Même si d’aucuns voient en Manuel Valls une sorte de Caligula assassinant le père Ayrault, personne n’imagine l’ancien maire d’Évry dans la tunique de Néron... Et pourtant. Récemment, rentrant d’un voyage en Corse, où il était une fois de plus, censé mettre fin aux règlements de compte en série, Valls à bord d’un Falcon voyant dans le ciel de Paris enfumé de particules s’est mis à murmurer : « C’est Matignon qui flambe ». On peut supposer que, dans les rêves de celui qui était encore ministre de l’Intérieur, Jean Marc Ayrault n’avait pu échapper aux flammes. C’est non seulement le matin en se rasant que le natif de Barcelone se voyait déjà en haut de l’affiche, c’est aussi le soir en reposant sa brosse à dents dans le verre à eau.
Homme de réseaux, et celui de ses frères maçons n’est pas le moindre, Valls bétonne depuis longtemps les piliers de son avenir. Tournant le dos à l’idéologie du Grand Orient de France, où il est en loge, Valls oublie quand il le veut les règles établies par les maîtres qui veulent que la religion soit un opium du peuple. Ainsi, par le truchement de deux États, Manuel n’hésite pas à flirter avec les communautés religieuses. Pour être l’ami des musulmans, Valls s’appuie sur le Qatar, pour être celui des juifs, sur Israël. Finalement ce patron de l’Intérieur était très « extérieur », très braqué depuis longtemps vers l’étranger avant de devenir Premier ministre.
Aux petits soins pour le Qatar
Il y a longtemps que les Qatariens, qui ne sont pas des sots, ont compris qu’ils pouvaient investir à long terme sur le jeune éléphant socialiste. L’ambassadeur de l’émirat-dictature en France, l’ineffable Mohamed Jaham Al-Kuwari (aujourd’hui affecté à Washington), a depuis longtemps couché le nom de Valls dans la liste de ses « poulains ». Quittant la place de l’Étoile, où il réside, le diplomate fait guider sa limousine jusqu’à Évry où il copine avec Valls. En 2009 le député-maire socialiste est invité au Forum de l’Éducation et de la Culture à Doha, une pantalonnade. En réalité, le but des Qatariens n’est pas de mesurer le QI des ministres et députés français, mais de s’attacher, à long terme, leurs bonnes grâces. En 2009, en marge du « Forum », on verra même le jeune Manuel se faire bronzer sur les bords de la piscine de l’Ambassade de France, aux côtés de Fadela Amara, ministre de Sarkozy. Valls pense que le Qatar peut investir dans sa ville. On imagine même une joint-venture pour le lancement d’une entreprise de haute technologie... Le futur Premier ministre, qui ne sait pas tout, ignore que le plaisir du Qatar est d’investir dans la pierre et le sport, pas dans l’industrie française. Tant pis, cette déconvenue n’entame pas l’amitié.
Fin décembre 2011, c’est un Valls tout excité qui, en tant que directeur de la campagne de Hollande, travaille pour établir un pont entre son champion et l’émir totalitaire de Doha. À l’hôtel Royal Monceau, propriété qatarienne, Valls prend le café avec son ami l’ambassadeur. Finalement, en janvier 2012, dans le plus strict secret, Hollande rencontre « HBJ », Hamad Ben Jassim, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Doha, l’homme le plus riche du monde. Le socialisme ayant la pureté du cristal, il est bien entendu que la conversation n’a pas porté sur un quelconque « sponsoring » qatarien à la cause socialiste, mais uniquement sur l’avenir de la Corrèze. Pendant longtemps Valls manifestera une forme d’inquiétude sur une éventuelle fuite à propos de ce rendez-vous, plus discret qu’une rencontre galante.
« Talent », « gentillesse », « élégance »
Puis, alors qu’il est devenu ministre de l’Intérieur, Doha va être un fidèle soutien d’un pan de la politique de Valls, celle des Cultes. L’argent du Qatar wahhabite, c’est-à-dire salafiste, va aider le gentil Manuel à tenir en main les musulmans comme Sarkozy avait commencé à la faire. En finançant des mosquées, des centres culturels et autres universités islamiques, Doha assure une sorte de paix coranique. Le ministre semble ignorer que, dans son dos, Doha rêve d’embrigader la jeunesse de nos « quartiers ».
À l’automne 2013, lors de la cérémonie de départ du très regretté Mohamed Jaham Al-Kuwari, l’ambassadeur, le ministre est présent. La fête est œcuménique puisque deux autres anciens « Premiers flics », Guéant et Michèle Alliot-Marie sont également présents. Valls, au moment des larmes d’adieu, y va de son couplet : « Nous voulons vous témoigner toute l’amitié que nous vous portons. Plus de dix ans passés en France, ce n’est pas rien. Quand on connaît votre talent, votre gentillesse, votre élégance », au service d’un « partenariat stratégique. Nous savons tous ce que nous vous devons... Le Qatar est un ami de la France ». Tant pis si, de son côté le méfiant Ayrault, que l’on regrettera peut-être bientôt, déclare : « Moi, avant d’aller au Qatar, je réfléchirais »...
