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Grèves, blocages et cohérence

Le Premier-ministre, le gouvernement et la presse aux ordres se déchainent contre la CGT et qualifient les grèves qui touchent les raffineries de « terrorisme social ». Le discours tenu aujourd’hui par Manuel Valls est en contradiction complète avec celui qu’il tenait en 2010. Vérité dans l’opposition, erreur dans la majorité…Mais, l’inquiétant est que, par sa pratique, comme une gestion exclusivement policière du mouvement ou par l’usage abusif de l’article 49-3 pour faire passer la loi « El Khomri », tout comme par son langage, il installe un climat de guerre civile en France. Il le fait alors que nous vivons, du moins en théorie, dans l’état d‘urgence. Ce comportement parfaitement irresponsable constitue aujourd’hui une menace pour la paix civile.

La rançon de l’UE et de l’Euro

La vérité, niée par le gouvernement mais aujourd’hui largement révélée par de multiples déclarations de dirigeants de l’UE, est que cette loi El Khomri est la rançon qu’il nous faut payer à Bruxelles, à l’Union européenne et à l’Euro pour faire admettre un déficit dépassant les normes [1]. On sait que les diverses instances européennes reprochaient à la France son « manque » de réforme et la menaçaient de procédures disciplinaires. De fait, cette loi est la stricte application de la « stratégie de Lisbonne » et des « Grandes Orientations de Politique Économique » qui sont élaborées par la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne [2]. C’est pour cela que le gouvernement y tient tant et qu’il ne veut, ni ne peut, revenir sur sa décision.

Nous sommes donc rançonnés, ce qui est logique car nous ne sommes plus souverains. Mais, cette loi ne constitue plus précisément une partie de la rançon. Déjà Emmanuel Macron, Ministre de l’économie annonce un politique de modération salariale, soit la diète pour les salariés, au moment même ou il s’oppose à une mesure similaire pour les patrons. Beau raisonnement d’un homme qui confond un gouvernement avec un conseil d‘administration. Car, dans l’esprit de Monsieur le ministre, est intégré le fait que la France ne pouvant plus dévaluer, elle ne peut rétablir sa compétitivité que dans une course au « moins disant/moins coûtant » salarial. La volonté de ramener toute négociation dans le strict cadre des « accords d’entreprise » au détriment des accords de branches ou des accords nationaux, affaiblissant de manière dramatique le rapport de force des salariés face aux patrons.

Rapport de force et légitime défense

Rapport de force, voilà bien le mot qui fâche, mais qui néanmoins s’impose. Il n’est de bonne négociation qu’avec un rapport de force construit et, bien souvent, pour qu’il en soit ainsi il faut faire intervenir des agents extérieurs à la négociation. Ce qui nous conduit directement à la question des grèves et des blocages actuels. Il y a conflit, cela est évident pour tout le monde.

Ce conflit oppose le gouvernement, et au-delà une large partie de la « classe politique » de « gauche » comme de droite, à une large majorité de la population, les sondages donnant de 70% à 74% d‘opposants à cette loi [3]. La montée des protestations ayant eu quelques échos au sein du parti dit « socialiste », le gouvernement se vit privé de majorité, et décida d’engager l’article 49-3, ce qui n’est – ni plus, ni moins – qu’un détournement éhonté de procédure[4]. De ce point de vue, le recours à des formes de luttes plus violentes s’apparente à une légitime défense. Une légitime défense sociale, assurément, contre des mesures contenues dans une loi qui ont été imposées de l’étranger et au mépris des règles de la démocratie, mais cette légitime défense sociale n’en est pas moins légitime.

Il est clair que ces formes de luttes créent un désordre, et touche des personnes qui ne sont pas directement impliquées. Mais, ce désordre ne fait que répondre à un désordre premier, qui résulte de l’usage du 49-3. Prétendre alors s’offusquer de la conséquence et non de la cause relève de la plus pure hypocrisie. On ne peut condamner les blocages que si, au préalable, on condamne l’usage du 49-3, et plus généralement la tactique du gouvernement qui n’apporte que des réponses policières à un mouvement social. De fait Manuel Valls se révèle un émule de Jules Moch.

Hypocrisies et cohérence

Cependant, ce ne sont pas les seules hypocrisies suscitées par ce mouvement de protestation. Comment qualifier ainsi l’attitude de dirigeants d’un parti qui proclame à qui veut l’entendre son opposition aux pratiques et aux politiques édictées par l’UE, mais qui n’a que « l’ordre » à la bouche quant il s’agit des blocages des raffineries et des dépôts de carburant. Pourtant, que l’on sache, ils ne condamnent pas la légitime défense de manière systématique. Qu’ils réfléchissent donc sur l’origine des désordres qu’ils prétendent condamner et ils verront toute l’incohérence de leurs positions.

