« Ahed Tamimi est une héroïne, une héroïne palestinienne » (Haaretz)

Mardi dernier, les Forces de défense d’Israël ont abattu Hamed al-Masri, 15 ans, d’une balle dans la tête, blessant grièvement l’adolescent de Salfit qui, par ailleurs, ne portait pas d’arme. Vendredi, les militaires ont fait de même avec Mohammed Tamimi, de Nabi Saleh, sans arme lui aussi, le blessant tout aussi grièvement à la tête. Vendredi encore, les militaires ont tué – toujours d’une balle dans la tête – Ibrahim Abu Thuraya, amputé des deux jambes. Et, le même jour, Ahed Tamimi était dans la cour de sa maison avec une amie et a giflé un homme des FDI qui avait fait irruption chez elle.

Du coup, Israël est sorti de sa colère vasouilleuse : Mais comment ose-t-elle ? Les trois victimes de cette fusillade barbare n’intéressent pas les Israéliens et les médias ne prennent même pas la peine d’en parler. Mais la gifle – et le coup de pied – d’Ahed Tamimi ont déclenché une colère furieuse. Comment peut-on oser gifler un soldat des FDI ? Un soldat dont les amis giflent, tabassent, kidnappent et – bien sûr – abattent presque quotidiennement des Palestiniens ?

Vraiment, elle a tous les toupets, la Tamimi. Elle a violé les règles. Gifler n’est permis que de la part des soldats. C’est elle, la véritable provocation, et non pas le soldat qui a fait irruption dans sa maison. Elle, qui a eu trois proches parents tués par l’occupation, elle dont les parents ont été arrêtés d’innombrables fois et dont le père a été condamné à quatre mois de prison pour avoir participé à une manifestation à l’entrée d’une épicerie – et c’est elle qui a osé résister à un soldat ! Voilà le culot des Palestiniens. Tamimi était censée tomber amoureuse du soldat qui avait forcé la porte de sa maison et, ingrate qu’elle a été, elle l’a récompensé d’une gifle. Tout cela, à cause de « l’incitation à la violence ». Sans quoi, elle n’aurait certainement pas manifesté cette haine à l’égard de son conquérant.

Mais cette pulsion de revanche à l’égard de Tamimi a d’autres sources (Le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett a déclaré : « Elle devrait finir ses jours en prison. »). La fille de Nabi Saleh a fait éclater plusieurs mythes chers aux Israéliens. Le pire de tout, elle a osé détériorer le mythe israélien de la masculinité. Brusquement, il se fait que le soldat héroïque, qui veille sur nous jour et nuit avec audace et courage, se fait vilainement contrer par une fille aux mains nues. Que va-t-il advenir de notre machisme, si Hamimi le met en pièces si facilement, et de notre testostérone ?

Tout d’un coup, les Israéliens ont vu l’ennemi cruel et dangereux auquel ils sont confrontés : une gamine bouclée de 16 ans. Toute la diabolisation et la déshumanisation des médias flagorneurs ont volé en éclats d’un seul coup en étant brusquement confrontées à une gamine vêtue d’un sweater bleu.

Les Israéliens ont perdu la tête. Ce n’est pas ce qu’on leur a raconté. Ils sont habitués à entendre parler de terroristes et de terrorisme et de comportement criminel. Il est difficile d’accuser Ahed Tamimi de tout cela ; elle n’avait même pas de ciseaux en main. Où est la cruauté des Palestiniens ? Où est le danger ? Où est le mal ? On en perdrait la tête. Brusquement, toutes les cartes ont été rebattues : Pendant un rare instant, l’ennemi avait l’air si humain. Bien sûr, on peut compter sur la machine israélienne de propagande et de lavage de cerveau, si efficace, pour assassiner sans attendre le personnage de Tamimi. Elle aussi se verra coller l’étiquette de terroriste née pour tuer ; on dira alors qu’elle n’avait pas de motifs justifiables et qu’il n’y a pas de contexte pour expliquer son comportement.

Ahed Tamimi est une héroïne, une héroïne palestinienne. Elle est parvenue à rendre dingues les Israéliens. Que diront les correspondants militaires, les incitateurs de droite et les experts de la sécurité ? Quelle est l’efficience de 8200, Oketz, Duvdevan, Kfir et toutes ces autres unités spéciales si, à la fin de la journée, les FDI sont confrontées à une population civile désemparée, fatiguée de l’occupation et incarnée par une jeune fille portant un keffieh sur l’épaule ?

Si seulement il y en avait bien davantage comme elle ! Peut-être des filles comme elle seraient-elles en mesure de secouer les Israéliens. Peut-être l’intifada des gifles réussira-t-elle là où toutes les autres méthodes de résistance, violente ou non violente, ont échoué.

Dans l’intervalle, Israël a réagi de la seule façon qu’il connaît : un enlèvement nocturne de son domicile et son arrestation ainsi que celle de sa mère. Mais, dans le fond de son cœur, tout Israélien décent sait sans doute non seulement qui a raison ou qui n’a pas raison, mais aussi qui est fort et qui est faible. Le soldat armé de pied en cap qui fait irruption dans une maison qui ne lui appartient pas, ou la gamine sans armes qui défend sa maison et son honneur perdu à mains nues, par une gifle ?

