agricole du Tiers-Monde. De plus, le démarrage de la révolution verte s’est opéré grâce à des prêts bancaires, notamment de la Banque Mondiale, qui ont participé à l’aggravation de la dette du Tiers-Monde.

Sur le plan social, la révolution verte a bouleversé l’édifice traditionnel. D’une part, elle s’est réalisée au détriment des biens communs (pâturages, forêts...) dont profitaient les couches les plus pauvres de la population. À l’image de l’Europe deux siècles plus tôt, ce mouvement d’enclosure a généré un phénomène de désintégration sociale jetant sur le marché du travail une main-d’œuvre « libre » taillable et corvéable à merci pour un salaire assurant à peine la subsistance. D’autre part, la révolution verte a introduit une technologie étrangère que les agriculteurs ne maîtrisaient pas vraiment, créant ainsi une dépendance technologique vis-à-vis de l’industrie du Nord. De plus, la culture des VHR et le paquet technologique qui l’accompagne (matériel agricole, engrais, pesticides, herbicides,...) ont propulsé les agriculteurs dans un cycle d’endettement croissant qui, pour beaucoup, est devenu insoutenable. Ces agriculteurs ont fini par vendre leurs terres aux banques et aux grands propriétaires terriens (5). En définitive, la révolution verte a modifié les structures sociales et accéléré l’exode rural qui a grossi les populations des bidonvilles aggravant le chômage et la pauvreté.

La révolution verte a participé à l’ajustement structurel voulu par le système

Comme l’écrivent Lise Cornilleau et Pierre-Benoît Joly, la révolution verte constitue une « ingérence inédite dans les affaires intérieures de nombreux pays en dehors de tout cadre colonial, la révolution verte cherche à pallier son défaut de légitimité démocratique en se réclamant de l’impératif moral de secourir les affamés, qui entre en résonance avec l’esprit messianique étasuniien. Elle s’appuie aussi sur une prétendue efficacité, mise en scène par les récits épiques de victoire des technologies « modernes » sur la faim. [...] La révolution verte mérite d’être qualifiée d’« instrument (global) de gouvernement », car elle a refaçonné les politiques agricoles et alimentaires d’un grand nombre de pays dans le sens d’un projet politique mondial porté par les fondations philanthropiques américaines, celui d’inscrire les paysanneries du Sud dans une chaîne de dépendances, économiques et culturelles, à l’égard des industries (agro-industrielles et pétrolières) et des institutions académiques du Nord » (6).

Le rôle des États s’est avéré déterminant dans la mise en œuvre de la révolution verte. En effet, ils ont « financé massivement – avec des appuis internationaux – les infrastructures d’irrigation. Ils ont mis en place un appareil parapublic de grande envergure : recherche publique, organismes de vulgarisation, entreprises publiques d’approvisionnement en intrants, offices publics d’achat, organismes publics de financement du crédit. L’État a subventionné les engrais et les produits de traitement, ainsi que les prix agricoles, les prix à la consommation et le crédit » (7).

Les États se sont comportés comme de bons agents du système. Ils ont détruit les structures anciennes et façonné de nouvelles plus conformes au déroulement du projet mondial. Les nouvelles dépendances créées révèleront leur utilité lors du passage à l’étape suivante du néolibéralisme. L’instrumentalisation des États pose la question de la responsabilité des « élites » nationales au gouvernement : incompétence, naïveté ou complicité ?

Bernard CONTE


1. Des instituts internationaux de recherche ont été créés. Par exemple, L’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) aux Philippines en 1959 et le Centre international pour l’amélioration du blé et du maïs (CIMMYT) au Mexique en 1943.
2. La solution technologique permettait de « naturaliser » le problème de la faim en évacuant tout élément relatif aux inégalités, à l’exploitation, à la réforme agraire...
3. Pour une critique de la révolution verte, se référer aux travaux de Vandana Shiva et notamment : The Violence of the Green Revolution - Third World Agriculture, Ecology and Politics, Paperback, 1991.
4. On a également noté l’apparition de parasites résistants dont l’élimination requiert l’emploi de produits de plus en plus puissants.
5. La révolution verte a favorisé l’endettement des paysans dont beaucoup ont dû vendre leurs terres et migrer en ville.
6. Lise Cornilleau et Pierre-Benoît Joly, « La révolution verte, un instrument de gouvernement de la « faim dans le monde », janvier 2014, consulté le 10/02/2021. Les auteurs ajoutent : « Cette gouvernementalité globale allait à l’encontre des revendications de réforme agraire de la part des paysanneries du tiers monde émancipées du joug colonial ».
7. Michel Griffon, « Développement durable et agriculture : La révolution doublement verte », Cirad, Cahiers agriculture, 1999, 8, 259-267.

