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Yémen – Il a fallu 200 000 morts et le scandale Khashoggi pour que les États-Unis appellent enfin à des négociations

Isa Blumi écrit :

La guerre contre le Yémen aujourd’hui est un exemple brutal de la façon dont l’expansion des intérêts capitalistes mondiaux détruit les nations.

Cela prend d’abord la forme du néolibéralisme (souvent innocemment qualifié de mondialisation) et ensuite, au moment où commence l’inévitable effondrement structurel du pays ciblé (avec son inévitable résistance populaire qui mine l’ordre politique), on passe à une forme plus directe de violence.

La guerre contre le Yémen a pris la forme la plus violente qui soit. Le pays est totalement assiégé dans l’intention évidente de provoquer une famine qui tuera la population résistante.

Les pays attaquants, les États-Unis, l’Arabie saoudite, la Grande-Bretagne et les Émirats arabes unis, avaient prévu de s’emparer des ressources du Yémen mais leur guerre d’agression piétine. Ils font maintenant les premiers pas pour y mettre fin. le coût de cette guerre, en termes financiers comme d’image, augmente constamment et Ils ont finalement avoué qu’ils étaient dans une impasse.

Ce n’est pas un hasard si ce revirement intervient après la récente crise autour de Khashoggi et du prince clown Mohammad bin Salman. C’est ce meurtre qui a attiré l’attention sur son rôle de premier plan dans la guerre génocidaire contre le Yémen.

Un grand reportage récent du New York Times a attiré l’attention sur la famine provoquée par la guerre. Il contient des images horribles de petits enfants affamés. Dans un nouvel épisode ridicule de censure, Facebook a supprimé les extraits de l’article qui comprenaient des photos parce qu’elles montraient des enfants ’nus’ agonisants, qui n’avaient plus que la peau sur les os. Le propriétaire de Facebook, Mark Zuckerberg, voulait peut-être rendre service à son pote Mohammad bin Salman, mais cela n’a fait qu’augmenter la couverture médiatique de la guerre.

Des articles sur le nombre réel de victimes de la guerre contre le Yémen sortent. Il y a un an, Moon of Alabama a exprimé des critiques sur le chiffre de ’10 000 morts’ que les médias continuent d’avancer comme chiffre officiel des victimes de la guerre :

Jusqu’en juillet 2017, la coalition américano-saoudienne a effectué plus de 90 000 raids aériens sur le Yémen. La plupart d’entre eux se sont accompagnés de bombardements. Faut-il croire que seulement 10 000 civils ont été tués par toutes ces bombes sans compter l’artillerie, les tireurs d’élite et les attentats suicides ? Cela serait incompatible avec les opérations de masse rapportées par les médias occidentaux eux-mêmes pendant la guerre. Le chiffre de 100 000 civils morts est bien plus vraisemblable aujourd’hui que le chiffre immuable de 10 000 civils.

Depuis que nous avons écrit cela, le nombre de morts civils a augmenté du fait de la poursuite des combats, mais encore bien davantage à cause de la grande famine.

L’Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED), un groupe qui était auparavant associé à l’Université du Sussex, estime que, depuis le début de la guerre saoudienne, en mars 2015, 70 000 à 80 000 personnes ont été tuées au combat. Cette estimation est prudente et se fonde sur des décès documentés à la suite de combats. L’ONG Save the Children a estimé fin 2017 que, cette année-là, 50 000 enfants sont morts de faim et/ou emportés par une épidémie de choléra dévastatrice.

La famine n’a fait qu’augmenter depuis lors. D’ici la fin de l’année, 50 000 autres enfants seront morts. Le nombre total de morts causés par la guerre et le blocus depuis mars 2015 a donc probablement dépassé la barre des 200 000.

Les organismes d’aide humanitaire tentent d’apporter plus de nourriture dans le pays. Mais la poursuite des attaques pour s’emparer de Hodeidah, le seul port de la zone contrôlée par les Houthis, rend l’approvisionnement de plus en plus difficile. Même si la nourriture arrive au port, il n’y a plus de système gratuit de distribution d’aide humanitaire dans le pays. L’ONU et d’autres organisations sont obligées de s’en remettre à des commerçants pour la distribuer. Ces commerçants en prennent une part pour couvrir les risques de transport sous les incessants bombardements saoudiens.

