Durant la nuit du 17 au 18 septembre le rappeur et militant antifasciste, proche de la coalition de partis anticapitalistes, ANTARSYA, Pavlos Fyssas (allias “ Killah P. ”) était assassiné de trois coups de couteau par un membre d’Aube Dorée (Chrysi Avghi). L’émotion en Grèce et dans d’autres pays d’Europe, est très grande. Depuis, des milliers de personnes se mobilisent dans les rues d’Athènes et d’autres villes du pays. En effet, après s’être attaqué à des travailleurs immigrés et des personnes LGBT, ce parti néofasciste s’en prend désormais aux militants de la gauche radicale. Peu à peu Aube Dorée révèle sa vraie nature fascisante.
Le « tournant anticommuniste » des attaques d’Aube Dorée
Pavlos Fyssas regardait un match de foot avec sa compagne et des amis dans un bar à Amfiali dans le Pirée. Un échange verbal avec des membres d’Aube Dorée (AD) aurait eu lieu. Des renforts sont arrivés pour intimider Fyssas et ses amis, qui réussissent cependant à s’enfuir du bar. Mais plus loin dans la rue ils sont interceptés par une voiture, de laquelle descend un autre membre d’AD. Il poignarde Fyssas qui meurt quelques minutes après. Selon des témoignages, des officiers de police ont regardé la scène sans rien faire. Malgré tout, le soir même, l’assassin de Fyssas, Yiorgos Poupakias, est arrêté.
Dans leurs premières déclarations, les responsables de Chrysi Avghi niaient toute relation avec le meurtrier, en dénonçant une « chasse aux sorcières » de la part du gouvernement et des médias contre leur parti. Mais rapidement, des évidences, comme des photos où l’on voyait l’assassin de Fyssas avec des dirigeants connus du parti, ont été publiées dans la presse et les réseaux sociaux. Par la suite on a appris que Yiorgos Pupakias, qui avait perdu son travail de chauffeur routier il y a deux ans, sa fille, son épouse et un cousin travaillaient tous pour la section locale d’Aube Dorée. Plus encore, d’après les déclarations d’un ancien militant d’Aube Dorée de la région, Fyssas était visé par le groupe en raison de son engagement antifasciste : « Je sais qu’ils [Aube Dorée] lui en voulaient parce qu’il avait des chansons antifa. Dans certaines chansons, il injuriait les membres d’Aube Dorée » [1].
Il s’agit clairement d’un crime politique qui se produit juste quelques jours après qu’une bande d’AD ait attaqué sauvagement, avec des barres de fer, des militants du Parti Communiste Grec (KKE) qui réalisaient un collage. Neuf ont fini à l’hôpital avec des blessures graves. Il faudrait mentionner également le procès qu’AD avait lancé contre l’intellectuel trotskyste et dirigeant du Parti ouvrier révolutionnaire (EEK) d’origine juive, Michel Matsas, pour « incitation à la violence » lorsque, en 2009, ce parti appelait dans un tract (!) à se mobiliser contre le groupe fasciste. Même si finalement Matsas a été acquitté, ce procès a été une preuve de plus du caractère réactionnaire de la Justice bourgeoise qui a donné suite aux accusations de cette organisation réactionnaire et criminelle qu’est Chrysi Avghi !
Ce « tournant » d’AD, plus ouvertement « anticommuniste » (dans le sens large du terme), au moins dans les attaques physiques, serait une politique consciente de sa direction : « Aujourd’hui, les néonazis visent un électorat de droite plus classique et ajoutent à leur rhétorique un discours anticommuniste qui leur permet de se poser en défenseurs des valeurs traditionnelles de la droite. Ce n’est pas un hasard s’ils s’en sont pris à des syndicalistes communistes qui collaient des affiches dans la banlieue athénienne de Pérama, il y a une semaine, en suivant le même schéma que pour le meurtre de Pavlos Fyssas, mardi 17 septembre, c’est-à-dire avec un déséquilibre des forces évident. Ce sont de véritables expéditions punitives, car leurs adversaires sont toujours moins nombreux et n’ont aucune chance » [2]. Comme on le voit, Aube Dorée n’est pas simplement un parti raciste, xénophobe et homophobe, c’est avant tout un parti réactionnaire qui tout en se prétendant « antisystème », défend clairement les intérêts du patronat.
