Pascal Boniface, directeur de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) a réagi aux documentaires de Caroline Fourest sur France 5.
LGS publie son texte ci-dessous en le faisant suivre d’informations inédites que le téléspectateur aurait dû connaître pour ne pas confondre reportages et pamphlets partisans.
LGS
* * *
Fourest et les complotistes : posons les bonnes questions sur la manipulation de l’info
La semaine dernière, France 5 a diffusé "Les obsédés du complot", consacré aux adeptes de la théorie du complot et premier opus d’une série de documentaires réalisés par Caroline Fourest. Pascal Boniface, directeur de l’Iris, était derrière son écran de télévision. Pour lui, les conspirations les plus graves ne sont pas celles dénoncées par la réalisatrice.
Par Pascal Boniface. Publié par « Le plus » (Nouvel-observateur).
"Les obsédés du Complot", documentaire de Caroline Fourest
Au moment où France télévisions se plaint de devoir faire face à la rigueur budgétaire, on peut être rassuré de voir le service public être encore capable d’acheter de nombreux espaces publicitaires pour promouvoir une série documentaire. Celle-ci a été, de surcroit, relayée par tous les médias qui ont célébré l’événement. De grands intellectuels (Marcel Gauchet, Régis Debray, Françoise Héritier, Élisabeth Badinter, Edgar Morin, etc.) auraient-ils été sollicités sur des sujets essentiels justifiant un tel engouement ? Non, il s’agit d’une série de documentaires réalisée par Caroline Fourest.
Pas grand-chose de neuf
Le battage quasi hollywoodien n’a pas suscité l’entrain du public. 1,9% d’audience pour le premier documentaire consacré au "obsédés du complot". Il n’a pas non plus suscité l’adhésion. A un sondage sur le site de France 5 demandant au public si l’enquête de Caroline Fourest paraissait crédible, 4,4% ont répondu "oui", contre 95,6% ayant répondu par la négative. Sans doute le résultat d’un complot.
Le documentaire n’apportait pas grand-chose de neuf. Thierry Meyssan, ReOpen, tout ça c’est quand même passablement du réchauffé. La méthode de Caroline Fourest consiste à prendre un fait condamnable ou gênant et de lui donner une importance sans commune mesure avec sa réalité, en évitant toute mise en perspective et contextualisation. Elle grossit un danger et se pose en héroïne déterminée à le combattre.
Que quelques farfelus s’agitent sur la toile pour dénoncer d’improbables complots, est-ce bien le plus grand danger qui pèse sur l’information du public ? Quel est leur impact réel sur l’opinion ? Il ne faut pas confondre l’intention de nuire et la capacité à le faire.
Les manipulations de l’information ne sont pas réservées aux complotistes
Fourest dénonce les effets sans réfléchir sur les causes. Les théories du complot sont ineptes mais pourquoi prospèrent elles sur le net ?
Déjà parce que, justement, elles n’ont pas accès aux médias centraux. Elles sont la contrepartie des multiples manipulations de l’information de la part des gouvernements, des services, des officines. Cette guerre de propagande est bien plus grave pour l’information du public, vu les moyens dont ils disposent, que quelques complotistes égarés. Ce sont ces mensonges et manipulation de l’information (du type "on fait la guerre contre l’Irak parce que celui-ci possède des armes de destruction massive", etc.) qui suscitent l’intérêt pour les thèses complotistes. Si certains naïfs gobent encore tout ce qu’on leur raconte (et une fois encore les propagandes gouvernementales ou des puissances d’argent sont bien plus fortes), certains exercent leur sens critique et d’autres refusent tout ce qui est officiel et sont du coup des clients potentiels pour les complotistes.
France télévisions, qui a dépensé si cher pour les documentaires de Fourest et leur promotion, n’a toujours pas acheté "Les nouveaux chiens de garde", qui dénonce les connivences médiatiques, ou "Inside job", qui dénonce les véritables responsables de la crise financière.
C’est la connivence des élites qui suscite populisme et théories du complot. Dénoncer les théoriciens du complot qui crient haro sur les médias permet de faire l’économie d’une véritable réflexion sur le système médiatique. N’aurait-il pas été intéressant de réfléchir au storytelling des différentes puissances ?
Ne pas discréditer les jugements critiques pour autant
Affirmer que la guerre en Libye était prévue depuis 10 ans ou que le Printemps arabe a été suscité par la CIA est stupide. Mais dire que les États-Unis ont pour stratégie de contrôler le Proche-Orient est simplement une réalité stratégique, avouée très franchement par les néoconservateurs, et qui est de l’ordre naturel d’une politique de puissance pour les États-Unis.