Après la sortie du livre Le Vilain Petit Qatar (Nicolas Beau, Jacques-Marie Bourget), un peu inquiet de se voir exposé en ami aux côtés de ces nababs de Doha qui financent le jihad au Mali, Valls prend contact avec Nicolas Beau l’un des auteurs du livre : « Vous me décrivez comme un ami du Qatar, mais pas du tout. Je suis contre l’islam wahhabite et l’influence qu’il exerce en France. J’ai l’intention de réformer le mode de financement des mosquées en France... ». La duplicité est une autre face du nouveau Premier ministre.
La main tendue à Israël
Son lien avec Israël, qu’il exprime au grand jour dès qu’il en a l’occasion, Valls dit le tenir de la rencontre avec sa seconde épouse qui est de religion juive : « Par ma femme je suis lié pour toujours à la communauté juive et à Israël. » Dès cet instant celui qui est aujourd’hui le Premier ministre vit dans un état fusionnel avec l’État hébreu. En novembre 2012, lors de l’anniversaire de Radio J, celui qui est ministre de l’Intérieur se déclare « résolument engagé aux côtés d’Israël ».
De cette prise de position à son combat contre Dieudonné, Valls ne va pas dériver d’un pouce de sa trajectoire. Déjà, en 2011, il signe dans Le Monde une tribune déclarant le boycott d’Israël comme « une arme indigne » avant de s’opposer à la reconnaissance de la Palestine par l’ONU. Le 3 avril 2012, quelques jours avant l’élection présidentielle, le futur patron de Beauvau signe, à la Maison de la Mutualité, « Le Pacte des Amis d’Israël ». Ministre, dès qu’il voyage là où existe une organisation confessionnelle juive, comme aux États-Unis, Valls lui rend visite. En France, ses amis comme le journaliste Claude Askolovitch, le publicitaire Stépane Fouks ou le criminologue et chef franc-maçon Alain Bauer sont autant de passerelles vers la « communauté ».
Lors d’une soirée à la grande synagogue de la Victoire, le ministre de l’Intérieur invite les jeunes juifs « à ne pas avoir honte de porter la kipa dans la rue ». Une certitude : cet homme sans convictions restera l’ami numéro 1 d’Israël. Si, par hasard, la diplomatie française devait reprendre du poil de la bête, on se demande comment le Premier ministre de la France pourrait jouer un rôle crédible dans un dossier du Moyen-Orient.
Son ami le Roi
Un autre pays ami de Valls, c’est le Maroc. En 2011, après avoir récolté la dernière place à la « primaire » socialiste, le jeune militant « rouge » reçoit les insignes de commandeur du Wissam alaouite, le club très fermé des meilleurs amis du Maroc en France. Voilà qui fait joli au revers de la veste et ouvre bien des portes. Lors de l’une de ces si conviviales cérémonies que le futur chef du gouvernement semble adorer, petite fête présidée par l’ambassadeur du Maroc en France, Mostafa Sahel, le maire d’Évry se dit « ému par le geste de Sa Majesté le Roi Mohamed VI ».
Il n’y a qu’un pas de la République au trône alors qu’au même moment un « printemps » vient d’embraser le monde arabe. Les premières manifestations ont lieu à Rabat et Casablanca. Mohammed VI annonce alors une réforme constitutionnelle... qui sera adoptée à 99 % des voix ! « Ce qui se passe en ce moment au Maroc est un élément très important en termes d’exemplarité pour les autres pays de la région » déclare Valls qui s’entraîne à la politique étrangère. En réalité, sauf aux yeux de Valls et des flagorneurs, cette "exemplarité" était passée inaperçue. Mais saisissant pour en faire un gros titre, le jugement du ministre français de l’Intérieur la presse marocaine, aux ordres, peut entonner son clairon. Manuel avait à se faire pardonner. Pour avoir un jour exprimé qu’au sein d’une manifestation culturelle « ça manquait un peu de Blancs », Valls s’était mis à dos bon nombre de marocains résidents à Évry.
Un clin d’œil aux Algériens
Si, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Valls a beaucoup voyagé en Afrique, on ne peut pas dire que l’Algérie ait déroulé sous ses pas des parterres de fleurs. À l’automne 2012, lors d’une rencontre bizarre, le ministre est venu à Alger pour parler du Sahel, prérogative qui, théoriquement, semblait dévolue à Laurent Fabius... À cette occasion, le Premier ministre rencontra son homologue de l’Intérieur, mais aussi le Premier ministre, celui des Affaires étrangères et le Président.
