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Chico Mendes doit se retourner dans sa tombe (Carta Capital)

Pour le compagnon de lutte de Chico Mendes, il n'y a rien à célébrer aujourd'hui : « Ce que nous devons faire, c'est protester. Nous avons été mis en déroute par la politique du gouvernement menée de concert avec le négoce agroalimentaire ».

Osmarino : une voix critique

Le compagnon de lutte de Chico Mendes dit qu’aujourd’hui le capitalisme est en train de détruire la forêt et les fleuves, « alors que notre mouvement a montré qu’il existe une manière de vivre qui ne menace pas l’environnement ». Dans le documentaire de Miranda Smith, Chico Mendes, la voix de l’Amazonie (dont a été extraite cette photo, avec l’autorisation de la réalisatrice), il rappelle d’autres compagnons morts, comme Wilson Pinheiro.

Osmarino Amancio Rodrigues était sur la même liste noire qui a conduit Chico Mendes à la mort en 1988. Jusqu’à aujourd’hui, il a continué à vivre dans la réserve extractiviste [1], dans la forêt. Lors d’une de ses rares visites en ville, j’ai réussi à le contacter par téléphone, et il m’a fourni ce témoignage. Osmarino est très critique sur la transformation du système capitaliste, qui a trouvé une manière plus « suave » et plus « verte » de s’occuper des forêts. Pour lui, Chico Mendes était libertaire, et beaucoup de ses compagnons ont trahi leurs idéaux ; parmi eux, Marina Silva. « Nous ne devons pas commémorer l’anniversaire de la mort de Chico Mendes. Ce que nous devons faire, c’est protester », dit-il.

De la mort de Chico Mendes à aujourd’hui

Il est arrivé beaucoup de choses depuis la mort de Chico Mendes.

D’abord, nous devons parler de ce que nous avons conquis par nos actions des années 1980 et 1990. Les conflits ont commencé pendant les années 70, ont continué au cours des années 80, et nous avons remporté d’importantes victoires dans les années 90. Nous avons réussi à ce que l’histoire de l’Amazonie soit reconnue au Brésil et en dehors du Brésil, à faire savoir que toute une population vit en Amazonie, des gens appelés seringueros (extracteurs de latex), des Indiens, des casseuses de noix de coco, des populations traditionnelles, extractivistes [1]. Et une histoire de l’Amazonie qui n’avait pas été racontée par ce que l’on appelle la « découverte » des envahisseurs européens. Après la mort de Chico Mendes, il y a eu aussi une série de défaites.

Nous avons conquis les Réserves Extractivistes (Resex) en Amazonie. Avec les Resex, nous avons créé des revenus pour la population et des droits territoriaux. À l’époque, c’était comme si 10 personnes étaient propriétaires de la moitié de l’État de l’Acre. Aujourd’hui, 80% de l’État est préservé, et ce sont essentiellement, soit des terres indigènes, soit des réserves extractivistes. Le modèle a ensuite été étendu à d’autres territoires de l’Amazonie, comme les réserves maritimes, pour les pêcheurs traditionnels. Ce furent des conquêtes très importantes pour nous, extracteurs de latex.

Après, les choses ont changé. Nous avons eu une ministre de l’environnement, une camarade, Marina Silva, qui a fini par être notre grande défaite. Pourquoi ? Parce que après tout ce que nous avions conquis, elle a réussi à organiser une logistique pour que la nature devienne un marché, en transférant les ressources naturelles vers l’initiative privée. Elle a approuvé la loi sur les transgéniques, sans garantie que l’alimentation soit vraiment saine. Elle a créé une loi sur les forêts publiques, qui privatise les forêts publiques pour 40 ans, une durée qui peut être prolongée de 30 ans, des forêts privatisées, au total, pendant 70 ans ! Des millions d’hectares ont été mis aux enchères, dont plus d’un million dans l’État de l’Acre. Ça a été une grande surprise, et je vois ça comme une grande trahison.

En outre, aujourd’hui il y a encore de la prospection pétrolière dans l’Acre, avec maintenant le REDD+ [2]. Avec le REDD+, les propriétaires prennent en location des forêts, protégeant ici et polluant à l’extérieur. Aujourd’hui nous ne pouvons plus pratiquer notre pêche artisanale. Tout est certifié FSC [3] par une série d’ONGs qui sont entrées dans une logique d’expansion du capitalisme vert. L’Amazonie est devenue un motif de commerce et de marchandisation. En Acre, l’extraction du bois est désorganisée et le seringuero ne peut pas prendre du bois pour sa maison. Le bois n’est que pour l’exportation par le FSC, approuvé par l’Institut Chico Mendes (ICMBio), comme dans la Resex Chco Mendes. Ces grands projets d’expansion du capitalisme en Amazonie explosent, et tous au nom de Chico Mendes, qui doit se retourner dans sa tombe.