Cependant, les secteurs les plus concentrés du capital grec n’adoptent pas cette option fascisante que propose Chrysi Avghi car elle s’avère très dangereuse. En effet, le fascisme, en tant qu’instrument direct du grand capital pour briser le mouvement ouvrier avec des méthodes de guerre civile, ne peut avancer et se renforcer que sur la démoralisation, la confusion et la désorganisation des travailleurs. Or, rien ne dit que le mouvement ouvrier soit démoralisé en Grèce, comme les luttes en cours le démontrent. Un autre élément qui montre la dangerosité pour la bourgeoisie grecque aujourd’hui d’emprunter une voie fascisante c’est qu’après le meurtre de Fyssas, il y a eu réaction et mobilisation populaire et les sondages eux-mêmes montrent que la popularité d’AD a chuté de 1,5%.
Mais ce qui est sûr en tout cas c’est que l’existence d’un parti ouvertement fascisant qui progresse électoralement, et peut-être aussi en termes d’influence sur des secteurs de la petit-bourgeoisie ruinée et même sur certains secteurs du prolétariat, exerce une pression vers la droite sur l’échiquier politique. En même temps, en cas d’échec du gouvernement actuel, la bourgeoisie pourrait avoir une alternative ouvertement réactionnaire. Il n’est pas anodin que certains secteurs au sein de Nouvelle Démocratie, proches de la droite, évoquent un éventuel rapprochement avec Aube Dorée. Bien évidemment, en cas d’approfondissement de la lutte de classe, la bourgeoisie pourrait aussi adopter une option réformiste/front-populiste où SYRIZA jouerait un rôle fondamental étant donné son programme de conciliation avec le capitalisme grec et l’UE. Cette dernière option, ajoutée à la politique des directions syndicales qui trahissent les luttes et appellent à des actions sans perspectives, pourrait devenir un élément de démoralisation important pour le mouvement ouvrier. C’est pour ces raisons qu’une option révolutionnaire doit commencer à se mettre en place dès maintenant.
Le gouvernement et le discours sur les « extrêmes »
« Aussi bien l’extrémisme que le populisme ne parlent ‘au nom du peuple’ que pour détruire l’intérêt public. Tous les deux parlent ‘au nom de la nation’ au détriment de l’intérêt national. Tous les deux parlent ‘au nom de la société dans son ensemble’ pour la soumettre à tout type de tyrans, généralement présentés comme des ‘sauveurs’ » [3]. Ces paroles ont été prononcées un jour avant l’assassinat de Pavlos Fyssas par Antonis Samaras, premier ministre grec. Il s’agissait ici de renvoyer dos à dos Aube Dorée et SYRIZA dans la lutte électoraliste que son parti, Nouvelle Démocratie (ND), mène contre eux. Mais plus largement c’est une tentative de légitimer la répression contre les militants syndicaux et d’extrême-gauche, responsables, par leurs grèves et manifestations, du blocage du bon déroulement des réformes « indispensables pour la croissance du pays ».
Après le meurtre de Fyssas la presse bourgeoise a essayé d’effacer tout aspect politique du crime en faisant entendre qu’il s’agirait d’une dispute liée au football. Mais très rapidement cette version a été écartée (en partie par les aveux du meurtrier lui-même) et le gouvernement a dû déclarer hypocritement sa condamnation de cet « acte de violence ». Cyniquement, tout en menaçant AD de la déclarer hors la loi ou de suspendre le financement de l’Etat à ce parti, Samaras développait de façon subtile sa rhétorique « anti-extrêmes », en déclarant : « les différences politiques doivent se résoudre à travers du dialogue démocratique et non avec des désaccords enflammés ou de la violence, d’où qu’elle vienne... » [4].