Valls avait alors parlé de la « très grande détermination de la France dans sa lutte contre toutes les formes de terrorisme ». Et ajouté : « Sur ce point de vue nos amis algériens partagent la même détermination ». Dans un dossier abordé avec le ministre des Affaires étrangères (l’actuel président du conseil constitutionnel), il y était question d’une résolution pressant les pays de l’Ouest-africain de préciser leurs plans en vue d’une intervention militaire pour reconquérir le nord du Mali contrôlé par des islamistes extrémistes. Sur ce sujet, qui peut fâcher, puisque Alger a la réputation de couver « ses » islamistes » comme des œufs, Valls avait fait une déclaration très conciliante : « Je crois que le ministère des Affaires étrangères de l’Algérie, en disant qu’il se reconnaissait dans cette résolution, indique bien que les divergences entre l’Algérie et la France sont quelquefois surfaites sur ce sujet ».
Contrairement à ce que Hollande avait suggéré maladroitement dans l’une de ses célèbres petites blagues – « Valls est revenu vivant d’Algérie ? » – le pouvoir algérien n’a jamais eu l’intention de retenir Valls en otage. La vraie blague, grandeur nature, c’est que l’ami Hollande ait nommé Premier ministre son directeur de campagne, le plus mauvais candidat à la « primaire » socialiste.
Par ailleurs, victime collatérale, avec cette arrivée de Valls à Matignon, Georges Ibrahim Abdallah est en passe de devenir le plus vieux prisonnier politique de la planète. Un haut fonctionnaire en poste dans un cabinet d’un ministère « régalien », aujourd’hui libéré de sa mission, nous a fait des révélations. Selon ce serviteur de l’État, dès que Valls est arrivé au ministère de l’Intérieur, ce ne sont plus les ambassadeurs des États-Unis et d’Israël qui se sont rendus place Beauvau en cas de doléances, mais c’est le ministre lui-même qui se déplaçait directement dans ces ambassades afin d’y discuter des affaires communes. Ainsi, alors que Fabius et Taubira sont favorables à la libération de Georges Ibrahim Abdallah, Manuel Valls se faisant par là le porte-parole de Washington et de Tel-Aviv, met son veto à la libération.
Abdallah est accusé d’avoir commis trois attentats, en France en 1984, contre trois diplomates, deux Américains et un Israélien. Deux seront tués et le troisième grièvement blessé. On peut rappeler que le sort réservé à ce prisonnier libanais a toujours été étrange. Dans ses mémoires, Jacques Attali n’évoque, comme accusation, que le fait de « détenir un faux passeport algérien »... La France s’est plusieurs fois engagée sur la libération de ce responsable des Fractions Armées Libanaises, avant, à chaque fois, de se raviser. Puis, la DGSE a placé, au sein de la défense du militant marxiste, un avocat français lui-même agent des services spéciaux. Enfin, lors du procès, les observateurs médusés ont eu à analyser un dossier d’instruction étrangement monté. Ainsi, Abdallah était-il accusé par l’investigation d’un policier ayant découvert une valise qualifiée « d’accablante », dans une ancienne cache du militant libanais. Première remarque, dès que la valise est ouverte, ce policer magicien s’est montré capable de désigner, entre plusieurs revolvers, celui utilisé pour commettre les attentats... Puis, toujours dans la valise, les enquêteurs ont aussi retrouvé une bouteille de Corrector portant les empreintes d’Abdallah. Mais, hélas pour la bonne marche de la vérité, un dernier élément vint détruire les arguments précédents. Dans cette si bizarre valise, on trouve aussi un journal datant d’une période postérieure à l’arrestation du militant nationaliste arabe... Autrement dit, il est impossible que le guérillero planétaire ait lui-même rempli cette valise. Une main innocente a donc accumulé les objets à l’intérieur du bagage après qu’Abdallah a été mis en prison...
Au mois d’octobre prochain, Abdallah va « fêter » sa trentième année de cellule. Alors que les membres d’Action Directe ont tous été libérés. Ce n’est pas la dernière ascension de Valls qui va faciliter un élargissement de ce nationaliste. Liberté réclamée aussi par de nombreux citoyens français et libanais.
Ainsi va le monde.
Jacques-Marie Bourget
Source : http://mondafrique.com/
Grand reporter et écrivain, Jacques-Marie Bourget commence sa carrière chez Gallimard à la NRF puis enchaîne l’ORTF, L’Aurore, Le Canard Enchaîné, L’Express, VSD, le Sunday Times, Paris-Match et Bakchich.
En 1986, il a obtenu le Prix Scoop pour avoir révélé l’affaire Greenpeace.