Chico Mendes ne proposait pas la marchandisation de la forêt. On avait le droit de travailler sur 10% de la zone. Je vois Marina, et ce gouvernement, ils ont privatisé toute l’Amazonie, avec la Loi du marché du carbone, le REDD+, les centrales hydroélectriques qui sont construites et qui vont inonder des milliers d’hectares de forêts et de sites archéologiques, de terres occupées par des populations traditionnelles. Tout cela au nom du développement durable, pour donner plus de capital à une demi douzaine d’entreprises afin qu’elles continuent à polluer, à détruire et criminaliser le seringuero.

Ils proposent une bourse de 100 reals par mois au nom de « l’environnement durable », pendant que les entreprises minières, d’exploitation du bois, les ONGs, et tout le négoce de l’exportation des matières premières deviennent riches. Je suis moi-même victime de la criminalisation parce que j’ai pris du bois pour moi et pour ma mère, pendant que les entreprises d’abattage des arbres enlèvent tout et ne subissent aucune sorte de criminalisation. Nous, les indiens et les seringueros, nous sommes criminalisés pour nous obliger à nous soumettre à l’expansion capitaliste de notre région.

Nous ne devons pas commémorer l’anniversaire de la mort de Chic Mendes. Nous devons manifester. Nous sommes en train de perdre face à la politique du gouvernement menée de concert avec le négoce agroalimentaire, les grandes entreprises forestières, le BTP et les propriétaires fonciers.

Au lieu de créer des Réserves Extractives, ils ont commencé à créer des projets de colonisation dans lesquels on ne discute pas avec les communautés, et où on autorise l’abattage industriel des arbres. C’est ainsi qu’ils ont tué la sœur Dorothy Stang, du Projet de Développement Durable (PDS) Esperança, et Zé Cláudio et Maria, à Nova Ipixuna, du Projet d’Installation agro-extractiviste Praia Alta Piranheira]. Il ne s’agit pas de titre de propriété privée, nous réclamons un droit d’usufruit, et qu’il y ait plus de protection et de garanties pour les communautés.

Il existait une manière de vivre des populations traditionnelles, et avec la création des Resex, il a été possible de garantir la survie de la population et du biome de l’Amazonie, sans menace et en respectant les décisions des communautés. Ce nouveau projet expansionniste ne respecte pas les populations traditionnelles et incite aux déprédations et à la déforestation pour exporter du soja, du bois, du minerai. L’usine [le complexe hydroélectrique de] Jirau a détruit plus de 50 igarapés (petits affluents NdT) ! Et sept mille personnes ont été expulsées.

Capitalisme vert et mouvement écologiste

Le capitalisme est en train de détruire la forêt et les rivières. Alors que notre mouvement a montré qu’il existe une façon de vivre qui ne menace pas l’environnement.

Chico Mendes a entamé la discussion sur un partenariat avec le mouvement écologiste, mais sa préoccupation était sociale et agraire. Pour lui, la terre avait une fonction sociale. Il avait une vision d’ensemble de la situation. Il critiquait un système qui n’implante que la barbarie, la concentration [des outils, des richesses] dans les mains de peu d"élus. Il le disait dans les discussions. Notre vie est en accord avec la nature, et nous ne pouvons survivre que si la forêt est préservée. Nous vivons des châtaignes, de la pêche, de la chasse. Nous pensions que les écologistes pourraient être nos partenaires. Et Chico Mendes savait comprendre quand arrivait le moment de conclure des partenariats et des alliances.

Seulement, aujourd’hui, avec le FSC, le WWF (World Wide Fund - Fond mondial pour la nature NdT), ces ONGs, Marina a implanté le capitalisme vert, et Chico Mendes est laissé de côté. Chico Mendes était un libertaire, un socialiste convaincu. Il voulait la réforme agraire, et était accusé d’être un terroriste. Il semble qu’on assassine Chico une deuxième fois en le faisant passer pour un de ces écolos, parce qu’ils veulent tuer la figure du libertaire, du combattant pour la vie, contre les préjugés et la discrimination.

Il a souffert des préjugés, je souffre de préjugés. Nous étions des analphabètes parce que nous n’avions pas de diplôme, et nous étions traités comme des cobayes dans les recherches des anthropologues. J’ai eu pas mal d’accrochages avec des intellectuels. Le préjugé contre le seringuero et l’extractiviste est très fort. Et beaucoup d’intellectuels se sont tus sur la politique expansionniste des années 2000 jusqu’à maintenant. L’économie verte se répand beaucoup dans la région et nous allons en souffrir les conséquences. Nous allons devoir organiser une résistance non seulement contre les entreprises d’abattage des arbres, les compagnies minières et les gros propriétaires terriens, mais aussi contre l’État qui est le responsable de l’ensemble de ce processus. Il doit y avoir un soulèvement et une nouvelle confrontation contre cette politique expansionniste de développement qui est tout sauf durable.