Dire qu’il y a un complot américano-sioniste est une ineptie. Mais réfléchir aux effets de l’alliance américano-israélienne ne doit pas être interdit. Et c’est là que le bât blesse, parce que la théorie du complot dénoncée par Fourest est toujours centrée contre ceux qui mettent en cause les politiques américaine et israélienne.
S’il faut dénoncer les complotistes, il convient de ne pas faire d’amalgame avec tous ceux qui émettent un jugement critique sur ces politiques. Certains analystes vont même jusqu’à penser que certains complotistes sont en fait manipulés afin de discréditer les jugements critiques. Un complot dans le complot ? L’hypothèse aurait au moins pu être envisagée. Il y a d’ailleurs une théorie du complot sur laquelle Fourest ne réfléchit pas, c’est celle qui accuse Charles Enderlin d’avoir mis en scène la mort du petit Mohamed Al Durah, qui serait toujours vivant. Vu l’impact de cette polémique, on s’étonne que Caroline Fourest ne s’y soit pas attardée.
Qui voit des complots partout ?
Dans son documentaire, elle fait témoigner Rudy Reichstadt, présenté comme animateur du site Conspiracy Watch. Il n’aurait pas été inutile pour l’information du public de préciser qu’il est également collaborateur à la revue ProChoix que dirige Caroline Fourest. Par ailleurs, un rapide coup d’oeil sur le site de Conspiracy Watch confirme que ce site est principalement consacré à la dénonciation des critiques de la politique israélienne.
Caroline Fourest dit vouloir protéger le vivre-ensemble alors qu’elle n’a pas cessé de stigmatiser les musulmans, criant au complot islamiste qui soumettrait la France et traitant de pro-islamistes ceux qui ne partageraient pas ses vues. Elle qui dénonce la théorie du complot fustigeait récemment les réseaux "indigéno-ramadano-bonifaciens" qui comploteraient contre elle. J’ai croisé une fois Tariq Ramadan et n’ai pas été en contact avec lui depuis. Mais il est vrai que je trouve normal qu’il puisse s’exprimer. Les Indigènes de la République sont, à mes yeux, trop radicaux, mais ils ont droit à la parole et je trouve anormal que l’agression dont a été victime Houria Bouteldja, la présidente, ait donné lieu à un black-out médiatique. Cela crée-t-il un "réseau" ? Qui voit des complots partout ?
Pascal Boniface.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/779779-fourest-et-les-complotistes-posons-les-bonnes-questions-sur-la-manipulation-de-l-info.html
EN COMPLEMENT, par LGS :
Rudy Reichstadt, le témoin militant, juge et partie.
Rudy Reichstadt, le responsable du site Conspiracy Watch, est un témoin prolixe dans le reportage de France 5. D’après lui, les sites de gauche contre qui il ferraille sont en vérité proches de l’extrême droite.
C’est savoureux quand on sait que Conspiracy Watch, s’inspirant d’un article légèrement mensonger du Figaro, a attaqué naguère (http://www.conspiracywatch.info/Qui-finance-Reporters-sans-frontieres-RSF_a137.html) un administrateur du Grand Soir pour sa critique de Robert Ménard. Ménard qui vient d’écrire deux opuscules qui ne chagrinent ni Fourest ni son acolyte : « Vive Le Pen ! » et « Vive l’Algérie française ! » et qui a commencé depuis des mois sa campagne électorale pour être maire de Béziers en 2014 avec le soutien du FN.
Rejoignant une bande masquée d’excités qui prétendent empêcher les administrateurs du Grand Soir de tenir des conférences publiques, de participer à des salons du livre, Reichstadt a dit un jour son dépit à propos du « GrandSoir.info, le site de Maxime Vivas et Viktor Dedaj (qui ont cette année encore pignon sur rue à la Fête de l’Huma) ». Cette année encore !
Mais où Rudy Reichstadt, lui, a-t-il « pignon sur rue » ?
C’est un contributeur régulier de la revue Prochoix de Caroline Fourest, mais cela n’est pas dit aux téléspectateurs. Un très long article de ce lascar, paru dans Prochoix N° 41, porte le joli titre : "Hugo Chávez ou la tentation totalitaire" . On y lit des choses délicieuses comme : « Chávez n’est ni Staline, ni Mao. Ni même Castro : il lui reste encore quelques efforts à faire pour devenir un vrai dictateur tropical. Pourtant, il en mime les gestes à la perfection ».
