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Comment la colonisation du Congo a enrichi les grands patrons belges

Nick Dobbelaere

Cela fait 60 ans que le Congo a obtenu son indépendance. D’abord propriété de Léopold II, le Congo a été exploité pour enrichir quelques grands capitalistes belges ainsi que la famille royale. Impossible de comprendre l’importance du mouvement de décolonisation et les débats actuels sans se plonger dans l’histoire de ce gigantesque pays africain. Rencontre avec Lucas Catherine, écrivain et spécialiste de la colonisation.

Comment le Congo est-il devenu une colonie belge ?

Les pays européens se sont partagé l’Afrique. Ils se sont promis de ne pas se nuire mutuellement. Et Léopold II a gagné le droit de coloniser ce grand pays situé au cœur de l’Afrique

Lucas Catherine. À la fin du XIXe siècle, les pays européens étaient en plein développement industriel. Ils avaient besoin de matières premières et de marchés. C’est pourquoi les colonies étaient primordiales. Lors d’une conférence à Berlin en 1885, les puissances européennes ont décidé de se partager l’Afrique. Les Allemands en ont reçu une partie, les Britanniques et les Français aussi, etc. et se sont mutuellement promis de ne pas se faire de tort. Léopold II a ainsi gagné le droit de coloniser ce grand pays situé au cœur de l’Afrique, à condition que les autres pays puissent y maintenir une activité économique. La conférence de Berlin était une répartition sur papier, naturellement. Plus tard, il a fallu mettre ces accords en pratique en envoyant des expéditions militaires prendre effectivement les terres aux populations locales. Le colonialisme est une guerre de conquête.

Le Congo n’a donc pas été conquis pacifiquement ?

Lucas Catherine. Loin de là. Léopold II a dû mener plusieurs guerres pour cela. Pour mettre la main sur les zones de récolte du caoutchouc, il a dû faire la guerre à la population locale. Il a dû mener une guerre dans la région du Katanga, où les mines de cuivre étaient aux mains des chefs locaux. Il y a également eu une guerre pour l’ivoire, qui était une matière première importante à l’époque. Il a donc dû tout conquérir par des moyens militaires.

Léopold II a-t-il payé ces guerres de sa propre poche ?

Lucas Catherine. Non, il n’en avait absolument pas les moyens. Il est parti à la conquête du Congo avec toute l’industrie belge derrière lui. Dès le début, les capitalistes bruxellois, la sidérurgie wallonne et la capitale portuaire d’Anvers ont investi massivement dans le projet congolais de Léopold II. Avant même qu’il n’en reçoive officiellement l’autorisation en 1885, Léopold II avait déjà envoyé au Congo des personnes rémunérées par l’industrie belge. Vous avez entendu parler de l’explorateur Stanley, qui aurait découvert le Congo ? Il n’était pas payé par Léopold II, mais bien par les banquiers bruxellois Philippe Lambert et Georges Brugmann. Il y avait une énorme quantité de richesses à aller chercher au Congo. Toutes les matières premières en provenance du Congo étaient commercialisées dans le port d’Anvers. Durant cette période, le port d’Anvers est devenu l’un des trois premiers du monde. Les deux grandes entreprises anversoises de caoutchouc, ABIR et Anversoise, ont été ravies de cofinancer le projet de Léopold II car il leur assurait un accès facile au caoutchouc congolais. Les barons de l’acier wallon avaient eux aussi beaucoup à gagner. Les matières premières se trouvaient loin à l’intérieur des terres congolaises et devaient être transportées jusqu’à l’embouchure du fleuve Congo pour ensuite arriver à Anvers. Toutes les lignes de chemin de fer destinées à les acheminer ont été construites par l’industrie sidérurgique wallonne.

Pourquoi le Congo est-il devenu la propriété personnelle du roi Léopold II au lieu de revenir directement à l’État belge ?

Lucas Catherine. Au début, l’État belge n’a pas tout de suite perçu l’intérêt d’avoir des colonies. Mais Léopold II, lui, rêvait depuis toujours de posséder une colonie. C’était un roi mégalomane, atteint de la folie des grandeurs. Il voulait faire de Bruxelles une ville comme Londres, Berlin ou Paris. Et pour cela, il avait besoin d’argent, et il ne pouvait l’obtenir qu’en possédant une colonie. Il y pensait depuis longtemps. Avant de devenir roi, il avait déjà fait plusieurs voyages, notamment en Espagne pour voir ce que rapportaient les colonies d’Amérique latine. Il s’était aussi rendu à Ceylan, aujourd’hui le Sri Lanka, pour voir ce que les plantations de thé rapportaient aux Néerlandais. Il était même allé jusqu’à Hong-Kong pour voir quelles étaient les possibilités en Chine. Il voulait faire de la petite Belgique une superpuissance. Et il y est parvenu, en partie, car, vers 1910, la Belgique était la deuxième puissance industrielle du monde après la Grande-Bretagne. Cela n’a été possible que grâce aux richesses volées au Congo et aux horreurs qui ont accompagné ce pillage.