En outre, alors que les dirigeants de l’Etat prétendent condamner les crimes d’Aube Dorée, leur police attaque brutalement les manifestants antifascistes dans les rues. Et cela avec le soutien ouvert de militants d’AD qui n’hésitent pas à lancer des pierres et tous types de projectiles contre les manifestants. Contre ces actes, le comité des médecins de l’hôpital Tzaneio a publié un communiqué dans lequel il dénonce la violence de la police envers les manifestants : « hier, le 18 septembre 2013, au soir, après la manifestation de protestation contre l’assassinat du jeune Pavlos Fyssas par un membre d’Aube Dorée, le service des urgences du département de chirurgie a reçu 31 manifestants, tous blessés par coups sur la tête. Les blessés avaient reçu des coups de bâton, de casques, de boucliesr et des coups de pied par les groupes DELTA et DIAS. Il y a également des dénonciations faisant état de pierres qui étaient lancées du côté de la police contre les manifestants, sur la tête, par des membres d’Aube Dorée » [5] . On parle également d’un manifestant qui pourrait perdre la vision d’un œil.
Plus largement, la répression de la part du gouvernement se généralise contre les luttes des travailleurs, en envoyant les flics pour briser les grèves. Les discours xénophobes venus aussi bien de ND que du PASOK préparent le terrain pour que des groupes fascistes se sentent « légitimes » pour lancer leurs attaques. Mais c’est avant tout la misère engendrée par les attaques contre les conditions de vie et de travail des couches populaires qui pousse certains secteurs désespérés du prolétariat et de la petit-bourgeoisie à voir dans le discours d’Aube Dorée une solution.
Le retour des grèves et des mobilisations massives ?
Pourtant, cette accentuation des attaques de Chrysi Avghi contre des militants de gauche radicale se produit aussi dans un contexte où peu à peu les grèves et les mobilisations des masses semblent revenir sur le devant de la scène. En effet, on avait déjà vu comment l’annonce faite par le gouvernement de la fermeture subite de la télévision publique (ERT) avait provoqué un mouvement massif de solidarité avec les salariés [6]. La victoire, certes très partielle, de ce mouvement contre le plan du gouvernement, est un encouragement pour la lutte d’autres salariés menacés par les mesures d’austérité. C’est le cas notamment des enseignants du secondaire qui, la semaine dernière, ont fait cinq jours de grève (du 9 au 14 septembre) contre la suppression de postes et mèneront, encore cette semaine, une grève de 48h (les 23 et 24 septembre).
Le syndicat des employés publics ADEDY a également décrété une grève de 48h contre les suppressions de postes, mardi et mercredi. Des discussions sont en cours avec la confédération syndicale du privé (GSEE) pour appeler à une journée de grève générale mercredi. D’autres secteurs de fonctionnaires pourraient aussi entrer en lutte, comme les employés de l’administration des universités grecques dont plus de 1 600 vont être « suspendus » cette année. Fruit du choc de l’assassinat de Pavlos Fyssas, mercredi à 18h il y aura un rassemblement à la place Syntagme à Athènes, à l’appel des syndicats.
Comme on le voit, une certaine pression s’exerce à partir de la base des syndicats, notamment chez les fonctionnaires directement visés par la suppression de 4 000 postes d’ici la fin de l’année et 15 000 postes d’ici 2014, et pousse la bureaucratie à appeler à des mouvements de grève. Dans ce cadre, les attaques d’AD contre des militants révèlent au grand public le caractère réactionnaire de ce parti. En ce sens, le meurtre de Fyssas, ajouté au sentiment antifasciste d’une grande partie des masses, peut constituer un autre élément mobilisateur contre les fascistes mais aussi contre les mesures du gouvernement.
Front unique ouvrier et auto-organisation pour écraser l’extrême droite fascisante avant qu’elle ne se renforce !
