Des officiels américains ont appelé le New York Times pour lui demander de leur envoyer deux journalistes pour prendre un texte sous la dictée. Les journalistes ont consciencieusement pris en sténographie ce qu’ils ont dit et l’ont mis en forme pour publication.
L’objectif principal de cet article semble être de rendre le service de renseignement jordanien responsable du fait que les armes que la CIA a fournies aux « rebelles syriens » se retrouvent sur les marchés d’armes et dans les mains de l’Etat islamique.
Mais les officiels font aussi quelques révélations partielles, confirmant certains faits déjà connus pour en cacher d’autres. Les journalistes ne s’embêtent jamais à expliquer cela à leurs lecteurs. Ils ne remettent aucune des affirmations capitales en question, même quand elles contredisent des rapports déjà rendus public. « Pourquoi encombrer le lecteur avec des faits ? » doivent-ils penser.
Et donc nous lisons dans l’article que les membres du renseignement jordanien ont « volé » des armes de la CIA destinées aux rebelles syriens « modérés ». Les services secrets jordaniens les ont « vendues » sur le « marché noir ». Et, malheureusement, certaines de ces armes ont récemment été utilisées contre les mercenaires de la CIA américaine.
C’est que, voyez-vous, l’Empire, toujours maladroit, et son incompétente CIA n’arrivent jamais à faire les choses correctement. Ils ont toujours de bonnes intentions, mais font toujours des erreurs regrettables comme de perdre des armes qui finissent on ne sait comment dans les mains de l’État islamique et d’autres djihadistes. Quoique fassent les Etats-Unis, les conséquences négatives de leurs actes sont par définition imprévisibles et les coupables sont toujours les autres, des méchants.
Le fait que les armes destinés aux « rebelles modérés » soient vendues aux djihadistes jusqu’à sur Facebook, était prévisible dès le départ et tout le monde sait cela depuis longtemps. Ce n’est pas un problème jordanien.
L’article tente de faire passer d’autres mythes :
- La CIA n’a commencé à former les rebelles syriens et à leur livrer des armes qu’en 2013
- Les armes sont toutes venues d’Europe orientale via certains pays du Golfe
- Ces pays du Golfe dépendant des Américains agissaient à l’aveuglette et ce n’est que depuis 2013 que la CIA, heureusement, a pris les choses en main et a remis les pendules à l’heure.
- L’Etat jordanien laisse les officiers qui ont systématiquement « volé » des armes toucher leurs pensions et les profits des ventes parce que l’état jordanien fait n’importe quoi.
On a pourtant pas mal d’informations qui contredisent ce conte de fées :
- Les centres d’opérations internationales pour coordonner les rebelles syriens en Turquie et en Jordanie ont été installés en 2012
- La CIA supervisait la contrebande d’armes en provenance de Libye vers la Syrie en décembre 2011
- les pays du Golfe dépendent des États-Unis pour leur renseignement et leur défense ; ils ne se mettent pas à faire n’importe quoi, à moins que l’es Etats-Unis n’y aient intérêt.
- Aucun Etat, pas même la Jordanie, ne dorlote des officiers qui « volent » des armes et les revendent contre les ordres et les intérêts de l’Etat.
La bonne question est pourquoi cette histoire sort maintenant. Elle donne quelques infos, mais son véritable objectif semble être de faire croire qu’un « officier jordanien a volé des armes qui ont tué des amis des américains » pour donner une mauvaise image de la Jordanie. L’article du NYT a été écrit en collaboration avec le média qatari Al Jazeerah.
Il y a des gens en Jordanie qui doutent que la poursuite de la guerre contre la Syrie soit dans l’intérêt du pays. Un véhicule utilisé dans un attentat suicide récent contre un poste de la frontière jordanienne avait été précédemment officiellement fourni aux rebelles syriens « modérés ». ISIS a revendiqué l’attaque. La Jordanie ne peut rien attendre de bon d’une guerre continuelle et elle veut y mettre fin.
Alors, cette histoire a-t-elle été diffusée pour faire pression sur la Jordanie et qu’elle change d’avis ? Est-elle la façon des Etats-Unis et du Qatar de faire pression pour réactiver le « front sud », qui est calme depuis un certain temps, et lancer une nouvelle attaque rebelle contre Damas à partir de la Jordanie ?
Il ne faut pas s’attendre à ce que les sténographes du NYT répondent à ces questions.
Moon of Alabama
Traduction : Dominique Muselet