L’État belge n’était-il pas du tout partie prenante ?

Lucas Catherine. Bien sûr que si. Léopold II a envoyé des détachements de soldats de l’armée belge rejoindre l’armée coloniale, la Force Publique. Cette armée veillait à ce que les entreprises de caoutchouc anversoises ABIR et Anversoise, par exemple, puissent produire autant de caoutchouc que possible dans des délais aussi brefs que possible. Et l’une de ses pratiques consistait à trancher les mains des ouvriers lorsque le rendement n’était pas jugé assez élevé. Mais l’État belge a également soutenu financièrement Léopold II. L’ancien Premier ministre August Beernaert a accordé au roi deux prêts importants pour mener à bien ses plans coloniaux. Au final, l’État belge a investi encore plus d’argent que Léopold II et ses partenaires financiers et industriels réunis.

Comment le Congo s’est-il finalement retrouvé entre les mains de l’État belge ?

Lucas Catherine. Les financiers belges ont mis la pression. Pour eux, le pillage des matières premières se faisait encore d’une manière trop restreinte et inefficace. Par exemple, le fleuve Congo n’était pas navigable entre Kinshasa et la mer, car il y était jalonné de rapides. Des gens devaient dès lors transporter les matières premières sur ce tronçon à pied. À raison de 30 kilomètres par jour avec 30 kilos sur la tête. On ne peut pas piller un pays à grande échelle, en une seule fois. Ainsi, de plus en plus de capitalistes ont pensé qu’il fallait s’attaquer à ce problème de manière plus rationnelle, qu’il devrait y avoir beaucoup plus de voies de chemins de fer, notamment. En même temps, le gouvernement belge commençait à se dire que, tant qu’à y injecter tant d’argent, il ferait mieux de prendre directement le contrôle du Congo. Au même moment, le scandale des mains coupées était révélé au niveau international. Les Britanniques et les Allemands étaient furieux parce que Léopold II n’avait pas tenu sa promesse de 1885, à savoir que les autres puissances pourraient également venir au Congo chercher des matières premières. Il voulait tout garder pour lui. Ces pays ont alors fait paraître dans la presse des articles sur la pratique des mains coupées et la pression internationale s’est renforcée. On n’a pourtant pas lu un mot sur toute cette affaire dans la presse belge, car la presse avait été achetée. Léopold II avait en effet un bureau spécial à Bruxelles où il invitait des journalistes et les payait pour qu’ils diffusent des nouvelles positives pour lui. Les mains coupées montraient clairement que le règne de Léopold II au Congo n’était qu’abominations et pillages. L’État belge a alors insisté pour que la question du Congo soit abordée « normalement ». À partir de 1909, lorsque l’État belge a pris le contrôle du Congo, le régime colonial belge était comparable à celui d’autres pays.

Ce qui a mis un terme à toutes ces exactions ?

Lucas Catherine. Non, la plupart de ces pratiques ont continué. Les populations locales ont été très durement exploitées. Un homme très important à l’époque où l’État belge contrôlait le Congo était le lord britannique William Lever, qui fut plus tard à l’origine de l’actuelle multinationale alimentaire Unilever. Cet homme a fait déplacer des villages entiers et a également imposé le travail forcé à la population locale. En 1931 (plus de vingt ans après la mort de Léopold II, donc), la population qui vivait autour de ces plantations s’est soulevée contre ces pratiques. Cela a donné lieu à la révolte contre la colonisation belge la plus massive, qui s’est soldée par le massacre de milliers de Congolais. Les horreurs ne se sont donc pas arrêtées avec la disparition de Léopold II. Certaines régions du Congo, comme les zones où il y avait des plantations de caoutchouc, ont été presque entièrement dépeuplées, contrairement à celles où le capital belge ne trouvait rien à piller, qu’on laissait relativement tranquilles. En tout état de cause, la colonisation a été extrêmement meurtrière pour les Congolais, qui y ont laissé de un à cinq millions de vies, selon les estimations. Les autres puissances coloniales n’étaient pas en reste. Les Allemands ont massacré un peuple entier, les Herero, dans le sud-ouest de l’Afrique. La colonisation de l’Amérique latine a également coûté des millions de vies. Les Britanniques et les Français ont mené des guerres coloniales d’une ampleur incroyable. Il n’y a pas de colonialisme sans violence.