Les populations traditionnelles ne sont pas prises en considération lors de la construction des barrages, et ce qui ce passe à Belo Monte est une absurdité. Au Jirau, au Santo Antonio, sur le Madeira, et sur le Tapajós, ils veulent maintenant commencer à construire les barrages. Mais nous, nous essayons de respirer. La pesanteur de l’État, la brutalité du système et les lois garantissent aujourd’hui une déprédation totale, grâce à ces lois sur les forêts publiques, les transgéniques et le Code Forestier. Chico partagerait les mêmes convictions, j’en ai la certitude. Mais aujourd’hui, en Acre, ils tentent de travestir son positionnement. J’ai vu des chose aberrantes à une exposition agropastorale, Expoacre, des seringueros se joignant aux entreprises d’abattage des arbres et aux éleveurs extensifs.

J’avais une affection particulière pour Chico Mendès qui était un homme de vérité. C’est une cicatrice qui ne guérira jamais. Chico est vivant dans chaque réunion, au sein du mouvement, dans chaque confrontation, dans nos débats. Nous ne permettrons pas que son souvenir soit ce que l’on dépeint de lui, écologiste et vert. Chico était un révolutionnaire en lutte contre le système capitaliste. Il rêvait d’une société socialiste. C’était un libertaire. Et un poète, comme dans ce poème qu’il a écrit pour les jeunes du futur :

« Attention, jeunesse du futur,

le 6 septembre de l’année 2120, anniversaire du centenaire de la Révolution Socialiste Mondiale, qui a unifié tous les peuples de la planète en un idéal et une seule pensée d’unité socialiste, qui en a fini avec tous les ennemis de la nouvelle société. Ici ne reste que le souvenir d’un triste passé de douleur, de souffrance et de mort.

Excusez-moi... Je rêvais quand j’ai écrit sur ces événements ; Même si je ne les verrai pas, j’ai eu plaisir à en rêver ».

Felipe Milanez

Traduction collaborative de la fine équipe de Si le Brésil m’était traduit...

»» http://www.cartacapital.com.br/blog...

Note des traducteurs :

[1] Au Brésil, l’extractivisme est un principe d’exploitation sylvicole, se résumant à la cueillette à des fins commerciales des ressources naturelles (en dehors du bois) de la forêt. Ce mot désigne avant tout une activité spécifique de l’Amazonie brésilienne, où les produits de la forêt tiennent une part importante dans l’économie, notamment les fruits et les plantes médicinales. Il en dérive aussi une pratique sociale spécifique qu’on peut désigner aussi par le même terme.
Voir le livre en ligne La forêt en jeu - L’extractivisme en Amazonie centrale Laure Emperaire (dir.) - Latitudes 23

[2] REDD est l’abréviation de Réduction des émissions de la déforestation et de la dégradation des forêts. Dans sa version amendée, le concept REDD+ ou REDD plus traite de la conservation des forêts, de sa gestion responsable et du carbone qui peut être stocké en « reboisant », et aussi en réalisant des plantations industrielles d’arbres. Si REDD+ est directement lié aux forêts tropicales et à la déforestation, il a été débattu lors de la Convention sur le changement climatique de l’Onu. Les pays du nord, le voient comme une alternative importante qui leur permet de « réduire » les émissions de carbone en payant pour que d’autres les réalisent. Les pays du sud, eux, y voient une opportunité pour obtenir de l’argent pour la conservation de leurs forêts. Les projets pilotes REDD+ montrent clairement que REDD représente une nouvelle et grave menace pour les populations des forêts.

Voir sur le sujet 10 alertes sur REDD à l’intention des communautés

[3] Le Forest Stewardship Council (FSC) est un label environnemental, qui assure que la production de bois ou d’un produit à base de bois respecte les procédures censées garantir la gestion durable des forêts.

On peut assister ICI au documentaire cité dans le texte Chico Mendes, Voice of the Amazon par Miranda Smith, sous-titré en espagnol

Il existe aussi un téléfilm étasunien sur la vie de Chico Mendes, avec Raul Julia, intitulé The burning Season. Non visionné, nous ne savons pas ce qu’il vaut. Il est visible en anglais et en espagnol sur youtube.


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Robert MacNamara
secrétaire à la défense étatsunien de 1961 à 1968
paru dans l’International Herald Tribune, 26 juin 2000.

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