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Voile islamique, quand les médias en parlent

En 1989 ainsi qu’en 1994, la France avait connu un séisme politico-médiatique en lien avec le foulard islamique. Respectivement, l’exclusion des collégiennes de Creil en 1989 a déclenché le processus tandis qu’en 1994, c’est la circulaire de Bayrou qui a mis le feu aux poudres. Aucune des deux affaires médiatisées et traitées par l’appareil politique n’a abouti à une loi prohibitionniste. Le Conseil d’État a, par ailleurs, statué sur les insignes religieux dans l’espace public en optant pour le cas par cas. L’affaire du voile de 2003 aboutira à une réglementation. Alohanews lève le voile sur la médiatisation de l’événement.

Le point de départ de la médiatisation du voile islamique de 2003 remonte au discours de Nicolas Sarkozy au 20e congrès de l’UOIF, la plus importante fédération musulmane de France. A noter qu’en 2003, le port du foulard islamique n’est pas sujet à des frictions sociales. Selon la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme), aucun cas lié au port de signes religieux n’a été médiatisé. En février 2003, un sujet a été consacré à une élève portant un bandana au lycée La Martinière-Duchère contesté par des enseignants. Lerectorat n’a pas tenu compte de la demande des professeurs et opta pour la réintégration de la lycéenne.

Le 19 avril 2003 au Bourget, le ministre de l’Intérieur affirme la nécessité des musulmans de France à participer au fonctionnement de la République et se félicite de la création du Conseil représentatif des musulmans de France. Bien qu’aucun cas conflictuel n’ait été répertorié en lien avec les photos d’identité, le ministre embraie sur la réglementation de celles-ci et rappelle l’interdiction du port du voile sur les documents officiels. Dans la foulée, une partie de la salle proteste sous le regard attentif des journalistes venus en nombre à l’évènement. L’accrochage est de suite médiatisé et la scène des sifflets des musulmans mécontents face au représentant du gouvernement est diffusée lors des JT du soir.

Une semaine plus tard, l’émission « Mots croisés », d’Arlette Chabot, consacre son temps de diffusion du 26 avril à la question de l’intégrisme islamique. Le secrétaire général du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale) présent sur le plateau, réclame une loi pour l’école et dénonce la lobotomisation des jeunes filles issues des quartiers. Le sujet submerge les médias. L’UOIF est taxé d’organisation fondamentaliste, la parole de partisans de l’interdiction du voile se délie et la laïcité à l’école devient centre de tous les débats.Des articles, des émissions spécialisées et des débats publics émergent dans les mass médias. Claude Imbert, éditorialiste au Point et membre du Haut Conseil à l’intégration, avait déclaré sans aucun tabou : « Osons dire tout le mal que nous pensons de l’islam ».

Afin de donner une idée de la mise en avant de la polémique en lien avec le foulard, le journal PLPL a établi un recueil de données intéressantes. Entre septembre 2003 jusqu’en février 2004, c’est-à-dire lors de la crise, Le Monde, Libération et Le Figaro réunis recueillent « 1284 articles, enquêtes, reportages, brèves, éditoriaux, chroniques, « Rebonds », « Horizons », courriers des lecteurs...Soit en moyenne deux articles par jour dans chaque quotidien durant six mois. » Pendant la même période, le projet de réforme de la Sécurité sociale est apparu presque trois fois moins (478 fois).

Surprenante surreprésentation ? Elle l’est davantage quand on sait qu’aucune augmentation des élèves portant le voile n’a été constatée. Au contraire, des chiffres font état d’une baisse de contentieux liés au port du foulard depuis les années 1990. Hanifa Chérifi, médiatrice de l’Éducation nationale, signalait que le nombre de litiges entre élèves voilées et le corps enseignant est passé de 300 à 150 entre 1994 et 2003. Cent affaires ont été conduites devant les tribunaux au milieu des années 90 alors qu’une « petite dizaine » est observée en 2003. Par ailleurs, en novembre 2003, dans le feu de l’affaire, David Pujadas indiquait au 20 heures de France 2 que « contrairement à une idée répandue, les affaires du voile sont plutôt en baisse : c’est ce qu’indique un document des Renseignements généraux présenté il y a un mois ».