COMMENTAIRES  

13/02/2021 12:16 par Assimbonanga

Et allez ! Encore de l’argent foutu en l’air : Pour défendre son action climatique, le gouvernement s’offre les services d’un cabinet de conseil international
Nous pouvons bien nous égosiller dans nos commentaires et indignations, nous ne sommes que de petits vermisseaux insignifiants pour ce monde restreint qui décide tout entre soi. On s’est beaucoup éloigné de la cité, de la commune, de la délibération, de l’importance du peuple. Une aristocratie d’entrepreneurs et classes très supérieures a fait main basse sur le bien public.
L’arrivée de la pandémie a accéléré leur processus totalitaire. Nous ne sommes même plus dans un étau à deux mâchoires où l’on pourrait trouver des fuites entre les mâchoires. Nous sommes prisonniers d’une forme de mandrin concentrique où il n’y a pas d’échappatoire. Etat d’urgence, surveillance policières, couvre-feu et pendant ce temps, là-haut, ils se servent. Ils puisent à discrétion dans l’argent public.
On n’aurait pas besoin de ces "études". Les choses sont simples et claires. Tout ce système sert à seulement deux choses : gagner du temps, engraisser une entreprise privée. Macron voleur !

13/02/2021 12:20 par Assimbonanga

Israël, Californie, Australie : grands criminels planétaires. Main basse sur l’eau, irrigation, marchandisation, gaspillage, spéculation, destruction, transformation des agricultures locales. Pires qu’Attila. Là où ils passent, la vie trépasse.

13/02/2021 19:03 par AF30

Il faut leur reconnaître une imagination sans limite pour assurer et développer leurs nuisances.
Et puisqu’on évoque les ONG, outre les dégâts qui sont listés dans ce texte, ils ont depuis créé des écoles lucratives pour former des intervenants : https://www.ecole3a.edu/formations/filiere-cooperation-action-humanitaire/
L’humanisme est devenu un business comme un autre, si on peut dire. On peut y faire carrière avec en prime une image valorisante.
Les populations concernées n’y occupent, dans ce système, soit les seconds rôles soit le décor de fond. Sans compter que toute cette comédie cultive en permanence une image négative de ces hommes, femmes et enfants compris, car ils sont représentés essentiellement en situation de détresse et incapables de subvenir à leurs besoins.
Autre chose amusante : les multinationales saignent, avec des complicités locales, ces pays pour leurs plus grands profits puis grâce au parrainage des ONG bénéficient de dégrèvements fiscaux qui se transforment, grâce au mystère de lois qui leur sont mystérieusement favorables, en charge pour les population du Nord.

13/02/2021 20:28 par Jefresi

Tiens voilà un article qui rappelle l’oeuvre d’un certain René Dumont ingénieur agronome qui a vu toutes les couleurs du "verts".

14/02/2021 13:51 par jo nice

il y avait une alternative à la révolution chimique heu.. je veux dire verte ! En URSS avant krouchev ont préférerait le fumier au nitrate,on considérait le sol comme un écosystème plutot qu’un support à engrais,on plantait des arbres dans la toundra pour augmenter les surfaces arables...
Toute ces choses remises au gout du jour par l’agro-écologie,la permaculture et l’agronomie moderne. Ils avaient 50ans d’avance mais on les traitait d’arriérés...
LISEZ GUILLAUME SUING si le sujet vous intéresse !

14/02/2021 17:46 par antiecofa

Oui l’impérialisme a continué de se développer, notamment par la mondialisation des marchés agricoles mais de là à dire que l’ensemble de la révolution verte est un complot capitaliste c’est pas sérieux. On aurait aimé avoir les chiffres de la mortalité infantile, de l’espérance de vie ou de la sous alimentation dans tous ces pays depuis 80 ans. Vous semblez mal analyser le rapport dialectique entre le progrès en agriculture et le capitalisme.
Oui l’agriculture stalinienne proposait un autre modèle de dvp agricole, qui s’avère être plus scientifique mais ,faute de mieux, faut-il pour autant rejeter l’autre système entièrement, et idealiser les économies traditionnelles ? Les famines pluriseculaires ont disparus dans la majorité de ces pays, capitalistes ou non. Mais les pesticides et les céréales à hautrendement c’est le mal pour nos idéologues écologistes, alors que les petits chinois mangent à leur faim ça leur fait ni chaud ni froid ce qui compte c’est le Green New deal !

