12 mai 2006
La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) des Nations Unies vient de publier un rapport alarmant sur l’état de dénutrition des enfants latino-américains. Près de 8,8 millions de jeunes âgés de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique, ce qui représente 16% de la population de cette tranche d’âge. Au Guatemala, 46% des enfants de moins de cinq ans sont touchés par la malnutrition, 29 % au Honduras, 27% en Equateur, 26% en Bolivie et 25% au Pérou. Alors que la production de produits alimentaires est trois fois supérieure aux exigences énergétiques de la population, près de 53 millions de personnes n’ont pas accès au minimum vital quotidien. L’organisme onusien a lancé un appel aux pays de la région pour qu’ils mettent en place des politiques intégrales d’Etat pour lutter contre ce fléau [1].
La politique exigée par la CEPAL s’apparente à celle élaborée par le gouvernement de Hugo Chávez depuis son élection en 1998. Le Venezuela figure parmi les trois meilleurs élèves de l’Amérique latine avec un taux de malnutrition infantile de 4,4%, derrière Cuba (4,1%) et le Chili (0,8%), d’après les Nations unies. Disposant d’une manne financière importante générée par la production pétrolière du pays, le président vénézuelien a déclenché une véritable révolution sociale qui a remarquablement amélioré le niveau de vie de la population. Profitant de la croissance économique la plus élevée d’Amérique latine avec 17,9% en 2004 et 9,4% en 2005, M. Chávez a créé le Fonden, un fonds spécial destiné à financer les programmes sociaux, auquel l’entreprise pétrolière d’Etat PDVSA contribue à plus de 5 milliards de dollars par an. En 2004, plus de 13 milliards de dollars ont été exclusivement destinés aux programmes sociaux [2].
Son engagement contre la pauvreté est né du constat effarant qu’il avait effectué le 2 février 1999 lors de son investiture à la présidence :
« Il y a un taux de chômage qui atteint les 20%. Un sous-emploi qui atteint 50% de la force économiquement active, presque un million d’enfants en état de survie, des enfants comme ma fille Rosinés, d’un an et quatre mois, en état de survie. Vingt-sept, presque vingt-huit pour mille, voilà le taux de mortalité infantile du Venezuela, un des plus élevés du continent. L’incidence de la dénutrition sur la mortalité infantile atteint 15% des enfants qui meurent et la cause de la mort est la dénutrition. Nous ne pouvons pas attendre [l’assemblée] Constituante pour cela [...].
Il est insupportable de savoir que seul un enfant sur cinq va à l’école maternelle, seul un sur cinq termine l’école élémentaire, cela est insupportable car il s’agit du futur du pays [...].
45% des jeunes adolescents sont déscolarisés, et survivent ici et là et beaucoup d’entre eux se livrent à la délinquance pour survivre, parce que l’homme n’est pas mauvais par nature, nous sommes des enfants de Dieu, nous ne sommes pas des enfants du diable [3] ».
A l’époque, 77% de la population vénézuelienne vivait dans la pauvreté, alors qu’elle résidait dans le pays le plus riche d’Amérique latine en terme de ressources naturelles, et qui était habité seulement par 26 millions d’habitants [4].
Pour éliminer les problèmes de malnutrition, le gouvernement a créé en septembre 2004 des magasins alimentaires, dénommés Mercal et dont les articles sont subventionnés par l’Etat à hauteur de 30%. Près de 14 000 points de vente ont été installés à travers le pays, même dans les coins les plus reculés. La moitié de la population, soit plus de 13 millions de personnes, fait ses courses dans ces magasins, qui vendent 6 000 tonnes de nourriture par jour et 250 produits alimentaires de base [5].
La Mission Mercal, qui fête actuellement son troisième anniversaire, a vu le jour suite au sabotage pétrolier et la grève organisés par le secteur patronal et oligarque en 2002, destinés à renverser le président Chávez. Les réseaux de distribution alimentaire avaient été complètement paralysés par l’opposition, générant de sévères pénuries qui ont affecté les souches les plus vulnérables de la population. Certains patrons de magasins avaient même préféré se débarrasser de produits essentiels à la durée de vie limitée tel que le lait plutôt que de les vendre aux nécessiteux. Après la résolution de ce conflit, le gouvernement avait décidé de créer le Ministère de l’Alimentation et le réseau Mercal avec l’aide technique de Cuba [6].