On reste-là dans la logique d’un combat contre tous ceux qui tiennent la tranchée anti-impérialiste.
A la longue liste des personnalités hors de tout soupçon (1) accusées d’antisémitisme par la mouvance pro-israélienne dans laquelle s’ébattent Fourest et Reichstadt, s’ajoutent des sites dont le seul tort est de ne pas aduler Tshalal : LGS, bien sûr, en tête de gondole, mais aussi Bellaciao, Investig’action (de Michel Collon) et dernièrement Agoravox : « Agoravox n’est pas encore mort mais s’est transformé en hub des théories conspirationnistes. Une dérive rouge-brun qui s’explique par un manque de sous mais aussi par une philosophie du web 2.0 très utopique. » (http://www.conspiracywatch.info).
Il s’agit bien, pour ces flics de la pensée de repérer et de caricaturer tous ceux qui ne soutiennent pas la politique belliciste et colonialiste des gouvernements de droite et d’extrême droite israéliens.
Ce que les documentaires télévisés de Caroline Fourest ne nous disent pas non plus sur son complice Reichstadt, c’est qu’il a été un collaborateur de l’Arche (« Le mensuel du judaïsme français ». ), de la revue « Le Meilleur des mondes » ( proche des néoconservateurs américains) et qu’il fréquente la Revue « La Règle du jeu » dont le directeur est Bernard-Henri Lévy.
Disons-le tout net : Reischtadt copine avec qui il veut, on s’en fiche, c’est son droit. Il écrit là où ça lui chante, participe aux séminaires qui lui agréent et il ne nous vient pas à l’idée de déplorer qu’il puisse le faire "encore". Mais quand pleuvent les coups, il vaut mieux chercher à savoir qui les donne, et pourquoi.
C’est ce que nous avons fait. Nous avons regardé la vidéo d’un séminaire de « La règle du jeu » du 23 septembre 2012 dont le thème (obsessionnel) était : « Décrypter les rhétoriques de la conspiration ». Séminaire d’un inimaginable ennui, les quatre intervenants étant tous d’accord sur le fond du sujet.
Rudy Reichstadt y a fait des interventions soulignées par force gestes de la main, émaillées de heuuu interminables encadrant parfois chaque membre de phrase, ce qui en rendait l’écoute particulièrement pénible.
Un des passages mérite d’être noté (Vidéo, à 55 mn42) :
« … le deuxième critère, c’est celui de la source, heuuu. D’où ça vient ? Heuuu. Quand on est face à une théorie du complot, heuuu on peut se demander heuuu qui l’a émise, qui l’a produite. Et là […] heuuu on retombe à peu près systématiquement sur les mêmes personnes, la même mouvance heuuu dont on voit qu’elle suit un agenda politique. Il y a vraiment des prescripteurs de théorie du complot. Il y a tout un tas de suiveurs, la blogosphère, etc., qui-qui relayent tout ça, ces vidéos, ces textes, abondants. Heuuuu. Mais il y a au départ un prescripteur. Il y a des théoriciens du complot. Et qui passent heuuu une partie de leur temps… », etc.
La moralité est la suivante : si vous dites qu’il existe des prescripteurs, des théoriciens du discours impérialiste, vous êtes conspirationniste et c’est mal. Si vous dites qu’il y a des prescripteurs, des théoriciens du discours anti- impérialiste, vous êtes anti-conspirationniste et c’est bien.
Reischtadt et les siens ont le droit de soutenir que quelqu’un tire dans l’ombre les ficelles de ceux qui contestent les politiques étrangères des USA et d’Israël.
Pour pourfendre le conspirationnisme, Reischtadt use sans s’en rendre compte (ou sans vergogne) d’une argumentation d’essence conspirationniste.
Cette bande de sycophantes est conspirationniste, contrairement au GS qui sait à la fois que des décisions sont prises en catimini, « à l’insu du plein gré » des peuples, mais que ce sont ces derniers qui font l’Histoire. D’où une distance lucide que nous respectons entre ceux qui voient des complots partout et ceux qui n’en voient nulle part.
LGS
(1) Edgar Morin, Daniel Mermet, Pascal Boniface, Charles Enderlin, Alain Ménargues, Bernard Cassen, Siné, Jacques Bouveresse, Pierre Bourdieu, José Bové, Stéphane Hessel, Pierre Péan, Umberto Ecco, Yves Calvi, Jean Ferrat, Jean-Luc Godard, etc. La liste folle est lacunaire et elle s’allonge sans cesse.