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Venezuela : je refuse d´être pris pour une cible médiatique

Les élections présidentielles au Venezuela auront lieu le 20 mai 2018. Cette convocation du Peuple aux urnes sera l´occasion de demander aux citoyens qu´ils fassent un choix sur le futur de leur pays, de la forme la plus souveraine et démocratique qu´il soit. Le chavisme, emmené par Nicolas Maduro, affrontera quatre candidats d´opposition dont Henri Falcón (1). Cet ancien gouverneur de l´Etat du Lara a été le directeur de campagne du candidat d´opposition Henrique Capriles Radonski aux dernières élections présidentielles de 2013. Avec 22% d´intention de vote dans les sondages, il est aujourd´hui le candidat d´opposition le mieux placé pour tenter de ravir l´exécutif au président sortant. Nicolas Maduro, quant à lui, est désormais crédité de 52% des intentions de votes (2). Situation improbable si l´on s´en tient aux couvertures médiatiques dominantes mais qui reste parfaitement rationnelle dans le contexte vénézuélien, où le chavisme conserve une forte base électorale.

C´est donc une élection cruciale qui se tiendra fin mai 2018, et qui permettra au vénézuéliens de définir le cap politique du pays pour les six prochaines années. Rien de très original pour un pays qui compte 25 processus électoraux répartis sur les 19 ans de Révolution Bolivarienne. Sauf que ces élections auront lieu au Venezuela, où se déroule une terrible guerre de quatrième génération, dont la bataille de l´information est un des axes centraux.

Plusieurs opérations psychologiques ont déjà été mises en œuvre depuis l´accession d´Hugo Chávez au pouvoir. La dernière en date visait à faire accepter dans l´opinion publique internationale un changement de régime par la force au lendemain de l´élection d´une assemblée constituante, le 30 juillet 2017. Devant l´incroyable mobilisation des électeurs vénézuéliens en faveur du projet de nouvelle constitution, cette objectif a dû être avorté. Mais il a causé de grands torts, et la propagande déployée à ce moment a réussi à faire admettre comme véridique toute une série de matrices d´opinion mensongères. C´est à partir de ce terrain fertile que le système médiatique s´apprête une nouvelle fois à nous prendre pour cible, pour essayer de nous faire accepter comme logique une intervention anti-démocratique contre le gouvernement du Venezuela.

Ce scénario n´est pas à prendre à la légère. Jamais la possibilité d´une attaque militaire n´avait été aussi propice qu´en ce moment. Le président des Etats-Unis, Donald Trump, ne l´a d´ailleurs pas exclu (3). Après le fiasco de l´intervention en Syrie, un renversement du gouvernement bolivarien pourrait redorer le blason militaire des Etats-Unis dans ce qu´il considère comme son pré-carré. Par ricochet, c´est aussi un bon moyen pour Washington de tester la détermination russe à défendre un monde multipolaire et de savoir sur combien de théâtres d´opération le Kremlin peut-être présent simultanément.

Il s´agit désormais pour le système médiatique de convaincre l´opinion publique du bien fondé d´une intervention. Jusqu´aux prochaines élections présidentielles, nous allons donc assister à un matraquage visant d´une part à délégitimer la portée démocratique du processus électoral, et d´autre part à créer dans l ́opinion publique un laisser faire en cas d ́intervention étrangère.

Nous devons donc nous préparer à faire face à une opération psychologique de grande ampleur s´appuyant sur plusieurs contre-vérités élaborées depuis des années contre le gouvernement bolivarien. Les médias dominants ont ainsi construit plusieurs matrices d´opinions légitimant chacune un prétexte pour une intervention contre le pays de Bolivar.

Une intervention pour rétablir la démocratie

Image d´intervention occidentale pour "rétablir la démocratie"

En mai 2016, quelques mois après la victoire de l´opposition aux élections législatives, un processus de dialogue entre le chavisme et ses opposants a débuté en République Dominicaine sous l´égide de l´ancien président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, de l´ex président de la République Dominicaine, Leonel Fernandez et l´ex président du Panama, Martin Torrijos. Cette série de 150 réunions avait pour but de sortir politiquement et pacifiquement le pays de la crise politique provoquée par les tentatives violentes de l´opposition pour renverser le président Maduro.