La représentativité des acteurs dans les médias

Différentes commissions parlementaires ont été mises en place pour débattre de l’application de la laïcité. Françoise Lorcerie, directrice de recherche au CNRS, indique que la machine médiatique a joué un rôle considérable dans la prise de position d’une solution prohibitionniste. Selon elle, les journaux n’ont pas, ou peu, donné la parole aux personnes concernées à savoir les filles voilées. Elle poursuit son analyse en écrivant que « la TV, quant à elle, a plutôt figuré physiquement la mise en minorité de la tendance UOIF, avec des dispositifs de plateau défavorables aux musulmans et musulmanes qui se réclamaient de la version de la laïcité fondée sur l’état du droit ».

En ce qui concerne la représentative des différents acteurs dans les médias, on s’aperçoit une apparition démesurée des journalistes, des écrivains et des universitaires. Par contre, on fait état d’une très faible présence d’enseignants. En ce qui concerne les élèves voilées ou non, une absence quasi-totale dans le débat public est remarquée.

Pierre Tévanian, enseignant et essayiste, indique que le « déséquilibre est encore plus marqué que dans les pages « Débats » du Monde et de Libération : 55% d’invités prohibitionnistes, 37% d’anti-prohibitionnistes, 8% d’invités sans position claire – soit un différentiel de 18% en faveur de la position prohibitionniste.

Quant au profil social des auteurs, on remarque (en pourcentage) qu’aucune adolescente ou femme voilée n’ont écrit de tribune et seulement 7 % de professeurs du secondaire et représentants de parents d’élèves ont eu accès à la parole contre 43 % d’universitaires, 14 % de journalistes, 12,5 % de responsables militants ou syndicaux.

Tandis que les avis antiprohibitionnistes sont généralement composés de « religieux ». Seulement 10 % des invités anti-prohibitionnistes sont des enseignants, des militants laïques ou féministes antiprohibitionnistes ou élèves.

Sur les plateaux de télévision, le fossé est encore plus stupéfiant. Si l’on se réfère au statut social des invités dans les débats télévisés sur l’affaire, Pierre Tévanian commente : « Il faut également souligner le rôle de premier plan joué par la classe politique et l’aristocratie journalistique et littéraire dans le combat prohibitionniste : politiques, écrivains et journalistes représentent ensemble 74% des invités prohibitionnistes, tandis qu’ils ne représentent que 15% des invités anti-prohibitionnistes. »

On remarque que dans la sélection des intervenants antiprohibitionnistes, les médias ont préféré plutôt des hommes musulmans (36 %). A noter également qu’il y a une absence de femmes ne portant pas le foulard (9%) du côté de celles qui sont contre l’adoption d’une loi.

Pierre Tévanian va plus loin en énonçant une thèse qu’il nomme comme « implicite » : « seules des femmes voilées ou des musulmans pratiquants de sexe masculin peuvent être hostiles à l’interdiction du voile à l’école ; dès lors qu’on est athée, non-pratiquant ou adepte d’une autre religion, et a fortiori si l’on est une femme, on ne peut qu’être favorable à la prohibition ».

Parler du voile, c’est parler de tout ?

Lors de la Commission Stasi, commission censée statuer sur les principes émanant de la laïcité et dépassionner le débat afin d’éclairer la situation de manière objective,le débat a versé sur d’autres thématiques corollaires à la problématique du voile. Des bribes du rapport témoignent du brouillage du thème central de la Commission à savoir le port du voile à l’école et l’application de la laïcité.

