Cher Théophraste R., je vous lis toujours avec une certaine délectation, mais aujourd’hui je ne suis pas d’accord du tout avec le fond de votre article. Aussi, je me permets ces quelques remarques. Elles sont sans ménagement parce que je vous aime bien. J’espère que vous aurez à cœur de ne pas mal les prendre et de réfléchir avec moi aux implications que je suggère ci-après.
En dépit de la mauvaise foi manifeste de ce papier* un point intéressant est abordé, mais, hélas, pas approfondi.
Je résume : « Si [l’on n’autorise plus l’alcool aux conducteurs], je renonce aux soirées chez des amis, chez ma parentèle, au restaurant. Je me fais ermite asocial. »
Au-delà d’une question de transport, c’est donc dire que la vie sociale serait tributaire de cette coutume** qu’est la consommation d’alcool. Et si c’est vrai en grande partie, même si je le déplore.
Et c’est dramatique, car qu’est-ce que ça implique ? Que nous sommes trop lâches (on dit inhibés) pour affronter les autres de façon naturelle, ne serait-ce qu’au cours d’une « soirée » ? Que nous sommes trop égoïstes ou hypocrites pour partager une réelle complicité sans recours à un adjuvant*** ? Que sans les effets psychotropiques de l’alcool et d’autres substances « les amis, la parentèle et les restaurants » garderaient trop l’aspect grisâtre et terne de ce qu’ils sont réellement la plupart du temps : des quidams médisants regroupé par intérêt personnel, des familiers envahissants et sans retenue et des escrocs marchands de soupe et prétentieux ? Vous oubliez les soirées braillardes au stade et les concours et paris divers dans les casernes comme sur les chantiers et dans les boites de nuit. Et le pire, c’est que c’est ça « la vie sociale ».
* Postulat de mauvaise foi n° 1 : « Si on ne boit pas d’alcool, alors on boit du soda (américain de préférence). » Il semble pourtant que les physiologistes soient assez d’accord pour établir que la boisson vitale, nécessaire et suffisante des humains soit l’eau (et que la consommation de sucre soit néfaste aussi) ; quant à la la pub, elle propose autant si ce n’est plus d’« œnologie » et d’alcools divers habillés en « produits du terroir » que de sodas aux cerveaux disponibles (et apparemment disposés). Postulat n° 2 : « interdire la fabrication et la vente des matelas, parce que 99% environ des Français meurent dans un lit ». Comparaison grotesque vous le savez bien, car ils ne meurent pas à cause du lit ou du matelas (où beaucoup meurent d’une cirrhose).
À ce compte-là, la proportion de morts suspectes dans les commissariats par rapport à l’ensemble des décès dans un pays ne justifierait pas qu’on s’en émeuve. Seriez-vous d’accord avec ça ?
** On oublie souvent que c’est aussi pour éviter les maladies transmises par l’eau des puits au cours de toute notre histoire qu’on a favorisé la consommation du vin, et pas seulement parce qu’il était bon (ce qui n’était pas toujours le cas). On oublie aussi qu’à l’origine on s’en servait pour couper l’eau. Peut-être que nos descendants boiront le pastis pur dans de gros verres en s’esclaffant et en pestant contre ceux qui le leur déconseilleront.
*** Faut-il nécessairement être un « addict » (mot anglo-saxon, peut-être un indice) pour faire quelque chose de valable ? L’imagination, la créativité sont-elles toujours si défaillantes qu’il leur faille des palliatifs ? C’est une vraie question de société. L’addiction n’est pas seulement physiologique, elle est aussi gestuelle, comportementale, rituelle.
Avec mon amitié cordiale,
L .A. (ni hydropathe, ni hydrophile)