La réapparition de groupes fascisants en Grèce intervient au milieu d’une situation de misère et de dégradation constante des conditions de vie et de travail de larges couches de la population. Des secteurs populaires désespérés et démoralisés peuvent voir dans les discours d’AD les seules solutions « crédibles ». Car Aube Dorée n’a pas seulement une rhétorique xénophobe, homophobe et « anticommuniste », elle se présente de façon démagogique aussi comme un parti « antisystème ». Mais que cela ait un certain écho parmi les travailleurs est aussi de la responsabilité des directions des organisations du mouvement ouvrier, à commencer par les bureaucraties syndicales, qui sont incapables d’offrir une alternative pour les travailleurs, voire qui sont implicitement complices de l’application des plans du gouvernement et de la Troïka.
Mais face à une situation qui se dégrade de jour en jour et où les bandes fascistes se sentent de plus en plus à l’aise pour s’en prendre aux militants politiques et syndicaux, le mouvement ouvrier ne peut pas rester paralysé. Il faut que toutes les organisations qui se revendiquent du mouvement ouvrier travaillent ensemble pour développer des comités unitaires d’auto-défense dans les usines, les lieux de travail, les lieux d’étude, les quartiers populaires afin d’empêcher que des militants, des immigrés et des LGBT se fassent agresser, voire tuer, par les sbires de Chrysi Avghi. Il est fondamental que ces comités d’auto-défense se mettent en place rapidement pour dissoudre les « milices » d’Aube Dorée et les expulser des quartiers et lieux de travail. Car pour cela les couches populaires ne peuvent et ne doivent faire aucune confiance à la police, à la Justice ou à l’Etat bourgeois.
Des partis comme SYRIZA, par son audience médiatique et la sympathie dont il bénéficie chez les masses, devraient jouer un rôle très important en ce sens. Le KKE, qui compte avec une influence non négligeable dans le mouvement syndical, et dont des militants ont été victimes récemment d’attaques d’AD, a aussi une grande responsabilité pour contribuer à la formation d’un front unique contre les partis et groupes fascistes en Grèce. Mais il est à regretter que jusqu’à présent ce n’ait pas été leur orientation. SYRIZA, via son porte-parole Alexis Tsipras, semble, d’une part, soucieux de démontrer que son parti n’est pas « extrémiste » et lance, d’autre part, des appels aux « citoyens démocratiques » en général (dont des bourgeois) à « isoler les fascistes ». Le KKE de sont côté a toujours développé une politique auto-proclamatoire et de division de la classe ouvrière à travers son courant syndical PAME. Ce parti répète inlassablement que la solution à la crise pour les masses passe par le renforcement... du KKE !
Effectivement, on ne peut pas séparer la lutte contre la progression de courants fascisants des conditions matérielles qui l’engendrent. C’est pour cela que les comités d’auto-défense des différentes organisations du mouvement ouvrier devraient avancer aussi des revendications sociales contre les attaques du gouvernement et de la Troïka, tout en soutenant les luttes en cours. Aujourd’hui le soutien massif à la lutte des professeurs et des fonctionnaires contre la suppression des postes, à l’image de la solidarité populaire avec l’ERT, est un élément déterminant dans la situation. Une victoire de ces secteurs en lutte contre le gouvernement donnerait du moral et de la confiance à la classe ouvrière dans son ensemble, ainsi qu’aux couches populaires. Sur cette base, les secteurs les plus actifs du mouvement contre l’austérité pourraient attirer les plus désespérés qui voient dans le discours « réactionnaire radical » d’Aube Dorée la seule solution plausible dans la situation actuelle. En même temps, le Front Unique des organisations de la classe ouvrière fondé sur l’auto-organisation est fondamental pour que les révolutionnaires puissent intervenir et proposer des revendications transitoires face à la crise. C’est une façon non seulement d’unifier la classe ouvrière et les couches populaires, mais aussi de dégager un secteur révolutionnaire et commencer à disputer la direction du mouvement des travailleurs à la bureaucratie syndicale, aux directions réformistes liées à SYRIZA et aux néostaliniens du KKE. C’est de cette manière que, face à la crise, on pourra enfin voir se développer, pour et par les travailleurs, une alternative révolutionnaire et socialiste.
Philippe Alcoy
22/9/2013.