Au niveau de l’éducation, près de 1,5 millions de Vénézueliens ont appris à lire grâce à la campagne d’alphabétisation, nommée Mission Robinson I. En décembre 2005, l’UNESCO a décrété que l’illettrisme avait été éradiqué au Venezuela. La Mission Robinson II a été lancée afin d’amener l’ensemble de la population à atteindre le niveau du collège. A cela s’ajoutent les Missions Ribas et Sucre qui ont permis à plusieurs dizaines de milliers de jeunes adultes d’entreprendre des études universitaires. M. Chávez a souligné la nécessité de « garantir à tous les Vénézuéliens [...] une éducation supérieure de qualité ». Près de 10 000 d’entre eux suivent une carrière de médecine à Cuba. En 2006, 20 nouvelles universités ont été inaugurées à travers le pays, et 60 autres sont prévues d’ici la fin de l’année [7].
Au niveau de la santé, le Système national public de santé a été créé afin de garantir l’accès gratuit aux soins à tous les Vénézueliens. La Mission Barrio Adentro, lancée il y a trois ans, a eu des résultats exceptionnels. Près de 17 millions de personnes ont ainsi pu être soignées par les structures médicales nouvellement construites, alors qu’auparavant moins de 3 millions de personnes avaient un accès régulier aux soins. Près de 175 millions de consultations ont été réalisées depuis 2003. Le taux de mortalité infantile a été réduit à moins de 10 pour mille. Le Venezuela dispose désormais de plus de 150 centres de diagnostic intégraux et un total de 600 devrait être atteint en 2006. En mars 2006, le gouvernement a inauguré 180 centres de santé dans tout le pays qui viennent s’ajouter aux plus de 1 000 cabinets médicaux déjà existants. Pour ce secteur, le secours des 26 000 médecins cubains et autres personnels de santé, qui travaillent dans les zones paupérisées, a été prépondérant [8] .
Au niveau du logement, les autorités ont entrepris une politique de grands travaux avec la construction massive de nouveaux habitats destinés aux couches populaires. L’objectif, annoncé par le président Chávez, est de construire 150 000 logements pour l’année 2006, afin de résoudre le problème de pénurie d’habitation. L’ambitieux programme est déjà en marche. En effet, au premier trimestre 2006, 15 921 maisons et appartements ont été vendus, à des prix subventionnés, à la population déshéritée [9].
Les nouveaux logements s’inscrivent dans un plan d’urbanisme développé avec des services de transports, des aires communes, des commerces et des écoles. A Pueblo Nuevo, 7 000 logements sont en construction, ainsi qu’une école, un lycée et un complexe sportif. Le Ministre du logement et de l’habitat, M. Luis Carlos Figueroa, a souligné que 12 appartements de 57 m² à 72m² s’y construisaient chaque jour. « C’est un thème de haute priorité pour l’Etat vénézuelien », a-t-il affirmé [10].
Le concept d’intégration économique latino-américaine fonctionne à plein régime pour ce projet immobilier. Cuba prévoit en effet de fournir 500 000 tonnes de ciment. Au total, l’Etat a alloué un budget de près de 430 millions d’euros à cette tâche de construction. Le prix moyen par logement s’élève à 21 000 euros et le gouvernement subventionne l’acquisition à hauteur de 9 000 euros pour les couches les plus modestes. Plus de 7 000 familles ont déjà profité cette aide de l’Etat pour devenir propriétaires. Des lois ont également été adoptées pour limiter les taux d’intérêts et éviter les situations d’endettement [11].
Les personnes âgées n’ont pas été en reste. En effet, de 1999 à 2006, l’Institut vénézuelien de sécurité sociale (IVSS) a accordé 462 000 pensions aux retraités dans le besoin. « En sept ans de gouvernance bolivarienne, nous avons multiplié par deux le nombre de retraités établi durant les 40 ans de la IV République. Nous sommes passés de 387 000 à 849 000 retraités avec pension [12] », a noté le président Chávez.
La Mission Madres del Barrio (Mères du quartier) a été créée pour de lutter contre la consommation de drogue, l’absentéisme scolaire, la grossesse précoce et afin de recenser les mères de famille en grande difficulté. Pour cette mission sociale, les femmes jouent un rôle fondamental au niveau préventif et éducatif. Des comités dirigés par les mères de famille ont été établis dans chaque quartier, et intègrent désormais les conseils communaux. Les mères au foyer à faible revenu reçoivent désormais un pécule équivalent à 80% du salaire minimum. Près de 200 000 d’entre elles bénéficient de cette aide gouvernementale ; aide qui peut être temporaire ou permanente selon les cas [13].
La politique sociale du gouvernement Chávez a eu des effets extrêmement positifs sur la criminalité. Le Venezuela est considéré comme étant l’une des nations les plus violentes d’Amérique du Sud. Entre 2004 et 2006, le taux de délinquance a été réduit de plus de 50%, selon le Ministère de l’Intérieur et de la Justice (MIJ). A Caracas, le nombre de délits est passé de 600 au premier trimestre 2004 à 250 de janvier à mars 2006. Le directeur général de la Coordination policière du MIJ, M. Raúl Yépez, a souligné que les efforts au niveau de la sécurité et du travail social avaient grandement contribué à cette baisse significative de la délinquance [14].