Ni le gouvernement en exil sous contrôle saoudien ni les Houthis n’ont payé les fonctionnaires. L’inflation élevée, due au fait que les Saoudiens ont pris le contrôle de la banque centrale du Yémen, a plongé les gens dans la pauvreté la plus totale. Les gens meurent de faim même quand il y a de la nourriture sur les marchés parce qu’ils n’ont tout simplement pas d’argent pour la payer. C’est la raison pour laquelle, comme on le voit sur la carte ci-dessus, la famine s’étend bien au-delà de l’enclave contrôlée par les Houthis dans le nord-ouest du Yémen.

La guerre a causé non seulement un nombre énorme de morts et la famine, mais aussi d’immenses destructions :

Les bombardements des Émirats arabes unis et d’Arabie saoudite ont détruit au moins 421 911 maisons, 930 mosquées, 888 écoles, 327 hôpitaux et établissements de santé et 38 organisations de médias, tout en mettant un terme au fonctionnement de 4 500 écoles et en obligeant plus de 4 millions de personnes à à fuir.

De plus, de nombreux ponts ont été bombardés, des routes et des puits détruits et des usines désaffectées.

Les destructions et les morts n’ont pas été mentionnés ou ont été minimisées dans les médias ’occidentaux’ à cause du lobbying saoudien pour améliorer l’image de son prince-clown Mohammad bin Salman. Les Saoudiens ont bel et bien soudoyé les Nations-Unies pour minimiser les horreurs qu’ils causent :

L’Arabie saoudite a exigé que les agences d’aide humanitaire opérant au Yémen présentent sous un jour favorable le rôle de Riyad, qui a fourni 930 millions de dollars US d’aide humanitaire, révèle un document interne des Nations-Unies.

...

Les futures subventions accordées par Ocha [l’agence d’aide humanitaire de l’ONU] aux agences devront dépendre de la quantité de bonne publicité qu’elles feront à l’Arabie saoudite, selon les documents. Et Ocha devra aussi essayer d’obtenir de journaux comme le New York Times et le Guardian qu’ils fassent de la publicité à l’effort humanitaire saoudien au Yémen.

Les Saoudiens dépensent environ 200 millions de dollars par jour dans leur guerre contre le Yémen. La somme qu’ils ont promise cette année à l’ONU pour l’aide humanitaire au Yémen correspond à moins de 5 jours de dépenses militaires.

L’assassinat à Istanbul de Jamal Khashoggi sur ordre de Mohammad bin Salman a changé la donne. Tout à coup, ça devient la mode de parler des crimes et du lobbying de l’Arabie saoudite. Il y a des pressions publiques et politiques sur les gouvernements de Washington et de Londres pour qu’ils mettent fin à la guerre.

L’administration de Trump fait de tout petits premiers pas pour mettre fin à la guerre. Hier, le ministre de la défense Mattis a appelé à un cessez-le-feu au Yémen :

’La solution à plus long terme - et par plus long terme, je veux dire dans 30 jours - nous voulons voir tout le monde autour d’une table pour parler d’une paix fondée sur un cessez-le-feu, sur un retrait de la frontière, puis sur l’arrêt des bombardements qui permettront à [l’envoyé spécial Martin Griffiths] de les réunir en Suède et de mettre fin à cette guerre’, a déclaré M. Mattis.

Le secrétaire d’État Pompeo afait une déclaration similaire (c’est nous qui soulignons) :

Le moment est venu de mettre fin aux hostilités, notamment aux frappes de missiles et de drones depuis les zones contrôlées par les Houthis vers le Royaume d’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Ensuite, les frappes aériennes de la Coalition doivent cesser dans toutes les zones peuplées du Yémen.

Des consultations extensives sous l’égide de l’Envoyé spécial des Nations Unies doivent commencer en novembre prochain dans un pays tiers afin de mettre en œuvre des mesures pour construire la confiance et aborder les problèmes de fond du conflit, la démilitarisation des frontières et la concentration de toutes les armes importantes sous observation internationale.