15/02/2021 17:51 par monde indien

Les riches pètent Bio - Les pauvres mangent l ’ alimentation agro-industrielle très polluante - mais ils n ’ ont pas le choix - Ça , les riches le savent mais ils n ’ ont pas le choix , ils ont besoin des pauvres - Dans ces conditions le Bio n ’ est qu ’ un cache-misère - Les associations humanitaires c ’ est pareil , c ’ est juste des cache-misère . Cachez cette misère que je ne saurais voir !
http://mondeindien.centerblog.net/
Amicalement à tous ,

18/02/2021 09:54 par Assimbonanga

Ah ! Soufris Maracas. Le festival de la Chabriole. FUIT NON EST.
Une nouvelle qui ne me réjouit pas, mais pas du tout :
Des politiques de tous bords lancent un appel à « défendre le patrimoine nucléaire français » André Chassaigne, Sébastien Jumel, Arnaud Montebourg...
Création de l’association de Défense du Patrimoine Nucléaire et du Climat

18/02/2021 12:19 par babelouest

@ Assimbonanga
Bonjour. Cela me fait tout doucement "rire" (hum) quand je vois les communistes français défendre le nucléaire. Déjà faire de grandes campagne "au nom du climat", cela me défonce, sachant que le problème n’est pas là puisque les fluctuations de températures il y en a toujours eues et il y en aura toujours (il faisait bien plus chaud en moyenne aux XIIe-XIIIe siècles qu’aujourd’hui), et elles n’ont AUCUN rapport avec les activités humaines. Les pollutions non-carbonées, beaucoup plus, donc on n’en parle pas.

Mais défendre, au nom du productivisme, le nucléaire, comme je n’ai rien contre lui je ne lui conseillerai pas d’aller chez les Japonais qui ont subi de plein fouet le désastre de Fukushima, ni plus tôt les Biélorusses ou les Ukrainiens qui ont vécu Tchernobyl, ni encore plus loin les Russes de Sibérie qui habitaient vers 1957 les alentours de Kychtym : quelques baffes aident à comprendre parfois. D’un cheveu la catastrophe fut évitée en 1999 dans la région de Bordeaux (on imagine devoir évacuer la ville et le reste....), d’un cheveu la vallée du Rhône peut à tout moment connaître la même chose. J’ai des amis du côté d’Orange, pas besoin d’en dire plus.

Ma chère Assimbonanga, voilà dix ans que je suis de très près ce dossier du nucléaire, auquel désormais se greffe une vision élargie à toutes les ondes électromagnétiques, pulsées, donc artificielles. Vu le déni méprisant des Grands de ce monde sur ces dossiers, l’affaire est difficile. Cela est d’autant plus inquiétant que les enfants ou petits-enfants des décideurs numériques de Californie sont scolarisés dans des structures dont sont bannis ordinateurs, téléphones numériques : ils ont les moyens financiers pour exiger cela.

Quant à nous ? Eh bien nous sommes "ceux qui ne sont rien".*

* cela me rappelle une phrase de l’un de mes livres de lecture de primaire, écrit par Ernest Pérochon (prix Goncourt en 1925). Dans un petit récit un apprenti cuisinier se fait menacer de se faire "enfoncer un rien-tout-nu dans l’oreille gauche, pour le faire ressortir par l’oreille droite". J’en frémis encore.....

18/02/2021 14:26 par jo nice

@assim
Je comprend votre opposition au nucléaire,cela dit, faut savoir ce qu’on veut. Si on veut lutter contre le réchauffement climatique et produire en France pas le choix,on à besoin de l’atome, seule source d’énergie massive pilotable ,peu chère(au Kw/heure) et décarboné.

Après dans une optique de décroissance radicale, c’est sur que le nucléaire est à combattre.

Personne n’aime la radioactivité,c’est une question technique de bénéfice/risque. Je pense pour ma part que la défense d’un pole nucléaire publique et sur est cohérent avec l’AEC dans sa volonté de planifier et stimuler la production en France.

18/02/2021 15:11 par Assimbonanga

Beuh non. Y a pas de réchauffement climatique puisqu’une tempête de neige vient de "rafraîchir" le Texas. Tout va très bien.
Je me demande quelle gueule auront les végétaux au dégel. Et la production agricole.

19/02/2021 09:57 par Assimbonanga

Peu chère ? Le prix à payer est exorbitant, qu’on regarde les accidents nucléaires ou le stockage des déchets. C’est le pacte avec Méphisto.

09/03/2021 17:38 par HUGO

Bonjour à tous, un lien qui va particulièrement plaire à notre amie Assim, mais pas que https://www.youtube.com/watch?v=FAz...

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