En janvier 2018, un accord semblait avoir été trouvé à propos d´une vieille rengaine des Etats-Unis et de leurs alliés vénézuéliens : la convocation à une élection présidentielle anticipée (4). L´accord portait sur les garantis électorales et la date de l´élection initialement prévue en avril.

Or comme le souligne Jorge Rodriguez, ministre de la communication et chef de la commission de dialogue pour le gouvernement : « Tout était prêt [pour la signature de l´accord] jusqu’au pupitre où nous devions faire nos déclarations officielles. Et puis, dans l’après-midi, Julio Borges, l’ancien président de droite de l’Assemblée nationale, a reçu un appel téléphonique de la Colombie de l´ancien secrétaire d’État américain, Rex Tillerson (…) L’opposition nous a alors annoncé qu’elle ne signerait pas l’accord. De retour à Caracas, José Luis Rodriguez Zapatero a envoyé une lettre à l’opposition pour lui demander quelle était son alternative dès lors qu’elle refusait de participer à une élection présentant les garanties sur lesquelles elle avait elle-même travaillé” (5). La frange la plus radicale de l´opposition décidera alors de boycotter les élections pour laisser croire que Nicolas Maduro se présente seul dans la course au Palais de Miraflores.

Malgré le fait que quatre opposants se présentent contre le président sortant, cet argument a largement été repris par le système médiatique pour laisser croire à l´opinion publique que le gouvernement bolivarien truque les élections et organise une parodie de démocratie. Plusieurs gouvernements ont d´ores et déjà annoncé qu´ils ne reconnaitront pas les résultats de la prochaine élection présidentielle : les Etats-Unis, les pays latino-américains membres du groupe de Lima (6), ainsi que le royaume d´Espagne ou la République française. Or ce que ne montrent jamais les médias, c´est que les conditions sont parfaitement réunies pour des élections démocratiques et transparentes.

Au Venezuela, pour éviter les fraudes, les élections ne sont pas organisées par l´exécutif. La Constitution de 1999, qui reconnaît l´existence de cinq pouvoirs indépendants - l´exécutif, le législatif, le judiciaire, le moral et le pouvoir électoral- laisse à ce dernier la tâche d´organiser les processus électoraux, en fonction de la Loi organique des processus électoraux. Ce cadre légal, adopté en 2009, n´a pas été modifié depuis. Il a notamment permis l´élection de Henrique Capriles comme gouverneur du puissant Etat de Miranda (par 2 fois), a reconnu l´élection d´Antonio Ledezma comme maire de l´agglomération de Caracas ou encore celle de Julio Borges comme député à l´Assemblée Nationale. Aucun des élus de l´opposition n´a jamais émis un doute sur le bon déroulement du suffrage qui l´a donné vainqueur, et l´opposition n´a elle-même jamais remis en cause le cadre légal des processus électoraux. Lorsque les médias nous parlent d´une élection illégitime, pourquoi ne se réfèrent-ils pas à la législation qui encadre le vote des citoyens au lieu de se faire les porte-paroles d´une opposition bien peu démocratique ?

Comment vote-t-on au Venezuela ? Voilà une bonne question jamais traitée par le système médiatique. Explications : Tout d´abord, chaque parti politique a le droit de postuler ses partisans comme assesseurs dans les bureaux de vote, ainsi qu´une liste d´observateurs nationaux et internationaux. Ensuite, le Centre National Electoral (CNE) convoque, en présence de tous les partis, à un audit préalable du logiciel utilisé pour la collecte des données. Des observateurs de chaque parti politique suivront le processus électoral depuis le siège du CNE mais aussi depuis l´entreprise de télécommunication en charge de la transmission des données. Chaque étape doit être approuvée par tous les participants. Et de fait, elle l´a toujours été jusqu´a maintenant.