L’environnement constitue également une priorité pour le pays. En ce qui concerne l’eau potable, les objectifs du millénaire, prévus pour 2012 par les Nations unies, ont d’ores et déjà été atteints par le Venezuela. Près de la moitié de la population, parmi celle qui n’avait pas accès à l’eau potable en 1998, peut désormais jouir de ce service. Le Conseil des Ministres a alloué une enveloppe de 17 millions d’euros au Ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles pour fournir un réseau en eau potable aux régions encore dans le besoin [15].
Un plan intégral de développement rural et agricole a été mis en place. Plus de 1,5 millions d’hectares de terre non utilisés ont été récupérés pour l’agriculture. Près de 23 millions de tonnes d’aliments vont être produits grâce à ce programme. Dans la région de Apure, près de 99% des terres ne sont pas cultivées et l’Etat a décidé de les destiner à la production. Cette lutte contre le latifundio permettra de produire 80% des calories que consomment les Vénézueliens [16].
La Banque universelle et commerciale a promu une politique de micro-crédits bancaires destinée à stimuler les projets commerciaux privés auprès des couches les plus défavorisées. Le succès de cette initiative a été phénoménal : de mars 2005 à mars 2006, près de 300 millions d’euros ont été prêtés [17].
En parallèle à son ambitieux programme social, le gouvernement n’hésite pas à affronter les problèmes de société, tels que la corruption et la bureaucratie. M. Hugo Chávez a exhorté la population à mettre un terme à ces deux fléaux, en choisissant la voie du socialisme. « En suivant le chemin du capitalisme, il est impossible d’atteindre le monde [rêvé par le] Libérateur Simón Bolivar [...]. Il faut construire un socialisme bolivarien plus frais et plus révolutionnaire », a-t-il souligné [18].
L’engagement social du président Chávez dépasse les frontières et s’étend au reste du continent. Le Venezuela vient de signer un accord pétrolier avec près de 151 mairies du Nicaragua. Une entreprise mixte vénézolano-nicaraguayenne se chargera d’importer et de distribuer du pétrole au Nicaragua afin de mettre fin aux nombreuses pénuries de combustible qui affectent la population pauvre. L’accord prévoit un paiement de 60% du prix du pétrole dans un délai de 10 jours et les 40% restants seront étalés sur une période de 25 ans [19].
Le Venezuela a également signé des accords énergétiques avec le Salvador en vertu de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Cet échange garantit ainsi la suppression des intermédiaires et des spéculateurs dans le commerce du pétrole et permet de stabiliser les livraisons et les prix [20].
L’arrivée au pouvoir de M. René Préval à la présidence d’Haïti va permettre à ce petit pays pauvre d’intégrer le programme Petrocaribe, mis en place par le gouvernement vénézuelien, qui permet de fournir du pétrole aux nations de la région à des tarifs préférentiels. Treize nations des Caraïbes bénéficient actuellement de ce programme. « Petrocaribe est une responsabilité que le Venezuela doit assumer au vu des inégalités entre chaque pays », a annoncé le président Chávez. Haïti ne fait pas encore partie de Petrocaribe car le gouvernement bolivarien n’avait pas reconnu l’autorité provisoire qui avait dirigé la nation depuis le renversement de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide [21].
L’aide énergétique offerte par le Venezuela profite même aux déshérités des Etats-Unis, à la grande ire de l’administration Bush qui voit un ennemi politique apporter son soutien à sa propre population. Le prestige du président Chávez a dépassé les frontières de son pays pour atteindre les secteurs défavorisés des ghettos étasuniens. Un accord entre l’entreprise vénézuelienne Citgo, filiale de PDVSA, et certains Etats de l’Union leur permet d’acquérir le combustible avec une réduction de 40% [22].
M. Alan Francis, un ouvrier métallurgique habitant le Maine, a eu le privilège de bénéficier de l’aide vénézuelienne l’hiver dernier. « C’est comme si c’était Noël. C’est 53 gallons en plus ont été les bienvenus », a-t-il déclaré. Mme Beth Nagusky, qui dirige le programme dans le Maine a souligné le désarroi dans lequel se trouvent certaines personnes et a évoqué l’histoire de deux retraités qui fouillaient les poubelles à la recherche de bois pour se chauffer. « Nous aimerions que d’autres compagnies pétrolières fassent des dons aussi généreux. Washington est en train de nous abandonner et est en train d’abandonner le peuple », a-t-elle ajouté [23].