Comment l’exploitation du Congo a enrichi la famille royale ?

Lucas Catherine. Au début, la maison royale belge n’était pas riche du tout. Léopold Ier est monté sur le trône sans un sou en poche. Mais Léopold II a amassé une fortune considérable en pillant le Congo. À la fin de sa vie, Léopold II a divisé sa fortune en deux. Il a placé son argent et ses actions dans la fondation Niederfüllbach, du nom de la petite ville allemande d’où provient la dynastie de notre monarchie, les Saxe-Cobourg. L’État belge n’a presque rien pu en tirer. Tout son patrimoine immobilier (bâtiments, parcs, forêts ardennaises, ...) a été versé à la « Donation Royale ». Or, cette Donation n’était pas un cadeau qu’il faisait à la Belgique. C’était un cadeau au successeur légal de la monarchie. Cette Donation Royale existe encore aujourd’hui. La richesse de Léopold II est donc restée bien préservée dans la famille. La famille royale s’est par ailleurs enrichie d’une autre manière encore. Elle était le principal actionnaire d’un certain nombre de sociétés belges opérant au Congo, telles que la Société Générale, l’Union Minière du Haut Katanga ou encore la Forminière. Cela représente énormément d’argent. La Société Générale, par exemple, avait la mainmise sur plus de la moitié de l’économie congolaise. On comprend ainsi mieux pourquoi la famille royale se montre aujourd’hui aussi sensible vis-à-vis des critiques sur Léopold II. Elle craint que si l’on s’intéresse de trop près au volet financier de la colonisation, l’origine de la richesse de la famille royale finisse par être révélée au grand jour, ce qu’elle veut éviter à tout prix.

Que devrions-nous faire des statues de Léopold II et des monuments coloniaux ?

Lucas Catherine. Il faut avant tout demander aux personnes d’origine congolaise ce qu’elles veulent en faire. Impliquer des intellectuels et des artistes congolais. Après tout, c’est de notre histoire commune qu’il s’agit.

Peut-être devrions-nous organiser une commémoration annuelle ou une action publique, tout comme on commémore chaque année la Première Guerre mondiale le 11 novembre. Il faut en même temps agir au niveau de l’enseignement et expliquer pourquoi ces colons se sont trompés à ce point et pourquoi le racisme que nous connaissons aujourd’hui découle de la colonisation. Il s’agit donc de mettre en place des mesures éducatives à long terme.

Pourquoi est-ce si important ?

Lucas Catherine. Parce que la colonisation a répandu une image raciste des Africains noirs. L’image paternaliste de cette époque est une image stéréotypée qui reste toujours bien vivante : les Africains ont la danse dans le sang, ils sont doués pour la musique, ils sont gais, mais sont aussi comme de petits enfants qui ont besoin d’une autorité paternelle... De telles images restent bien présentes dans les esprits, avec pour conséquence que le Congolais moyen est aujourd’hui plus instruit que le Belge moyen, mais exerce pourtant toujours une profession moins valorisée. Les Belges issus du Congo occupent presque tous des emplois en dessous de leur diplôme ou de leur valeur. C’est une conséquence de la colonisation. Et cette image paternaliste de « nous, Européens blancs, savons mieux ce qui est bon et prendrons donc les décisions » n’est pas une image née sous Léopold II, mais après. Diaboliser Léopold II ne résoudra rien. Oui, enlever ses statues peut contribuer à attirer l’attention sur le problème, mais cela n’éliminera pas le racisme. D’où l’importance de l’enseignement pour interpréter correctement cette histoire. Après 1960, il y a eu un black-out. On ne voulait pas savoir, on a cessé d’en parler. Même à l’école. C’est aussi quelque chose que nous devons corriger pour lutter contre le racisme.

Que pense le PTB des statues de léopold II ?

Raoul Hedebouw, porte-parole national et député fédéral du PTB, s’est exprimé dans les journaux de Sud Presse : « Léopold II est le roi qui a fait tirer dans les manifestations ouvrières en 1886 et a exploité férocement le peuple congolais. Plutôt que de le glorifier, ces statues pourraient être mieux contextualisées dans des musées afin d’y enseigner notre histoire populaire (...) Les infrastructures coloniales ont été construites à la sueur du peuple congolais et belge. Les consacrer à l’enseignement de ce passé colonial et exploiteur serait une bonne idée. » Excuses au Congo. « Oui bien sûr, rappelons que l’élite politique (pas le peuple) belge est à la base de l’assassinat du premier Premier ministre congolais, Patrice Lumumba. Le roi et le gouvernement devraient présenter leurs excuses. La date du 30 juin serait un beau symbole. »

»» https://www.solidaire.org/articles/...
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