La succession des événements proposée ci-dessus ne fonctionnera bien sûr pas. Les Houthis et leurs alliés n’arrêteront pas leurs opérations avant que les Saoudiens ne mettent fin à leurs bombardements. Un cessez-le-feu simultané des deux parties est la seule possibilité. Les Houthis n’accepteront pas non plus de placer leurs missiles sous observation internationale.

La déclaration américaine néglige l’aspect économique de la famine. Tout en se félicitant du plan, l’envoyé de l’ONU Martin Griffiths a souligné que la question de la banques centrale était l’un des problèmes à l’origine de la famine :

’J’exhorte toutes les parties concernées à saisir cette occasion de se joindre de manière constructive aux efforts que nous déployons actuellement pour reprendre rapidement les consultations politiques afin de convenir d’un cadre de négociations politiques et de mesures pour rétablir la confiance, en particulier le renforcement des capacités de la Banque centrale du Yémen, l’échange de prisonniers et la réouverture de l’aéroport de Sanaa, a-t-il dit dans un communiqué.

Le plan américain ne peut pas marcher, mais il n’en demeure pas moins un notable changement de tactique et un point de départ.

Il est intéressant de noter que la déclaration du département d’État reconnaît les frappes des Houthis contre les Émirats arabes unis. Bien que plusieurs frappes de ce type aient été revendiquées, ni les Émirats arabes unis ni les États-Unis ne les avaient confirmées jusqu’à présent. Des Instructions aux aviateurs (NOTAM) publiées par les Émirats arabes unis il y a deux semaines faisaient allusion à de telles frappes (voir A1987/18 NOTAMN), mais cela n’avait guère été remarqué. La capacité des Houthis à frapper à une distance d’environ 1 500 km est une des bonnes raisons qu’ont les Saoudiens et les Émirats arabes unis d’accepter un cessez-le-feu et des négociations.

La guerre saoudienne contre le Yémen a échoué. Récemment, la troisième attaque des forces soutenues par les Émirats arabes unis sur le port de Hodeidah a été repoussée. Les lignes de front sont jonchées de véhicules militaires brûlés. Pendant ce temps, les attaques des Houthis en Arabie Saoudite se poursuivent. Les Houthis continuent également à améliorer leurs capacités. Il y a quelques jours, ils ont dévoilé un nouveau missile d’une portée de 150 kilomètres et d’une précision impressionnante de 3 mètres. Ils ont démontré sa précision dans une vidéo qui montrait une frappe sur une maison désaffectée et une autre sur un camp de mercenaires soudanais au sud de Hodeidah.

Même si les négociations commencent le mois prochain, la guerre contre le Yémen ne se terminera pas de sitôt. Le nombre de morts augmentera tout au long de l’hiver. Malgré ce qu’il lui en coûte, le peuple yéménite continuera à se battre jusqu’à ce que la dernière force étrangère quitte son pays.

Comme l’écrit Isa Blumi dans son essai :

Depuis plus d’un siècle, les Yéménites résistent à une machine capitaliste mondiale qui menace aujourd’hui de tomber en panne. Ironiquement, c’est le Yémen qui a appris aux élites ottomanes les limites du gouvernement moderne.

Les dirigeants qui ont deux sous de jugeote, pourraient aussi réfléchir aux leçons qu’ils peuvent tirer du Yémen et éviter la catastrophe imminente qui attend ceux qui sont trop étroitement liés à un ordre capitaliste occidental, en pleine débâcle, embourbé dans la destruction de l’Arabie du Sud.

Moon of Alabama

Traduction : Dominique Muselet

»» https://www.moonofalabama.org/2018/...
URL de cet article 34028
   
Philippe Bordas. Forcenés. Paris, Fayard 2008.
Bernard GENSANE
Ce très beau livre, qui montre à quel point le cyclisme relève du génie populaire et comment il a pu devenir une « province naturelle de la littérature française », me donne l’occasion d’évoquer des ouvrages qui m’ont, ces dernières années, aidé à réfléchir sur la pratique du vélo, sur le cyclisme professionnel et la place du sport dans notre société. Ce n’est pas l’argent qui pourrit le sport (l’argent, en soi, n’est rien), c’est le sport qui pourrit l’argent. La première étape du premier (…)
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"Je ne sais pas."

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