Crossing lines, ou comment se vendre à l’occupant

Je le dis très tranquillement comme je le pense : si les nazis avaient gagné, les successeurs de Clouzot et de Pierre Frenay (qui nous gratifièrent pendant la guerre de l’extraordinaire Corbeau, tourné dans des studios nazis - pardon allemands) joueraient pour la télévision en allemand.

Il se prépare actuellement à Paris une série policière où, nous dit Le Monde, « la langue de Molière est proscrite ». Cette série s’appelle Crossing Lines. Je n’en connais pas l’argument, mais comme je sais que la langue anglaise est parfois prodigieusement imprécise, je me permets de signaler que ce titre peut se traduire des manières suivantes (liste non exhaustive) :

Changer de ligne
Croiser des fils
Des lignes cruciformes
Des lignes qui se croisent
Des lignes transversales
Des lignes entrecroisées
La traversée des lignes

Une petite suggestion en passant : la forme en ing en anglais étant un peu n’importe quoi, on peut s’amuser cinq bonnes minutes en traduisant fucking machines.

La vedette de la série est française : il s’agit de Marc (Lucien) Lavoine, qui porte un nom qui fleure bon le terroir. Il donne - en anglais - la réplique à Donald Sutherland. Une fois qu’il a fini de tourner, il se double en français. Les autres acteurs, d’origine multiple et variée (j’espère qu’il y a parmi eux des Tchèques et des Hongrois que l’on peut payer à la sauce Bolkenstein), jouent également en anglais.

Parler dans la langue de l’autre, c’est penser comme l’autre, selon ses schémas. Jouer dans la langue de l’autre, c’est jouer comme l’autre, selon sa culture, sa langue, ses habitus. C’est être un autre.

Bien sûr, les producteurs se justifient sans problème : si l’on veut concurrencer les blockbusters (dans la langue de Molière : films à grand succès) étatsuniens (pardon : US), il faut tourner en anglais pour appâter les distributeurs internationaux. Ce qu’ont toujours fait, c’est bien connu, Truffaut, Manoel de Oliveira ou Fellini. Il vaut mieux effectivement, au XXIe siècle, tourner un gros caca en anglais qu’un bon film en italien ou en français.

Une question toute bête : pourquoi faut-il concurrencer les blockbusters US ? Qu’on les laisse vivre leur vie, qu’ils soient bons ou mauvais, et qu’on nous laisse vivre la nôtre. Passent actuellement sur nos écrans de télévision Borgen, une série danoise très innovante qui a été tournée en danois, et Les Revenants, une série française très prenante, très originale, coécrite par Emmanuel Carrère, tournée en français. Remercions l’auteur de L’Adversaire de ne pas s’être prostitué en écrivant dans la langue de Wall Street et de la CIA ! Les Danois ont produit en 2007 une fort bonne série policière sous le titre Forbrydelsen, un mot qui signifie « le crime ». Jouée en Danois. Arte, la grande chaîne culturelle, nous l’a présentée sous le titre « The Killing » ! Cette série était d’ailleurs tellement bonne qu’une chaîne étatsunienne l’a adaptée (pardon : en a fait un remake) de manière assez banale. Preuve qu’on peut être une nation de cinq millions d’habitants et s’exporter en restant soi-même.

TF1 devrait bientôt programmer Jo, une série conçue par René Balcer, brillant réalisateur et producteur canadien (New York police judiciaire). L’acteur principal, Jean Reno, joue en anglais, avec, selon les chargés de com’, un accent « presque parfait » (son accent est effectivement très bon). L’action se passe à Paris, avec des panneaux de signalisation en anglais (Eiffel Tower ? Magdalena Church ? Counterscarp Street ? The Father The Chair ?).

Vive le Danemark libre !

PS : la bande-annonce (pardon le teaser) se veut "américaine". Elle est grotesque (http://www.rue89.com/rue89-culture/zapnet/2012/12/11/pourquoi-la-bande-annonce-de-jo-serie-policiere-de-tf1-est-si-drole)

http://bernard-gensane.over-blog.com/

COMMENTAIRES  

13/12/2012 11:51 par Marc

A propos d’un Paris sous occupation US avec Panneaux de signalisations en anglais pour formater le paysage urbain comme hier l’occupant nazi le faisait dans sa lange natale et des "collabos" patentés prêts à se coucher comme il est de règle en France, il est bienvenue d’envoyer des mails de réclamation en ce qui concerne un "chroniqueur - caniche" qui sévit sur France Culture et déshonore le paysage radiophonique français.

