Ah, ces gens de gôche en auront-ils fait des ronds de jambes et des simagrées élégantes, de peur qu’on les confonde avec les rustres qu’ils prétendent défendre et dont ils espèrent les suffrages afin de poursuivre, un brin d’humanité en plus, la même politique que les petits marquis et les barons, héritiers des maîtres des Forges, ceux que stigmatisèrent jadis tant d’intellectuels, dont Zola qui commit entre autres Germinal et qui fut qualifié de « sanglier qui écrit des choses à ce point hideuses qu’elles donnent la nausée », de « Hugo en plus grossier , non décapé, brut de fonderie », de « trivial et pornographique », qui fabrique « la laideur, l’ordure » par son écriture « couleur de boue », « une littérature putride » qui « remue le fumier d’Augias ».
Quel fut son crime ? Celui d’aller au contact du peuple (sans trois rangées de CRS ou des gorilles pour le protéger).
Il ne commença la rédaction de Germinal (1885) qu’après une enquête sur la mine d’Anzin, l’année précédente. Ecoutons-le expliquer sa méthode (et n’oublions pas de remplacer « romancier » par « homme politique ») : « J’ai l’hypertrophie du travail vrai ; le saut dans les étoiles sur le tremplin de l’observation exacte »… « Le romancier doit s’en tenir aux faits observés, à l’étude scrupuleuse de la nature s’il ne veut pas s’égarer dans des conclusions menteuses…Il expose simplement ce qu’il a vu…Nous donnons la hautaine leçon du réel. »
Ah, nous en auront-ils, tous ensemble, fait avaler des relégations dans la décharge du chômage baptisées plans sociaux, des bureaux du chômage baptisés Pôle emploi, des soupes populaires dites restaurants du coeur, des troupes de matraqueurs de lycéens baptisées Compagnies Républicaines de Sécurité, des capitalistes baptisés libéraux, des démocratures baptisées démocraties , des tracts de propagande baptisés articles de presse et éditoriaux, des voix de son maître baptisées journal télévisé de 20 heures, des perroquets baptisés journalistes, et jusqu’au mot populiste qu’ils ont laissé assimiler à poujadisme, démagogie, de sorte que l’extrême droite s’en est emparée (comme elle l’a fait du bleu-blanc-rouge) et que les oligarques jubilent, camouflés dans le MEDEF, repaire de patrons déguisé en mouvement des « entrepreneurs » !
Ah, l’auront-ils invoqué Jean Jaurès qui mourut pour ses idées, et qu’ils respectent à condition qu’il reste un buste muet et ne redevienne pas ce tribun contre lequel ils tireraient à boulets roses aujourd’hui s’il s’avisait de revenir leur faire honte par une de ses tirades… populistes !
Ah, nous les auront-ils montrés dans des magazines people (qu’ils ont sifflés et qui ont accouru) les photos retouchées de : leur femme élégante, leurs blonds enfants, leur Rolex, leur chemise Lacoste des vacances décontractées en famille, leur chien, le livre qu’ils lisent sous le pin parasol, leurs nouvelles lunettes, leur sourire impeccable aux implants hors de prix !
Notez comme le mot people nous a été imposé pour gommer le mot français à éviter, car il commence par « popu ».
De renoncements en lâchetés, de concessions frileuses en trahisons, la gôche a laissé se perdre tous les concepts de gauche et son vocabulaire même, jusqu’à permettre à nos pires ennemis de s’en repaître. Ainsi, si vous cherchez « Populiste » sur Internet, vous verrez votre écran vous annoncer que le « Parti populiste » vous invite à une réunion avec Bruno Gollnisch.
Voilà , c’est gagné !
Par bonheur, et pour sauver l’honneur des politiques, un groupe d’écrivains continue à promouvoir le populisme en littérature avec le « Prix du roman populiste » qui récompense une oeuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité ».
Jean Vautrin, son président, explique : « Le prix populiste veut rendre compte de la réalité sociale, au sens large bien entendu. Malheureusement, aujourd’hui, la mode, c’est d’écrire sur son nombril. La barbarie dans laquelle nous vivons actuellement devrait pourtant nous inciter à nous pencher sur ces questions sociales. »
Avis amical à Pierre Laurent, secrétaire du Parti communiste : parmi les noms ci-dessous se cachent des gens qui furent membres du PCF, un ancien rédacteur en chef de l’Humanité, des ex-collaborateurs de la presse communiste, des compagnons de route.
Voici quelques lauréats du Prix du roman populiste, dont la valeur morale et/ou le talent valent bien ceux de nos journalistes vedette qui débusquent le poujadisme et la démagogie populiste chez quiconque parle du peuple : Marcel Aymé, Jules Romains, Henri Troyat, Jean-Paul Sartre, Louis Guilloux, Armand Lanoux, René Fallet, Yves Gibeau, Christiane Rochefort, André Stil, Daniel Zimmermann, Gérard Mordillat, Daniel Rondeau, Didier Daeninckx, Denis Tillinac, Jean Vautrin, Patrick Besson, Hervé Jaouen, Rachid Boudjedra, Jean-Marie Gourio, Daniel Picouly, Dominique Sampiero, Laurent Gaudé, Louis Nucera, etc
Le jury est composé aujourd’hui de : Alexandre Astruc, François Cavanna, Joseph Da Costa, Nicky Fasquelle, Dan Franck, Raymond Jean, Delphine Le Vigan, Gérard Mordillat, Didier Paillard, Daniel Picouly, Patrick Rambaud, Akli Tadjer, Jean Vautrin, Georges Wolinski.