Il y a aussi beaucoup d’hypocrisie dans les condamnations des blocages par ces députés d’opposition qui sont les premiers à s’indigner contre les mesures européennes et contre la perte de souveraineté qu’elles entraînent, mais qui ont un haut-le-cœur quand des travailleurs passent concrètement à l’action contre ces mesures.

Il y a, enfin, une hypocrisie immense dans le comportement de ces membres du P « S » qui condamnent sans la condamner la loi El Khomri, et qui refusent de dire les choses telles qu’elles sont parce qu’ils comprennent bien que l’origine première de ces dites choses, c’est l’Union européenne et l’Euro.

Ce qui menace aujourd’hui la France, c’est la combinaison de deux phénomènes. D’une part, l’entêtement de ce gouvernement qui n’est plus que le fondé de pouvoir d’une puissance étrangère et qui, pour ne pas déplaire à ses véritables maîtres est prêt à plonger le pays dans la guerre civile. D’autre part, c’est l’hypocrisie généralisée de beaucoup, et le manque de cohérence que révèle cette hypocrisie. Car, nos adversaires, ceux de Bruxelles et de Francfort, ceux qui cherchent à imposer en France ce qu’ils ont déjà imposé en Grèce, en Espagne et en Italie, eux, sont cohérents.

Jacques SAPIR

[1] Voir http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/17/31001-20160517ARTFIG00137-ce-que-la-loi-el-khomri-doit-a-l-union-europeenne.php

[2] Voir le « Rapport pour la France » établi en février 2016 par les services de la commission européenne, pp. 82 et ssq. http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2016/cr2016_france_fr.pdf

[3] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1512903-les-francais-hostiles-a-la-loi-el-khomri-le-peuple-a-ete-et-reste-tres-mal-informe.html

[4] Voir Sapir J., « Nous y voilà (49-3) » note publiée sur le carnet RussEurope le 11 mai 2016, https://russeurope.hypotheses.org/4941

COMMENTAIRES  

28/05/2016 08:17 par CN46400

"D’autre part, c’est l’hypocrisie généralisée de beaucoup, et le manque de cohérence que révèle cette hypocrisie. Car, nos adversaires, ceux de Bruxelles et de Francfort, ceux qui cherchent à imposer en France ce qu’ils ont déjà imposé en Grèce, en Espagne et en Italie, eux, sont cohérents."

Et bien sûr les capitalistes français ne sont pas impliqués dans cette bataille ?....Ce n’est évidemment pas eux qui veulent faire baisser le prix de la force de travail ?

Voilà à quelle dérive mène l’anti UE et l’anti Euro systématique. A Bruxelles ils sont infects, mais à Paris ils sont sympaths.....

28/05/2016 10:52 par Louis St O

Si vous lisiez les "Recommandations pour la France" de Bruxelles, (google) vous y verriez une copie conforme de la loi El Khomri. que ce gouvernement s’empresse de réaliser.

Donc Jacques Sapir a entièrement raison, et il ne démontre pas que " à Paris ils sont sympaths" mais, au choix, qu’ils sont d’accord avec l’UE ou qu’il ne sont de vrais larbins. A vous de décider.

29/05/2016 11:16 par triaire

A Paris, évidemment ils sont aussi coupables mais ils obéissent désormais à Bruxelles ! Il faut toujours rechercher les têtes:les têtes sont dans l’actionnariat..anonyme !Le CAC 40, La Bourse etc...

29/05/2016 15:43 par Jérôme Dufaur

@CN46400

Vous avez raison.

Ce que l’on appelle l’Union européenne n’a aucune capacité d’initiative véritable en dehors de ce qui est décidé par les Etats membres.

D’où le caractère erroné et trompeur de la conclusion de l’article de J. Sapir.

Ce qu’est l’Union européenne aujourd’hui était déjà potentiellement dans le Traité de Rome.
Mais pendant environ 30 ans, ce potentiel ne s’est pas actualisé faute de décisions politiques significatives des Etats membres.

Pour que l’Union européenne devienne ce qu’elle est, il a fallu plusieurs grands moments de trahison de la "drôche". Les plus significatifs (histoire de bien faire comprendre que les alternances sont rarement des alternatives, malgré les belles promesses de campagne) :
- 1986 et l’acte unique (Merci Mitterrand, Merci Delors, entre autres)
- 1999 et le traité d’Amsterdam (Merci Jospin, Blair, Schroder, Prodi, D’Alema... et autres chantres de "gauche" d’une autre Europe).