En ce qui concerne le vote (7), le Venezuela utilise un double système électronique et manuel. Lorsqu´on entre dans le bureau de vote, on s´identifie au moyen de sa carte d´identité et d´une machine de reconnaissance d´empreinte digitale. Il est donc impossible de voter deux fois. Ensuite on choisi son candidat sur une machine qui demande confirmation du vote. Une fois confirmé, la machine émet un ticket avec le nom du candidat, que l´électeur place dans une enveloppe et dépose dans une urne. Pour finir, après avoir signé le registre électoral, il trempe son petit doigt dans de l´encre indélébile pour s´assurer une deuxième fois qu´il ne répètera pas son vote. Le soir des résultats, le CNE procèdera à un audit où seront tirés au sort, devant les responsables des différents partis, les bureaux de vote ou l´on vérifiera le résultat électronique. Il s´agira alors de comparer les résultats obtenus dans l´urne après dépouillement avec le résultat électronique. Jamais une erreur n´a été détecté au cours des multiples processus électoraux.

Lorsque, mauvais perdant, Capriles Radonski avait contesté l´élection de Nicolas Maduro en 2013, le CNE a ouvert 100% des urnes pour les comparer avec le résultat électronique qui donnait une courte marge de 1,49%. Après avoir fait abattre 11 chavistes par ses partisans et mis le pays à feu et à sang pendant plusieurs semaines, Capriles Radonski avait bien du reconnaître sa défaite (8).

Ces garanties pour blinder le résultat a conduit l´ancien président étasunien Jimmy Carter à définir le système électoral vénézuélien comme étant « le meilleur du monde » (9). Ce sont les mêmes procédures qui définiront le vote de l´élection présidentielle du 20 mai 2018.

En « oubliant » systématiquement de présenter le fonctionnement du système électoral vénézuélien, les médias nous prennent pour cible. Ces omissions lorsqu´elles laissent place à de véritables campagnes de propagande sont criminelles. Comme tout semble indiquer que Nicolas Maduro devrait remporter les prochaines élections (10), la non reconnaissance du caractère démocratique de ces élections par les médias vise à légitimer une intervention étrangère pour « rétablir la démocratie » comme ce fut le cas en Haïti ou en Serbie.

Une intervention contre un Etat voyou (Rogue State) ou en déliquescence (Failed State)

Image d´intervention occidentale pour lutter contre un Etat voyou ou en déliquescence

Le mot a été lâché plusieurs fois par le vice-président des Etats- Unis (11). L´Etat vénézuélien serait en déliquescence ou même serait un Etat voyou.

Selon les officines de propagande étatsunienne et leurs relais médiatiques, le Venezuela ne compterait plus sur un système institutionnel qui fonctionne mais dépendrait du bon vouloir d´un dictateur et d´une milice qui assurerait sa protection et son maintien au pouvoir. L´année 2017 a donné lieu à plusieurs constructions médiatiques autour de ce thème. Reprenons la chronologie des évènements pour ne pas être victime des bombardements médiatiques sur ce sujet sensible.

A la suite de l´élection législative de 2015, où l´opposition avaient remporté 112 des 167 sièges, une plainte pour fraude fut déposée dans trois circonscriptions. Une telle mesure n´est pas propre au Venezuela, c´est une procédure similaire qui avait été engagé contre l´ancien premier ministre français Manuel Valls, dont l´élection comme député avait été suspecté de fraude électorale (12).

Après enquête, l´élection de ces députés de l´Etat d´Amazonie fut invalidée par le tribunal électoral qui rappela les citoyens aux urnes dans ces trois circonscriptions. Préférant le bras de fer au libre choix démocratique, le président de l´Assemblée Nationale d´alors, Henry Ramos Allup pris la décision de ne pas respecter l´arrêt du pouvoir électoral. Comme le stipule la Constitution, c´est le Tribunal Suprême de Justice (TSJ) qui a tranché et a déclaré l´Assemblée Nationale en situation d´outrage judiciaire tant que l´élection des trois députés n´aurait pas lieu. En conséquence, toutes les décisions de l´Assemblée nationale furent considérées comme nulles par le TSJ tant que perdurerait cette situation. Cette tension institutionnelle a concerné les pouvoirs législatif, judiciaire, et électoral. Elle est même assez symbolique de la vivacité et du bon fonctionnement des institutions vénézuéliennes qui ne permettent ni vide juridique ni absence de pouvoir. Et où le fil constitutionnel n´a jamais été rompu. Il faut noter que dans cette confrontation, l´exécutif n´a pu prendre aucune décision.