Lors de ces échanges, le concept de laïcité a été subtilement considéré comme étant le socle de l’identité française face aux menaces internes. La laïcité apparait être une référence stable qui serait mise en péril par le communautarisme qu’engendrerait le voile. Selon le rapport Stasi, la France serait en proie à des troubles, car « les agissements attentatoires à la laïcité sont des plus en plus nombreux, en particulier dans l’espace public. Il ne s’agit pas de dramatiser [...] des groupes extrémistes sont à l’œuvre dans notre pays pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs ». Selon ce même écrit, ces revendications extrémistes auraient des échos dans les quartiers à majorité immigrée. Étonnamment, une espèce de jeu de langage se dégage de l’analyse émanant du rapport : « Les agissements attentatoires à la laïcité sont de plus en plus nombreux dans l’espace public ». En d’autres termes, dans cette explication, les femmes portant le foulard sont désignées comme étant porteuses d’un islam intégriste enfreignant les valeurs de la République. Or, aucune juridiction ne condamne une femme à porter un foulard dans la rue. Il n’y a donc aucun délit dans le fait de porter le voile dans la rue. La fin est ahurissante : « Oui, des groupes extrémistes sont à l’œuvre... ». Une conclusion qui ne trouve aucun fondement factuel. Celle-ci ne se repose que sur de la suspicion et la crainte laissant le champ libre à toute interprétation.

Lorsqu’il s’agit d’aborder le contexte scolaire, l’espace essentiel dans le débat de 2003, le rapport dresse la situation :

« Le cours normal de la scolarité est altéré par des demandes d’absences systématiques un jour de la semaine, ou d’interruption de cours et d’examens pour un motif de prière ou de jeûne. Des comportements contestant l’enseignement de pans entiers du programme d’histoire ou de sciences et vie de la terre désorganisent l’apprentissage de ces disciplines. Certaines filles recourent à des certificats médicaux injustifiés pour être dispensées des cours d’éducation physique et sportive. [...] L’accès de tous à l’école est fragilisé par des cas de déscolarisation pour des motifs religieux ».

Là, il ne s’agit plus que de foulard, on sort du cadre pour établir la potentielle dégénérescence de l’islam à l’école. Encore une fois, aucune analyse pertinente ne se dégage et les affirmations sont impossibles à quantifier. Tous les déterminants (des, certaines, etc.) sont flous laissant place à l’interprétation du lecteur. De plus, des termes tels que « des pans entiers », « désorganisent », « l’accès de tous est fragilisé » sont susceptibles de verser dans l’émotionnel du lecteur.

Le rapport poursuit : « Quelques chiffres illustrent la gravité de cette situation. Il a été signalé que dans sept cents quartiers, accueillant de nombreuses nationalités, les difficultés se cumulent : chômage supérieur à 40 %, problèmes aigus de scolarisation, signalements sociaux trois fois plus importants que dans le reste du territoire. Les habitants de ces quartiers délaissés ont le sentiment d’être victimes d’une relégation sociale qui les condamne au repli sur eux-mêmes. C’est notamment le cas des plus jeunes. 32 % de la population y a moins de vingt ans. »

Le rapport, avec, cette fois, un appui chiffré, indique que la France des quartiers sensibles est susceptible de se replier sur elle-même à cause d’un bon nombre de facteurs qu’elle énumère ci-dessus. L’écrit indique également que les plus jeunes sont les plus fragiles face à cette tendance. L’étrangeté de cette situation est que les décisionnaires dressent un bilan et considèrent que le combat contre l’intégrisme serait la priorité de la Commission. A priori, pour sauvegarder la laïcité, cette démarche est tout à fait juste. Cependant, aucune mesure de lutte contre l’intégrisme n’est abordée. Pour combattre cet ennemi intérieur, la Commission optait pour une loi interdisant le voile à l’école. Comme si, par essence, le port d’insigne religieux islamique est une atteinte à la laïcité et un danger pour la République de par son intégrisme. Le voile devenait tout à coup un vecteur politico-religieux d’un islam des caves de banlieue.

Imambajev Nikita

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