Bref, la Commission de Bruxelles ne s’est pas auto-instituée. Ce n’est pas une divinité toute puissante qui plane au-dessus de l’Elysée ou de Matignon.

29/05/2016 20:57 par hassinus

Bonjour,
Pompidou après avoir servi à la ba,que Rotchild, une fois au pouvoir a fait passer la loi de janvier 1973 sur la banque de France qui a enrichi les banques et endetté la France ;
Macron lui aussi a servi dans la banque Rotchild. Et parachuté au gouvernement il accompli ce pourquoi il a été missionné : l’hypothèse ne mérité-elle pas au moins d’être étudiée. Avec la loi Khomry et tout le reste qui donnent l’amplitude du gouvernement Valls , et même le décisions européennes , faut-il supposer que la banque Rotchild et son travail en coulisse est étranger à tout cela ?

29/05/2016 21:12 par placide

@CN4xxx et Jerome dufour

Non CN a tort et Sapir en parti raison (car il "oublie" d’expliciter la nature de classe de l’UE).
1°) Le pouvoir de la Commission Européenne c’est le pouvoir direct de l’oligarchie capitaliste. Les institutions européenne sont les armes de d’exploitation massive construites par la classe capitalistes contre les peuples. Et elles ont été construites pour ne pas être influençables par les peuples, pour verrouiller de façon implacable le pouvoir des classes capitalistes. Oui ce projet était déjà dans le traité de Rome. Pas pour rien que la CGT et les communistes ont combattu TOUTES les étapes de la "construction européenne". L’union européenne est anti sociale, l’union européenne est une construction de classe 100% anti populaire. L’UE c’est l’Union Européenne des patrons, c’est l’union européenne du Capital. L’UE c’est le MEDEF. L’UE n’a jamais rien apporté aux travailleurs. Au contraire elle divise, oppose et met en concurrence les peuples, elle alimente le fascisme, soutien le nationalisme et répand la guerre (cf Croatie, Ukraine, Pologne etc.) Et c’est pour cela que les communistes, les militants de gauche cohérents, les vrais internationalistes (je ne parle donc pas de ceux qui émargent sur le budget du PGE directement subventionné par Bruxelles) ont toujours lutté contre la construction de l’UE, pour le NON à l’acte unique, à Maastricht, au TCE, à Lisbonnes, au TSCG et pour la sortie de l’UE et de l’euro et la solidarité internationaliste
2°) Oui la loi travail, comme la loi Macron mais aussi comme les réformes des retraites ou le plan juppé c’est le résultat direct des ordres de la Commission Européenne. Et les traités européens, la BCE directement sous le contrôle exclusif du Capital et de ses marchés financiers INTERDISENT une politique alternative. Ce n’est pas pour rien que les français ont voté NON en 2005. Dire non à la Loi Travail c’est obligatoirement - si on est conséquent - redire NON à l’Union Européenne.
3°) Sortir de l’UE par la voie progressiste, celle du progrès social, de la souveraineté populaire, c’est évidemment lutter contre la classe capitaliste et en particulier affaiblir la classe capitaliste française au profit de la souveraineté populaire et enclencher la dynamique révolutionnaire de sortie du capitalisme
4°) il est étonnant que certains trouvent toujours des excuses à la dictature du Capital dès lors qu’elle s’exerce depuis Bruxelles. Et depuis plus de 30 ans cautionnent ainsi la liquidation de decennies de conquètes sociales et démocratiques. Grâce à ces faux défenseurs de l’Europe sociale et vrais soutient de l’UE, on a eu droit à la libéralisation et privatisation des secteurs publics, au dumping social, à l’austérité sans fin etc.. Ces gens comme CN se prétendent internationaliste. Ce ne sont que des euro chauvins, partisans du nationalisme européens et de son impérialisme euro atlantique. La base de la démocratie et du progrès social, c’est la souveraineté populaire. Et cela passe par la sortie de l’UE. Qui plus est si dans le cadre national, nous les travailleurs nous disposons grâce à des decennies de luttes et à nos victoires des outils pour avancer et gagner, dans le cadre de l’UE nous repartons de zéro puisque l’Union Européenne et l’euro ont été construits justement pour liquider les conquêtes sociales et démocratiques des travailleurs.
5°) La quasi totalité des partis communistes européens (à la triste exception notable du P"c"F PGE) se prononcent pour la sortie de l’UE. De même que la FSM et des dizaines de syndicats. Contre les euro chauvins, oui, c’est cela la solidarité internationaliste. Pas les aboiements de ceux qui en sautillant en vociférant "europe sociale europe sociale" mentent aux travailleurs pour mieux servir - objectivement - la dictature de la classe capitaliste et l’aggravation de l’exploitation capitaliste.