Voici ce que je viens de lui adresser ce matin, sur le site de France Culture, ce jeudi 13 décembre 2012 :

" A l’attention de M. Thomas Cluzel.

Je vous ai écouté ce matin à propos du président Vénézuélien, M.Chavez. Vous vous êtes comporté véritablement comme un valet et votre chronique était vraiment répugnante. Il est vrai que M. Chavez n’a tué personne et ne fait la guerre à personne, c’est sans doute cela qui vous dérange et vous fait vous insurger.

M. Bush Jr a exterminé plus d’ 1 million 500 000 civils Irakiens, Madame Madeleine Albright sous la mandature Clinton avait reconnu que l’embargo à l’époque avait conduit à la mort de 500 000 enfants Irakiens et pourtant je ne me souviens pas d’une chronique assassine de votre part ou émanant de France Culture vilipendant ces assassins de masse.

Votre haine ce matin était disproportionnée, votre critique du Président Vénézuélien outrancière et véritablement hallucinée.

France Culture s’est-elle changée subitement en radio - CIA, ce jeudi 13 décembre 2012 ?

Honte à vous M.Cluzel, pour votre entreprise de désinformation d’aujourd’hui. Ce n’est effectivement plus du journalisme ni même de la critique justifiée mais véritablement de la propagande. Vraiment navrant et proprement dégueulasse. "

Par honnêteté intellectuelle, je mets l’adresse de sa sale chronique ici pour que tout le monde voit la petitesse et l’ignominie du personnage payé par les deniers publics. Il faudrait souligner chacun des termes employés pour bien montrer l’entreprise de désinformation publiée. Par exemple, la télévision ne sera pas dite " publique " mais " officielle " en ce qui concerne le Vénézuéla, etc... à chacun de trouver au travers de la malignité du chroniqueur les mots employés dans le but de désavouer le peuple Vénézuélien qui vient de réélire démocratiquement leur président de la république. Ce qui ne plaît pas à M. Thomas Cluzel qui sans doute préfère les coups d’Etat comme au Honduras en 2009 qui a vu le président démocratiquement élu M. Zélaya renversé par une junte militaire en liaison avec la mafia et les USA :

Thomas Cluzel / Radio - CIA :
http://www.franceculture.fr/emission-revue-de-presse-internationale-la-revue-de-presse-internationale-de-thomas-cluzel-2012-12-3

13/12/2012 12:28 par Anonyme

Merci Bernard Gensane ! Personnellement, je préfère toujours l’original à l’imitation. Voici un copier-coller d’une conversation récente sur le sujet que j’avais avec un ami français qui lui aussi dénonçait ses compatriotes rampants :

« …..Les publicitaires (ils se font appeler "annonceurs", ça fait plus propre) nous mettent maintenant des publicités entièrement en anglais. C’est plus vendeur. Le français, c’est "ringard"….. »

Ici tu touches une corde sensible en moi, le Québécois. Si tu savais comme cette propension des zombies français à ramper devant Uncle Sam peut influencer les zombies french canadians… En plus, ils font rire d’eux, même par l’agent de propagande Radio-Canada. Diane qui écoute la propagande radiodiffusée me disait l’autre jour comme les gens du cinéma français étaient ridicules. Imagine-toi qu’au moment de traduire un film américain, ils ont traduit le titre anglais par un titre… anglais. Je t’assure que je ne pense pas à toi, ni à beaucoup comme Yves Duteil qui sont des Français qui se respectent, mais au 90 % de zombies qui s’adonne à de telles courbettes. Je dis souvent à les entendre et à les voir : « Pauvres petits français ! » et je t’assure que je les vois petits… tout petits… non de corps, mais d’esprit. Nous sommes bien loin de la francité.

Et cela vaut pour les minus de « Crossing Lines ».

Michel Rolland dit Anonyme malgré lui

13/12/2012 20:55 par BM

D’une certaine manière, c’est un juste retour des choses (poetic justice en anglais).

Depuis la Troisième République, le pouvoir central parisien s’est acharné à éradiquer les langues régionales (basque, breton, occitan, etc), pour que la seule langue française ait droit de cité sur le territoire national. Tout cela au nom du "progrès" et de l’unité nationale. (Voir, sur le lien suivant, le discours de Barrère à la Convention dès 1794 : remplacez "bas-breton" par "français" et "français" par "anglais", et vous aurez un texte en prise directe sur l’actualité : http://www.contreculture.org/AT%20Diversit%E9.html )

De même que les langues régionales ont été éradiquées au profit du français, le français est en train d’être éradiqué au profit de l’anglais. C’est la suite logique des choses. Il fallait ne pas commencer en premier lieu.

