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Violences faites aux femmes : "Notre bataille, c’est que la honte change de camp"

Par Emmanuelle Piet, Présidente du collectif fémin contre le viol (CFCV)"Cela fait peu de temps que l’on s’intéresse au nombre de viols en France, les chiffres sont rares. La première enquête officielle date de 2000. Depuis, il n’y a pas eu d’autres enquêtes, la ministre a annoncé, mercredi, qu’il y en aurait une nouvelle. On peut penser qu’il y a beaucoup plus de viols que les 75"‰000 viols de femmes adultes annoncés chaque année, car nos évaluations sont minimales. Nous possédons les chiffres de la gendarmerie et du ­tribunal ou d’enquêtes de victimation. Mais d’une part, peu de ­victimes portent plainte, d’autre part, la honte de parler existe encore chez les victimes. Ainsi un grand nombre de femmes ne disent rien, même à une simple enquêtrice.

Notre bataille, c’est que la honte change de camp. Il est essentiel de modifier le regard de l’ensemble de la société sur le viol. Cela passe par plusieurs actions. La première est médiatique. Notre campagne est axée sur l’idée d’inverser la culpabilité"‰ : quand on a été violée, on n’y est pour rien. Le responsable c’est l’agresseur, pas la femme. Même si elle a bu, même si elle portait une minijupe, l’idée toujours que lorsqu’on dit "non" , c’est "non" . Nous devons donc toujours rappeler que la victime n’est jamais responsable de ce qu’il s’est passé. Car, dans la société, lorsqu’on parle de viol, on dit "elle s’est fait violer" , ce langage révèle implicitement que la victime aurait fait quelque chose pour être violée, qu’au fond, elle l’aurait un peu cherché"‰ ! On devrait dire "elle a été violée" . La société, les médias déplacent la responsabilité sur les ­victimes. Ce qui contribue à rendre impossible leur parole. Et même quand elles ­arrivent à en parler à leur entourage, par exemple, on leur dit qu’elles n’auraient pas dû partir toute seule, à cette heure-là , s’habiller comme ça, aller dans ce quartier-là … En somme, c’est toujours leur faute"‰ ! Et puis faire changer la honte de camp, ne pas se sentir responsable, coupable, c’est le premier pas pour se reconstruire. Pour faire changer la honte de camp, il faut changer radicalement les mentalités. Et pour modifier les mentalités, il faut à la fois agir au niveau de la prévention, de l’éducation et de la loi.

Si on prend l’exemple des violences conjugales, nous devons d’abord prendre conscience que les enfants qui voient leur père tabasser ou forcer leur mère à la maison ­risquent d’apprendre à reproduire le même comportement. Les violences conjugales sont une école de violence pour les enfants. Pour avancer de ­façon efficace et collective, je pense qu’il faut réussir à protéger les enfants, les aider à parler et savoir écouter leurs paroles.

Au niveau du changement de mentalité des adultes, cela passe par une meilleure et plus large formation de l’ensemble des professionnels"‰ : travailleurs sociaux, de l’éducation, de la police, de la gendarmerie, de la santé et des magistrats…

Puis, il faut renforcer la loi. Nous, Collectif féministe contre le viol, avons quatre grandes revendications. La première, c’est l’arrêt de la correctionnalisation judiciaire des viols en France. La pratique est généralisée, il s’agit de taire les éléments caractérisant le viol - c’est-à -dire la pénétration non consentie - pour ­requalifier l’infraction en agressions sexuelles, c’est-à -dire en délit. On ne peut pas avoir une pensée et une action cohérentes en affirmant d’un côté que le viol est un crime et de l’autre côté correctionnaliser les trois quarts des viols. Deuxièmement, en mars"¯2010, l’article de loi définissait le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ou inceste" . Or, le Conseil d’État a invalidé l’inceste en septembre"¯2011. C’est insupportable. A chaque fois qu’on parle d’inceste, il faut prouver la menace et la contrainte. Comment un enfant de six ans peut-il prouver cela"‰ ? Nous souhaitons que l’inceste revienne dans la définition du viol. Troisièmement, nous revendiquons le retrait de l’autorité parentale quand un viol est commis par l’un des ­parents. Enfin, nous militons pour une prise en charge des soins à 100"¯% concernant les victimes."

(*) Le CFCV gère la permanence téléphonique Viols Femmes Informations 08"‰00"‰05"‰95"‰95.

Ce dimanche : journée de mobilisation contre les violences faites aux femmes

Propos recueillis par Anna Musso

Source : http://www.humanite.fr/societe/violences-faites-aux-femmes-notre-bataille-c-est-que-la-honte-change-de-camp-509346

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