30/05/2016 09:45 par "Personne"

De l’utilité du chômage

Une pièce sûrement à voir (eu égard à la présentation, réservée malheureusement aux abonnés, sur http://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/les-z-en-trop-comment-ils-ont-invente-le-chomage )

Site de la troupe : http://leszentrop.fr/ avec extraits et dates du spectacle « Comment ils ont inventé le chômage ».

30/05/2016 14:16 par babelouest

Jérome Dufaur, ce que décident les "décideurs" de chaque État n’a rien à voir avec les vouloirs des Peuples, ces "décideurs" dont les noms sont choisis par la Fricocratie Mondiale n’ont rien à voir avec une quelconque démocratie, il s’agit donc d’un leurre de plus.

Quan NOUS aurons pouvoir de décision, il sera crucial de veiller via des guetteurs issus de NOS rangs depuis de nombreuses générations, que les délégués que nous aurons choisis soient protégés des pistoleros de la CIA. Voire de bombardiers "lourds" chargés de tout écrabouiller.

Washingto delenda est

30/05/2016 21:27 par stef

la criminalisation de la CGT ! ,les socio traitre toujours égal a eux même avec leur haine de classe,ils veulent faire croire a l’opinion que la confédération manipule les consciences ,la CGT est un outils pour les travailleurs ,Gattaz a la main mise sur Valls mais pas sur nous, ils nous insulte :preneurs d’otages ,terroristes, les jours a venir vont êtres décisif ,il aura fallut deux mois pour prendre conscience des dangers de l’ inversion de la hiérarchie des normes dans le monde du travail ,d’ailleurs Gattaz s’est lâché sur cette question dans les medias acquis a leur cause "il ne faut pas lâcher sur l’article 2" .
un petit salut a MAXIME sur un de ses ouvrages : LA BOUSCULADE

31/05/2016 08:16 par Jérôme Dufaur

@placide et @babelouest

On connaissait Georges Marchais et son « c’était peut-être pas votre question mais c’est ma réponse »

Grâce à vous, je peux désormais m’exclamer : « c’était peut-être pas mon commentaire mais ce sont vos réponses à mon commentaire ».

Bref…

Toute personne ayant un minimum de connaissance sur les institutions de l’Union européenne sait que le Conseil européen est le « véritable centre de décision politique, il donne les impulsions nécessaires au développement de l’Union et en définit les orientations politiques générales et les priorités. » (source : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/fonctionnement/institutions/qu-est-ce-que-conseil-europeen.html)

Dès lors, cibler Bruxelles (Commission) ou Francfort (Banque centrale) lorsqu’on cause de l’Union européenne, c’est à côté de la plaque. Tant qu’à y être pourquoi pas un couplet sur Strasbourg (Parlement européen) ? (histoire de rajouter du ridicule au grotesque).

Evidemment, on a le droit d’être à côté de la plaque. Il paraît même que c’est conseillé par les temps qui courent.

31/05/2016 10:39 par Moundi

A lire et à méditer : http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/26/31001-20160526ARTFIG00104-l-union-europeenne-assume-la-loi-el-khomri-c-est-elle.php

"L’ouvrir très grand, c’est l’une des choses que Jean-Claude - «  il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens  » - Juncker fait le mieux. Aussi a-t-il trouvé judicieux, dans un récent entretien au journal Le Monde de formuler ces quelques regrets : «  à voir les réactions que suscite la « loi travail », je n’ose pas m’imaginer quelle aurait été la réaction de la rue, à Paris ou à Marseille, si votre pays avait dû appliquer des réformes comme celles qui ont été imposées aux Grecs  ».

"Selon lui (Varoufakis), la véritable cible des « Européens » (et de l’Allemagne, plus encore que de l’Europe institutionnelle) était en fait l’Hexagone. «  La Grèce est un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté. La crainte du Grexit vise à faire tomber les résistances françaises, ni plus ni moins  », avait-il osé."

"Pour Jean-Claude Juncker, il se trouve que «  la réforme du droit du travail voulue et imposée par le gouvernement Valls est le minimum de ce qu’il faut faire ». Le minimum seulement."

"Évidemment, si les choses en sont là, et Moscovici le dit fort bien, c’est en raison «  des traités que les gouvernements et les Parlements de l’Union européenne, à commencer par celui de la France, ont signés  ». C’est là l’argument dont les européistes se prévalent sans cesse, car il n’y a plus que ça en magasin."

01/06/2016 14:53 par Scalpel

@ Moundi
Grand merci pour cet article ô combien révélateur.
Puisse-t-il contribuer à sortir de très nombreux lecteurs du GS de leur hypnose.

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