Malgré cela, les médias internationaux ont propagé l´idée que les institutions ne fonctionnaient plus au Venezuela et que le président Maduro s´était accaparé tous les pouvoirs en faisant taire une Assemblée contradictoire. Ce conflit juridique se doublera rapidement d´une tentative de putsch avorté. De mars à juillet 2017, de violents affrontements entre groupes armés et forces de l´ordre feront 142 morts et plus de 800 blessés. Immédiatement, une campagne médiatique s´est mise en branle pour attribuer au gouvernement bolivarien la totalité des décès survenus. Après enquête, il s´avèrera que prés de 70% des morts sont imputables de manière directe ou indirecte aux groupes de choc de l´opposition (13).

L´élection de l´Assemblée constituante et les élections locales qui suivirent ont permis un retour au calme mais la propagande des médias a fait son chemin et l´idée d´un Etat en déliquescence, où les institutions ne fonctionneraient plus, a labouré les esprits, manipulés par les entreprises de communication. C´est dans cet optique là qu´il convient de comprendre le récent show médiatique monté par l´opposition pour juger et capturer le président Maduro (14).

Un nouveau « Tribunal Suprême de Justice en exil » désigné par une Assemblée Nationale dont les décisions sont considérés comme nulles a décidé, en se basant sur la demande de l´ancienne procureure de la République Luisa Ortega, destituée et recherchée par la justice pour corruption (15), de procéder au jugement du président vénézuélien pour corruption, et de solliciter sa capture par Interpol. L´Assemblée Nationale a ensuite approuvé la demande de ce pouvoir judiciaire fictif, et Luisa Ortega a « ordonné » aux Forces Armées de capturer le président.

Ce qui ressemble à une mauvaise blague s´inscrit dans cette stratégie de faire passer le Venezuela pour un Etat en déliquescence. En créant illégalement des institutions judiciaires parallèles (TSJ et Procureur « en exil »), l´opposition prétend donner l´impression d´une crise institutionnelle. Cette situation d’ingouvernabilité artificielle pourrait justifier à son tour l´intervention de pays qui ne reconnaitraient pas les véritables pouvoirs légaux en place. Rappelons nous que la constitution de pouvoirs parallèles en exil a toujours été le prélude d´aventures militaires comme ce fut le cas en Libye et en Syrie.

De la même manière, et sans aucune preuve, le Venezuela est accusé d´être une « narco-dictature », prémisse nécessaire avant d´être qualifié d´Etat voyou. En 2015, le député chaviste Diosdado Cabello et un groupe de militaires furent accusés, sans aucune preuve tangible, d´appartenir au mystérieux Cartel de los Soles (16). L´accusation ne reposait que sur les témoignages d´anciens membres de l´administration vénézuélienne « réfugiés » aux Etats-Unis après avoir été poursuivis par la justice de leur pays pour corruption. Mais le système médiatique s´emballa. Les grands groupes de communication allaient construire une « vérité » par un astucieux système de triangulation de l´information. Ainsi, le Washington Post citait comme preuve un article du journal espagnol ABC, qui allait être ensuite repris par le Wall Street Journal, puis par les journaux colombiens, qui eux-mêmes invoquaient les articles de leurs confrères européens, et ainsi de suite. Seul problème, l´absence manifeste de preuve. Aux dernières nouvelles, trois ans après cette affaire les preuves sont rangées dans le même dossier que celles sur les armes de destruction massive iraquiennes ou sur les armes chimiques syriennes.

Peu importe, l´idée a germé dans l´opinion publique pour qui le Venezuela bolivarien, malgré ses efforts dans la lutte anti-drogue, est désormais associé au narcotrafic. Cette matrice du narco-état allait être renforcée par l´arrestation par la DEA, de deux membres de la famille de la femme du président Maduro, accusés de trafic de cocaïne. Encore une fois, aucune preuve ne reliait cette arrestation à une entreprise illégale organisée depuis le plus haut sommet de l´Etat.

