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Désormais, nous sommes tous des Bradley Manning

Etats-Unis : Le Sénat autorise la détention militaire indéfinie et sans procès pour tous. (Oped News)

Lors d’une détention militaire, vous êtes soumis au bon vouloir d’un commandant, comme Bradley Manning l’a été pendant un an à Quantico, ou José Padilla au cours de ses 3 années et demi passées au trou à Goose Creek en Caroline du Sud. Même avec toutes les garanties constitutionnelles offertes à Troy Davis, et malgré les rétractions de sept des neuf témoins oculaires, la justice n’a pas prévalu, ce qui prouve que la qualité d’un système dépend des qualités de ceux qui le font fonctionner.

La nouvelle loi qui autorise la détention militaire de citoyens états-uniens soupçonnés de terrorisme a été adoptée par le Sénat US la nuit dernière par 93 voix contre 7. Les termes employés sont tellement vagues qu’elle peut viser des gens embarqués sur des navires pour livrer une aide humanitaire à Gaza, un manifestant qui bloque la circulation ou toute personne accusée de tenir un discours qui apporterait un «  soutien matériel » au terrorisme, comme pour Anwar Al-Awlaki. Tous les sénateurs Démocrates ont voté pour, à l’exception de Jeff Merkley, Tom Harkin, et Ron Wyden. Les autres qui ont voté contre sont les Républicains Thomas Coburn, Mike Lee, Rand Paul et l’Indépendant Bernie Sanders.

Selon le magazine USA Today : «  la législation nierait à toute personne accusée de terrorisme - y compris aux citoyens états-uniens arrêtés à l’intérieur des frontières - le droit à un procès et autoriserait sa détention pour une durée indéterminée. La présidente de la Commission du Renseignement du Sénat, Dianne Feinstein, a proposé un amendement pour épargner les citoyens US mais celui-ci fut rejeté par 55 voix contre 45 ». Voir le détail du vote http://www.govtrack.us/congress/vote.xpd?vote=s2011-218&sort=vote

Chris Anders, avocat auprès de l’ACLU, a déclaré que «  Cette loi constitue une menace sans précédent pour les citoyens états-uniens et autres parce qu’elle étend et pérennise l’autorité du président à ordonner la détention militaire, sans accusations et sans procès, de tout citoyen états-unien. »

Dans une tentative pour apparemment faire mieux passer la pilule, de nombreux amendements avaient été proposés pour supprimer les clauses sur la détention militaire, mais ils ont tous été rejetés et tous ceux qui avaient proposé ces amendements se sont finalement ralliés et ont voté en faveur de la loi. La loi doit maintenant être soumise à une commission mixte Sénat-Chambre des Représentants mais Anders souligne que «  étant donné que la version de la Chambre des Représentants est déjà très préoccupante, la version mixte qui sera négociée entre les deux chambres sera probablement encore pire. »

Lors d’une détention militaire, ce n’est pas un juge, même conservateur, qui décide qui doit être détenu ou pas, ni même ce qui constitue un acte de soutien au terrorisme. C’est un commandant militaire qui décide et qui peut même passer outre les conclusions de ses propres experts, juridiques ou autres. Dans le cas d’un détenu militaire, Bradley Manning, ce dernier fut soumis à un isolement pendant plus d’un an, dans une cellule de 2 mètres sur 3, sans ouverture sauf une petite sur la porte qui donnait sur le couloir et une lumière artificielle.

Sous prétexte de «  préserver son intégrité physique » une mesure punitive de surveillance fut instaurée par le commandant de la base et il fut interdit à Bradley Manning de faire des exercices physiques dans sa cellule, il n’avait droit qu’à une heure de promenade par jour et uniquement dans une autre cellule, avec des fers aux pieds et enchaîné, et avec obligation de marcher en formant des «  8 ». Un ami de Manning, David House, a déclaré à la chaîne MSNBC qu’après 8 mois d’isolement son ami semblait «  catatonique » et qu’il avait du mal à «  engager une conversation ». Par ailleurs, les militaires lui administraient des «  antidépresseurs » pour, aussi incroyable que cela puisse paraître, contrer les effets de son isolement. L’avocat de Manning, David Coombs, écrivait au mois de mars de cette année que «  les psychiatres de la prison ont constamment affirmé qu’il n’y avait aucune justification médicale pour le traitement imposé au soldat Manning... La mise en place d’un tel traitement nécessite l’avis de psychiatres, mais la décision finale est prise par le Commandant. »