Des poujadistes, pas vrai ? Des démagogues qui n’arrivent pas à la cheville de David Pujadas, Laurence Ferrari, Jean-Michel Aphatie, Ruth Elkrief et autres phares du journalisme objectif, neutre et sous-payé en désaccord avec la droite musclée et la gôche au ventre mou.
La gôche au ventre mou ? Ecoutons Jean-Paul Huchon : « Son langage (celui de Jean-Luc Mélenchon) est proche de celui de l’extrême droite, mais c’est plus grave que Le Pen ! Il incarne le populisme d’extrême gauche. »
Ecoutons Daniel Cohn-Bendit : « C’est du populisme de gauche réactionnaire. Mélenchon fait du Chavez alors que ce dernier est déjà une catastrophe au Venezuela ».
Ecoutons Manuel Valls (qui veut « blanchir » la ville trop basanée dont il est député-maire) fustiger les « slogans populistes », trouver que le PS est trop à gauche et conclure : « Le mot socialisme est dépassé. Le PS devra un jour changer de nom ».
N’écoutons pas (pitié !) DSK. Ouvrons plutôt des fenêtres pour changer d’air.
Ecoutons encore Jean Vautrin déplorer que le mot populiste ait été galvaudé jusqu’à faire disparaître le Prix Populiste pendant quelques années, victime de sa terminologie, avant d’être restauré : « Par vocation, nous partageons l’aventure des petites gens. Nous croyons que c’est le poids de l’homme de ne pas renoncer au clair de lune. C’est là notre raison d’écrire ou de dessiner. »
Ecoutons Louis Nucéra : « Il n’est pas rare d’entendre discréditer le mot populisme. Comme si l’on craignait, au mieux, de voir les bons sentiments annexés par quelques usurpateurs et, au pis, comme si l’on éprouvait du mépris pour ce que pensent les gens du peuple ».
Ecoutons François Cavanna : « Le peuple, aujourd’hui est plus malaisé à définir et à décrire, il y a le pauvre qui a un emploi, même précaire, et il y a le chômeur sans espoir. Il y a le « coloré » des Banlieues-dépotoirs. Il y a le clandestin… Il y a fort à faire pour qui parlerait du peuple de l’intérieur, avec le langage du peuple. Il y a du pain sur la planche pour un futur lauréat du Prix Populiste ».
J’ai personnellement entendu dans une rencontre littéraire organisée par un comité d’entreprise à Toulouse Daniel Picouly dire son mépris pour ceux qui dénigrent le mot populisme au nom d’un esprit de supériorité (je cite de mémoire, mais je serais surpris qu’il démente).
Lisons la préface de Claude Gueux écrite par les frères Goncourt en 1865. Il suffit de remplacer quelques mots (roman et livre par discours, par exemple) pour voir qu’il s’adresse à nous tous aujourd’hui : « Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre et l’avertir de ce qu’il y trouvera. Le public aime les romans faux, ce roman est un roman vrai. Il aime les livres qui font semblant d’aller dans le monde ; ce livre vient de la rue. Il aime les petites oeuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d’alcôves, les saletés érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des librairies ; ce qu’il va lire est sévère et pur. Qu’il ne s’attente point à la photographie décolletée du plaisir, l’étude qui suit est la clinique de l’amour.
Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion, ni sa sérénité. Ce livre avec sa triste et violente distraction est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène ».
Ecoutons enfin celui par qui le scandale arrive, celui qui concentre sur lui toutes les accusations de populisme et qui, pour cela au moins (pour le reste à chacun de voir), mérite d’être cité au passage (Jean-Luc Mélenchon) : « Un dernier mot. Ne me saoulez plus avec ces histoires de « posture de force tranquille », look de présidentiable, mes cravates, mes dents, mes cheveux, et tout ce bla bla mal digéré de l’imagerie d’Epinal des hommes d’état revus et colorisés par la cinquième République et ses mythes monarchiques débiles. Je suis le bruit et la fureur. Comme mon époque. Et on n’aura besoin de nous que parce que nous sommes incorruptibles, que nos mains ne tremblent pas, que notre manière d’être montre que nous n’avons pas peur. Tout ce qui fait de nous des rustres pour la bonne société fait de nous des valeurs sures pour les nôtres. Surtout quand la plupart de nos donneurs de leçons n’ont pas encore prouvé en quoi ils valaient mieux que nous tous, et que moi s’il faut en parler, sur le plan de la culture, du savoir, de la valeur humaine ».
Et enfin, écoutons ailleurs (la place nous manque ici) les hommes politiques qui, sous le nez de l’Empire, prononcent en Amérique latine des discours que Jaurès aurait applaudis et que la fausse gauche française, de concert avec la droite, désavoue, effrayée comme une biche en terrain découvert (dépourvu de tapis rouge).
Ecoutons les populistes, cessons d’avoir peur des mots, ne laissons plus la droite et ses complices entrer dans le dictionnaire et distordre les définitions pendant la sieste des quarante.
Maxime Vivas
(Ecrivain populiste, pardi).