Qu´importe, pour le système médiatique, le Venezuela est devenu une « narcodictature » (17). Cette précipitation du tribunal médiatique est aussi étonnante que sélective. La même année, les fils du président du Surinam et d´un ex-président de la Mauritanie ont été arrêtés et condamnés pour trafic de drogue (18). Pourtant, aucun média n´a utilisé ces faits divers pour transformer les deux pays mentionnés en narco-état.

Ne nous laissons pas abuser par les fake news des médias dominants. Le récit médiatique qui vise à transformer le Venezuela en Etat de déliquescence ou en Etat-voyou n´a qu´un but : justifier une intervention étrangère comme ce fut le cas lors de l´opération Juste Cause au Panama, ou lors des destructions de l´Afghanistan ou de la Libye.

Une intervention « humanitaire »

Image d´une intervention humanitaire occidentale

En marge du VIIIe sommet des Amériques, le Vice-président étatsunien, Mike Pence s´est réuni avec des membres de la frange la plus extrême de l´opposition vénézuélienne. Durant la réunion, un des politiciens présents, Antonio Ledezma, qui avait appelé quelques semaines plus tôt la communauté internationale « à renverser Maduro » (19), déclara : « plus que de l´aide humanitaire, c´est d´une intervention humanitaire dont nous avons besoin » (20). Le mot est lâché.

Cette déclaration s´inscrit comme point culminant de la stratégie de guerre économique déployée contre le Peuple vénézuélien et qui vise, comme pour le Chili d´Allende, à « faire crier l’économie vénézuélienne » (21). Spéculation contre le bolivar, la monnaie nationale, contrebande d´extraction des produits de première nécessité, pillage de l´essence, trafic de billets de banque vénézuéliens, baisse de la note de solvabilité du Venezuela malgré le paiement de sa dette, tous les moyens sont bon pour asphyxier l´économie du pays et pourrir la vie des citoyens.

A cela s´ajoute un féroce blocus économique et financier de la part des Etats-Unis et de leurs alliés. Instauré sous Obama, il a été renforcé par le président Donald Trump. Comme le note l´économiste Pacualina Curcio (22), 64% du total des importations de médicaments et 82% des aliments importés par le Venezuela viennent des Etats-Unis ou de pays européens et latino-américains alignés sur la politique de Washington et sur sa volonté de pénaliser les entreprises qui commercent avec des entités publiques vénézuéliennes. C´est un acte criminel qui vise à fabriquer de la misère pour justifier une intervention humanitaire, terminologie désormais célèbre pour couvrir les horreurs d´une guerre, comme en Somalie ou au Kosovo.

Etouffés par cette guerre économique, plusieurs centaines de milliers de vénézuéliens ont décidé d´émigrer dans les pays de la région ou aux Etats-Unis (23). Ce processus migratoire est devenu un prétexte pour attaquer le gouvernement et faire planer le spectre d´une intervention humanitaire. Peu importe que l´organisation des Nations Unies pour l´alimentation et l´agriculture ne considère pas de réels problèmes de malnutrition au Venezuela dans son dernier rapport 2017 (24), peu importe que Alfred De Zayas, expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, ait déclaré : “J´ai comparé les statistiques du Venezuela avec celles d´autres pays, et il n´y a pas de crise humanitaire. Oui, il y a des problèmes d´approvisionnement et de pénuries mais pour nous qui avons travaillé des dizaines d´années pour les Nations Unies et qui connaissons la situation de pays d´Asie, d´Afrique, et même des Amériques, nous savons que la situation au Venezuela n´est en rien une crise humanitaire” (25). Le thème de la crise humanitaire va être alimenté par toute une série d´ONG à l’objectivité douteuse (26) et repris par tout le système médiatique mondiale pour légitimer l´oxymore d´une intervention militaire « à des fins humanitaires ».

Se justifiant par la crise économique de son voisin, le gouvernement brésilien a ordonné un déploiement militaire à la frontière avec le Venezuela (27). La Colombie, quant à elle, a décidé de construire des camps de réfugiés dans les villes frontalières. Le président colombien Juan Manuel Santos a même dépêché des membres de son gouvernement… à Ankara, pour s´inspirer de la gestion turque à faire face à l´afflux de réfugiés syriens fuyant la guerre dans leur pays (28).