Gideon Levy

Publié le 20/12/2017 sur Haaretz sous le titre : A Girl’s Chutzpah : Three Reasons a Palestinian Teenage Girl Is Driving Israel Insane.

Gideon Levy, “le journaliste le plus haï d’Israël”, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

Traduction : Jean-Marie Flémal

 http://www.pourlapalestine.be/gideon-levy-ahed-tamimi-est-une-heroine-une-heroine-palestinienne/

COMMENTAIRES  

04/01/2018 11:37 par echoes

Palestinian lives matters, ce que semble afficher ce visage et cette détermination à revendiquer la reconnaissance de droits élémentaires.
Pour le reste et le quotidien ces existences ne comptent guère plus que celles des populations relégués dans les ghettos ou qu’ils se trouvent.
Les processus de colonisation répondent tous au même processus, la nécessité pour les démunis de quitter une existence misérable ou menacée, un contexte sans issues, la recherche ou l’illusion d’une contrée fertile associées à la voracité des puissants et la férocité des conquérants sans scrupules.
La création d’Israel * répond à la persistance d’une menace latente pesant sur les membres de la communauté, à la confession affirmée et affichée et aux indifférents, sur ce point l’histoire ne semble disposée à aucune concession.

* indépendamment manoeuvres anglo-us et occidentales, du noyau ultra nationaliste qui ont présidé à l’établissement de cet Etat.

Pour autant, la condition réservée aux populations locales revêt toutes les apparences des pratiques du colonialisme (assujettissement, spoliation, massacres ..) tel qu’il a été pratiqué par les puissances européennes, sans que cela ne soit dans les faits une exclusivité propre à l’occident.

Attribuer aux indigènes, en raison de leurs origines, culture, filiations, apparence physique, patronymes des caractères héréditaires relève du racisme, le plus primitif et brutal,
c’est de cela dont il s’agit.

De nombreuses consciences s’élèvent en Israel, leurs voix sont étouffées par la répression d’un état voué aux affres du nationalisme et la complicité des nations européennes et USA.

Le danger pour l’Etat Hébreux, à long terme, tient dans cet enfermement ultra nationaliste teinté de xénophobie,
le cas Ahed Tamimi renverse les codes et offre à la communauté internationale la possibilité, du moins en surface, d’amender la politique israélienne en vue de la rendre plus acceptable par l’opinion publique.

Là se trouverait une justification parmi d’autres, de l’écho donné par la presse et les média, d’ordinaires plus discrets ou ouvertement orientés, à cette affaire après qu’elle eut été révélée par le web et des sites d’information indépendants.

04/01/2018 18:29 par bostephbesac

La photo a t’ elle été prise en France, SVP ?

04/01/2018 18:58 par legrandsoir

Angleterre.

04/01/2018 19:01 par bostephbesac

Merci . Dommage (comme par hasard) que se ne soit pas en France, j’ ai eu "un rêve".

04/01/2018 22:50 par Dominique

On peut compléter cet article avec celui-ci : Why is the West praising Malala, but ignoring Ahed ?

Il y a eu un manque curieux de support d’Ahed de la part des groupes féministes occidentaux, des avocats des droits humains et des officiels qui dans d’autres circonstances se présentent comme les pourvoyeurs des droits humains et les champions de la cause féminine.
...
Relativement, des filles comme Ahed qui critiquent le colonialisme de peuplement et articulent des visions de protection communale ne représentent pas le féminisme de conquête que l’occident veut valoriser. Elle cherche la justice contre l’oppression plutôt qu’un pouvoir qui ne bénéficie qu’à elle seule.

Son féminisme est politique, plutôt que centré sur les commodités et le sexe. Le pouvoir de cette fille menace de révéler la face hideuse du colonialisme de peuplement, et il est de ce fait marqué somme "dangereux". Son courage et son absence de peur visible montre de façon explicite toute la fausseté de cette occupation.

Le geste d’Ahed doit nous interpeller sur notre humanitarisme sélectif. Les individus qui sont les victimes de la violence d’état, ces activistes qui exposent l’aspect vicieux du pouvoir, ces avocats des centres de soins communaux, méritent d’être inclus dans notre vision de la justice.

Même si nous ne lançons pas de campagne pour Ahed, il nous est impossible d’échapper à son appel à témoigner le la débilitation de masse, au déplacement et à la dépossession que subit son peuple. Comme le disait Nelson Mandela, "Nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la libération des palestiniens."

J’ai trouvé un autre article, d’une féministe iranienne, qui elle aussi interpelle la gauche sur ses alliances avec des rétrogrades : Maryam Namazie : « Il y a un tsunami d’athéisme dans le "monde musulman" ».

05/01/2018 00:49 par Dominique

Il y a aussi celui-là : La lettre poignante du père de Ahed Al Tamimi : ’’ma fille, ce sont des larmes de lutte’’

La vidéo sur l’article est aussi très bien.

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