Quant à Mme Elaine DeRosa qui dirige un centre d’attention infantile pour les pauvres à Cambridge, elle a dénoncé l’agression de son gouvernement envers le président vénézuelien : « Le plus grand crime [de Chávez] est d’être socialiste. Il aide beaucoup de gens à faibles revenus dont le gouvernement étasunien ne s’occupe pas. C’est cela qui devrait nous couvrir de honte ». Au total, près de 200 000 foyers, soit près de 700 000 personnes, des milliers d’institutions, ainsi que les communautés indigènes ont bénéficié du programme qui prévoit la remise de 40 millions de gallons [24] .
La représentante de la tribu indienne Maliseets du Maine, Mme Brenda Commander, a tenu à se rendre personnellement au Venezuela afin de remercier le président Chávez pour son programme. Elle a également rappelé les dures conditions de vie de son peuple, ainsi que les rigueurs de l’hiver dans sa région. Les communautés du Massachusetts, de New Cork, de Rhode Island, de Pennsylvanie, du Vermont, de Delaware, du Connecticut et du Maine ont bénéficié de l’aide humanitaire accordée par le Venezuela [25].
En guise de récompense pour ses efforts humanitaires, le gouvernement vénézuelien a reçu le Prix international White Dove, décerné par le Comité de Rochester pour l’Amérique latine. M. John Lock, membre du Comité a félicité M. Chávez : « Le président a su résister aux pressions de l’extrême droite vénézuelienne, en plus des pressions externes émises par l’administration Bush et ses alliés [26] ».
En effet, le président du Comité du commerce et de l’énergie de la Chambre des représentants des Etats-Unis, M. Joe Barton, avait dénoncé le programme pétrolier comme faisant partie d’une « politique étrangère de plus en plus hostile et belliqueuse envers les Etats-Unis de la part d’un gouvernement peu amical [27] ».
Enfin, le Venezuela a emboîté le pas à Cuba et collabore désormais pleinement à la Mission Miracle. Ce projet consiste à opérer gratuitement tous les Latino-américains pauvres atteints de maladies oculaires, et à promouvoir une intégration continentale qui dépasse le simple aspect économique pour impliquer, entre autres, le domaine de la santé. En 2005, Cuba avait opéré près de 250 000 personnes ayant perdu la vue dont 176 000 Vénézueliens. Ce programme de santé concerne l’Equateur, le Pérou, la République dominicaine, la Bolivie, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, la Colombie, le Salvador, le Nicaragua le Guatemala, et s’est appliqué au Mexique pour la première fois [28].
Le secrétaire à la santé du Mexique, M. Julio Frenk, a bien affirmé que son pays n’avait pas besoin d’un tel programme : « Le Mexique est plus qu’autosuffisant pour couvrir toute la demande de chirurgie de cataracte ». Mais il a immédiatement démenti par les autorités de Carrillo Puerto qui ont été les premières à bénéficier du programme cubano-vénézuelien. Par exemple, Mme Pastora Chable Kan, une indigène âgée de 50 ans, n’a pas pu réunir la somme de 14 000 pesos (1 000€) nécessaires pour retrouver la vue et elle a accueilli avec bénédiction les soins ophtalmologiques offerts par le gouvernement vénézuelien. L’objectif de Cuba et du Venezuela est d’opérer 6 millions de personnes en 10 ans, trois millions à Caracas et trois millions à La Havane [29] .
La révolution sociale du président Chávez est sans précédents en Amérique latine, et ses résultats sont aussi impressionnants qu’inattendus. Le Venezuela est la preuve même qu’un gouvernement peut rapidement contribuer à une réduction drastique de la pauvreté et à améliorer sensiblement le bien-être de sa population, à condition à la fois de disposer de la volonté politique nécessaire et de destiner une partie des richesses nationales aux plus démunis.
Salim Lamrani
Salim Lamrani, chercheur français à l’université Denis-Diderot (Paris VII), spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il vient de publier : Washington contre Cuba : un demi-siècle de terrorisme et l’affaire des Cinq, Le Temps des Cerises éditeur.
Les USA encaissent un nouveau coup : La Bolivie, Le Venezuela et Cuba signent le Traité de Commerce des Peuples.
La menace étasunienne plane sur le Venezuela, par Salim Lamrani.
Venezuela - Voisinage dangereux, par Noam Chomsky.
L’ALBA : une alternative réelle pour l’Amérique latine, par Marcelo Colussi.
L’aube vénézuélienne : ALBA contre ALCA, par Anne Cauwel.
Liliane Blaser, une histoire bolivarienne, par Benito Perez.
Venezuela - réforme agraire : La terre pour le peuple, pas pour le profit, par Gregory Wilpert.
Démocratie et contrôle des changes : L’exemple vénézuélien, par Benoît Borrits.