En plus des mises en gardes formulées par l’ACLU, la volonté d’inclure les citoyens états-uniens et d’autoriser leur détention militaire pendant une durée indéfinie a été clairement affirmée : aucun Sénateur ne peut donc prétendre avoir mal compris le texte. Le Sénateur Lindsey Graham, un des promoteurs de cette mesure, a déclaré devant le Sénat : «  (...) s’applique aux citoyens états-uniens et son champ d’action est le monde entier, y compris les Etats-Unis. »

Cette loi signifie que les Etats-uniens pourront désormais être traités comme les détenus Irakiens ou Afghans et disparaître derrière le mur de la chaine de commandement. Peu importe de quoi vous seriez coupables ou pas. Et même si la plupart des soldats engagés dans des unités combattantes sont des gens respectables et des patriotes, ce n’est pas toujours le cas. Les Etats-uniens qui seront soudainement désignés comme «  terroristes » seront à la merci de tous les Charles Graners et Lyndie Englands de la terre, sans pouvoir faire appel à un avocat, à la famille, aux amis, ou à 230 ans de jurisprudence bâtie avec soin. Et le tout sera sans limitation de durée, c’est-à -dire éventuellement à perpétuité, et encore une fois selon le bon vouloir des militaires et de la branche exécutive du pouvoir, et de celui ou celle qui succédera à Obama.

Tout est prêt pour qu’un président, quel qu’il soit, puisse annoncer que la «  guerre contre le terrorisme » passe à la vitesse supérieure. Jane Mayer dans le New Yorker, écrit sur le traitement des prisonniers accusés de terrorisme sous l’administration Bush : «  Selon un rapport adopté au mois de Juin par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, intitulé «  Détentions secrètes et transferts illégaux de détenus », les prisonniers étaient «  amenés dans leur cellules par des hommes forts qui portaient des tenues noires, des masques qui leur couvraient entièrement le visage, et des lunettes sombres sur les yeux, » (certains portaient des vêtements noirs fabriqués dans un matériau synthétique indéchirable.) Un ancien membre d’une équipe de transport de la CIA a décrit «  l’enlèvement » de prisonniers comme une routine soigneusement chorégraphiée de 20 minutes ou cours de laquelle le suspect était pieds et poings lié, déshabillé, photographié, encagoulé, placé sous sédatifs par suppositoires, vêtu d’une couche-culotte, puis transporté par avion vers un lieu secret. Une personne impliquée dans l’enquête du Conseil de l’Europe, en référence aux fouilles des cavités corporelles et à l’usage fréquent de suppositoires, a comparé la traitement à «  de la sodomie ». Il a dit que «  l’objectif est d’ôter toute dignité au détenu. Ca détruit le sentiment d’inviolabilité de quelqu’un ».

Le plus incroyable, ce que tout ceci a été accueilli dans les grands médias par un silence assourdissant. Aujourd’hui, NPR (Radio Publique - NdT) a parlé simplement d’une loi sur l’emploi et a consacré du temps à la Grèce. Le silence de PBS (chaîne publique - NdT), NPR et des médias commerciaux est tout aussi remarquable alors que la loi est sur le point d’être définitivement adoptée. (…)

Les Pères Fondateurs (des Etats-Unis) avaient précisé que certains droits étaient «  inaliénables ». Un d’entre eux était celui d’un procès devant jury.

«  Nous tenons ces vérités comme allant d’elles-mêmes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement » Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, rédigée par Thomas Jefferson, 1776 (version Wikipedia - NdT)

«  Je considère que le procès devant jury est le seul moyen imaginé jusqu’à présent par l’homme pour contraindre un gouvernement à respecter les principes de sa Constitution. » - Thomas Jefferson

Si ce projet aboutit, et si tout le monde continue de faire comme si de rien n’était, soyons au moins bien conscients de ce que tout cela signifie. Sans que nous en ayons eu conscience, de façon permanente et pour toujours, par la grâce du Sénat des Etats-Unis nous sommes tous devenus des Bradley Manning.

«  Je n’ai pas la moindre idée de comment ces gens ont pu entrer dans notre armée » - Ben Nighthorse Campbell, sénateur du Colorado, en parlant des gardiens de la prison d’Abou Ghraib

«  Ce sont des assassins, ce sont des terroristes, ce sont des insurgés » - James Inhofe, sénateur républicain, en parlant des prisonniers capturés au hasard et jamais jugés.

Ralph Lopez

http://www.opednews.com/articles/1/We-Are-All-Really-Bradley-by-Ralph-Lopez-111203-835.html

Traduction «  c’est bien précisé "pour tous", c’est donc démocratique... » par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles (et une légère appréhension)

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