Alice Guy, la première vraie cinéaste au monde

C’est en voulant me documenter de nouveau sur Louis Le Prince, chimiste français émigré en Grande-Bretagne et auteur du premier film cinématographique que je suis tombé sur la Française Alice Guy, réalisatrice (pardon : réalisateure) du second film de fiction de l’histoire du cinéma.

Je connaissais l’existence de Le Prince depuis très longtemps car cet inventeur de génie s’était installé dans le West Riding du Yorkshire, à deux pas d’un endroit où j’ai beaucoup séjourné. Le 14 octobre 1888, Le Prince filma ses beaux-parents et son fils pendant deux secondes et demi. Après une brève et féconde carrière, Le Prince disparaîtra de manière très mystérieuse dans le train Bourges-Paris. On évoquera un possible assassinat ou un suicide.

Enfoncés, les frères Lumière ! Inventeurs de génie – et, accessoirement, ardents soutiens de Mussolini et Pétain – ils tournèrent leur premier film le 19 mars 1895 en plantant leur caméra devant leur usine avant de tourner, quelques mois plus tard, L’arroseur arrosé, premier film de fiction de l’histoire du cinéma. Les frères Lumière innovèrent par ailleurs en inventant le principe de séances publiques, la première ayant lieu à Paris le 28 décembre 1895. Pour 1 franc, 33 spectateurs virent 10 films, dont L’arroseur arrosé, mais pas la très spectaculaire Arrivée d’un train en gare de La Ciotat.

Alice Guy naquit le 1erjuillet 1873 à Saint-Mandé. Cette réalisatrice restera dans l’histoire du cinéma comme la première scénariste et productrice de cinéma. Elle tourna son film La Fée aux choux en 1896 pour aider à la vente de caméras Gaumont. Ce film fut refait au moins deux fois (en 1900 et 1902) car, ayant remporté un énorme succès, les copies d’origines avaient été très abimées.

Sténographe, Alice Guy est nommée secrétaire de direction à 21 ans au Comptoir général de la photographie. Elle y a pour collègue Léon Gaumont. La société fait faillite. Gaumont la rachète. Alice suit des cours de photographies, s’initie au trucage et aux rayons X. En mars 1895, elle assiste à une projection privée des frères Lumière. Elle réalise alors La Fée aux choux en se désignant comme “directrice de prise de vues ”. Elle devient productrice et fait tourner Ferdinand Zecca (auteur de la première analepse de l’histoire du cinéma en 1901) et Louis Feuillade, futur adaptateur du roman Fantomas. En 1898, Alice Guy coréalise La Passion de Jésus Christ, le premier peplum de l’histoire du cinéma. Entre 1902 et 1906, elle filme et enregistre Dranem et Félix Mayol. Elle tourne également des films sociétaux comme Les Résultats du féminisme (les hommes à la cuisine et les femmes allongées sur des sofas, fumant et morigénant les hommes) et Madame a des envies.

En 1910, Alice et son mari s’installent aux États-Unis. Elle fonde, près de New York, sa première société de production, la Solax Film où elle accueille d’autres sociétés comme la Goldwyn, Pathé ou la Metro. Elle tourne des mélodrames, des westerns, des films historiques, des films sur le racisme (Across the Mexican Line). Elle réalise le premier film joué par des acteurs noirs (A Fool and his Money).

Divorcée et ruinée, Alice décide de rentrer en France en 1922 avec ses deux enfants. Elle souhaite retravailler pour la Gaumont mais cela ne peut se faire. Elle retourne aux Etats-Unis, vit avec sa fille secrétaire d’ambassade et écrit des livres pour enfants sous le pseudonyme de Guy Alix.

En 1957, à l’initiative de Louis Gaumont, elle reçoit un hommage de la Cinémathèque française. Elle meurt aux Etats-Unis en 1968 à l’âge de 94 ans sans avoir pu récupérer les films qu’elle avait produits.

En avril 2019, un documentaire de Pamela Green intitulé Be Natural : The Untold Story of Alice Guy-Blaché, lui est consacré et sort en salles aux États-Unis.

Alice Guy a réalisé ou produit des centaines de films. Il m’a été donné de voir The Pit and The Pendulum (“ Le Puits et le pendule ”) d’après la terrifiante nouvelle d’Edgar Poe. Tourné en 1913, ce film fut la première adaptation en langue anglaise d’une œuvre littéraire.

De cette femme qui fréquenta Eiffel ou Émile Zola, Martin Scorsese déclara en 2011 : « Alice Guy était une réalisatrice exceptionnelle, d’une sensibilité rare, au regard incroyablement poétique et à l’instinct formidable. Elle a écrit, dirigé et produit plus de mille films. Et pourtant, elle a été oubliée par l’industrie qu’elle a contribué à créer ».

Bernard Gensane

COMMENTAIRES  

29/05/2019 03:35 par babelouest

Merci Bernard.
Alice Guy, j’en avais entendu parler il y a bien des années dans l’Univers des images animées, de Charles Ford, paru en 1973 chez Albin Michel. Mais il avait donné bien moins de détails.

Compte tenu des si nombreuses innovations qu’elle a apportées, elle a porté le cinéma sur son dos. Si Thomas Edison était bien l’auteur de toutes les inventions dont les USA le créditent, Alice Guy serait l’Edison du septième Art. On se contentera de dire : Alice Guy, c’était quelqu’un !

N.B. réalisateure, c’est hideux. Pourquoi vouloir féminiser ainsi à tout prix des noms de métiers, forcément neutres ? Mais bien entendu Bernard Gensane fait ici montre d’humour, j’en suis persuadé.

29/05/2019 08:28 par legrandsoir

A propos de la féminisation des noms de métiers, cueilli ce w e : si l’on dit un maire, une mairesse, il faut penser à dire aussi un intermédiaire, une intermédiairesse. Amis de la beauté de la langue, bonjour !
MV

29/05/2019 13:40 par Assimbonanga

Dans le même temps, les gens qui causent ont le plus grand mal à savoir avec quel mot on doit accorder l’adjectif ou le pronom. Ca se perd dans le flot !
Auquel, à laquelle, laquelle, lequel, bof bof.
Accorder le participe passé avec le COD placé avant mais même simplement l’adjectif avec le nom. On dirait que le e du féminin est devenu un sacré embarras. Paradoxes !

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