D’ailleurs, il convient de remarquer que le français (malgré son nom, qui renvoie aux Francs germaniques) est une langue latine. Or, on nous dit "nos ancêtres les Gaulois", lesquels parlaient une langue celtique. Que s’est-il donc passé ? Cela date de la conquête de la Gaule par Jules César. Les Romains n’essayèrent absolument pas d’imposer le latin par la force ; les Gaulois abandonnèrent d’eux-mêmes, spontanément, la langue celtique qu’ils parlaient, en faveur du latin, et au fil des siècles cela a donné le français.

Le passage du français à l’anglais que l’on voit en ce moment n’est pas une première dans l’histoire de notre pays. Les instituteurs de la Troisième République croyaient oeuvrer à l’unité nationale ; en fait, ils ont (sans le savoir ni en être conscient) semé les germes de notre dépossession linguistique, en créant un précédent. Il y a quelque chose qui a été profondément imprimé dans notre inconscient national, à savoir qu’on accède à la "modernité" en délaissant son "patois". A la fin du 19ème siècle, la "modernité" était le français face aux "patois" bretons, basques ou autres ; aujourd’hui, c’est la "modernité" anglaise face au "patois" français. Le processus est déjà connu, il a déjà fonctionné d’une manière assez efficace, il peut s’adapter à des situations que n’auraient certainement pas apprécié les "hussards noirs de la République"...

Finissons sur une note d’humour (même si elle est rebattue, je sais...) :
"Quelle est la différence entre un optimiste et un pessimiste ?
Un optimiste, c’est quelqu’un qui apprend le russe.
Un pessimiste, c’est quelqu’un qui sait déjà le chinois."
(Notez au passage que quarante ans après l’invention de cette blague, l’histoire est plutôt allée dans le sens du pessimiste.)

14/12/2012 22:18 par ALM

1) Barrère ne faisait pas parti de la 3ième République.

2) Ce n’est pas la 3ième République qui a imposer le français à l’école, mais Guizot, ministre de Louis Phillipe (loi Guizot de 1833). L’école était déjà gratuite, mais pas obligatoire. La 3ième République à rendu l’école obligatoire et remplacé le curé par l’instit... et c’est bien ce que certains continuent à lui reprocher.

3) Il n’y a jamais eu aucune volonté de détruire les langues régionales. Tout le monde s’en foutait. Le gouvernement de la 3ième République voulait que tout le monde parle Français, que les gens parlent en plus une autre langue locale était le cadet de ses soucis, à tord ou à raison... Il n’y eut pas de mouvement de masse (ni même de moindre importance) pour la défense des langues régionales, d’ailleurs. Lorsque des régionalistes ce sont aperçus qu’elles tendaient à disparaitre, et que c’était peut-être dommage, l’Éducation Nationale c’est empressée de rendre son enseignement optionnel dés le collège.

4) Les gens parlaient déjà en majorité le Français depuis un sacré bout de temps, dans toutes les régions. Le Français avait tendance à s’imposer comme langue majoritaire dés avant la Renaissance. Une langue commune permet la mobilité des personnes, et est donc gage d’une certaine liberté : une langue commune tant naturellement à s’imposer avec l’effacement de la féodalité à la fin du moyen age, l’abandon progressif du servage, et le développement du commerce...

C’est pour ça que l’on parle Français en Wallonie et en Suisse Romande, sans que ni la troisième République ni aucune autre n’ait eu à s’en mêler. Le Québec parle toujours Français, alors qu’il a été peuplé par des gens d’un peu partout avec pas mal de Bretons dedans. Le Breton a disparu du Québec sans qu’aucune République ne s’en mêle non plus. Le Français était déjà fortement majoritaire, pour ne pas dire quasiment hégémonique, à Nice et en Savoie avant le référendum de 1860 (ce qui en explique le résultat...).

Il y a bien eu un événement qui mis sérieusement à mal ce qui restait des langues et traditions régionales, et c’est la 1ère guerre mondiale, qui en fauchant une génération (et les années de deuil général qui suivirent), à bloquer la transmission de pas mal de coutumes et de caractères régionaux.

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