S´il ne s´agit pas de nier l´ampleur du processus migratoire des vénézuéliens, affectés par les conséquences du blocus et de la guerre économique, la réaction des pays voisins et de l’administration américaine semble nous indiquer que nous sommes plus proches de préparatifs de guerre que d´une simple gestion migratoire. A titre de contre exemple, lorsque, au tournant du XXIe siècle, 15% des équatoriens ont du fuir la misère dans laquelle les politiques néolibérales les avaient plongés, aucun état n´a songé à exiger une « intervention humanitaire » en Equateur. Et que dire de la Grèce dont la moitié de la population vit en dehors des frontières de la République hellénique ? Existerait-il un média cohérent pour demander de bombarder Athènes ?

Mettre nos cerveaux en état d´alerte

La situation actuelle au Venezuela est explosive. Au fur et à mesure qu´approche l´élection présidentielle, et la probable victoire de Nicolas Maduro, la pression médiatique va s´intensifier. Cet emballement se réalisera aux quatre coins de la planète, en même temps, avec les mêmes arguments, et surtout avec les mêmes sources d´information. Celles-ci provenant soit d´ONGs financées par les Etats-Unis, soit par le prisme de la triangulation d´une information jamais vérifiée. Le déferlement de fake news qui s´annonce lors des élections présidentielles au Venezuela –qui, rappelons-le, ne seront pas reconnues par certains pays- aura pour but de provoquer un choc dans l´opinion publique, et ainsi empêcher toute manifestation de solidarité contre les mesures punitives qui s´ensuivront. Paradoxalement, ceux qui oseront mettre en doute la doxa médiatique seront alors lynchés au nom de la démocratie et de la liberté d´expression.

Il nous convient de refuser que notre cerveau soit pris pour une cible par les frappes et les missiles médiatiques. Défendre le Venezuela dans la tourmente programmée, ce n´est pas seulement affirmer notre adhésion aux principes de respect de la souveraineté démocratique, et de non ingérence ; c’est aussi s´insurger contre les atteintes à notre intégrité mentale, ne pas accepter d´être complice du conflit annoncé et réaffirmer notre droit à être informés de manière honnête et équilibrée.

Romain MIGUS

»» http://www.romainmigus.com/2018/04/venezuela-je-refuse-detre-pris-pour-une.html

(1) “¿Quiénes son los candidatos a presidenciales en Venezuela ?”, Telesur, 08/03/2018, https://www.telesurtv.net/news/venezuela-cne-cinco-candidatos-elecciones-presidenciales-20180307-0045.html

(2) “Hinterlaces : 52% de los venezolanos votarán por Maduro en presidenciales”, Últimas Noticias, 15/04/2018, http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/politica/hinterlaces-52-los-venezolanos-votaran-maduro-presidenciales/

(3) “Donald Trump no descarta la opción militar contra Venezuela”, Cubadebate, 12/08/2017, http://www.cubadebate.cu/noticias/2017/08/12/donald-trump-no-descarta-la-opcion-militar-contra-venezuela/#.WtelCS_pM9c

(4) Voir par exemple en 2016 : “Oposición pide elecciones anticipadas en Venezuela”, El Nuevo Diario, 04/11/2016, https://www.elnuevodiario.com.ni/internacionales/409260-oposicion-pide-elecciones-anticipadas-venezuela/ou en janvier 2017 : “Oposición convoca a marcha para exigir elecciones anticipadas”, Última Hora, 18/01/2017, http://ultimahoradigital.com/2017/01/oposicion-convoca-a-marcha-para-exigir-elecciones-anticipadas/ou encore en avril 2017, demande cette fois-ci exprimée par Julio Borges au nom de l´Assemblée Nationale : “Mayoría opositora de la Asamblea Nacional de Venezuela exige elecciones presidenciales anticipadas y "clausura" el diálogo con el gobierno de Maduro”, BBC Mundo, 27/04/2017, http://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-39739963

(5) Cathy Dos Santos, “Venezuela. « Il faut diversifier notre économie sans toucher au social »”, L´Humanité, 03/04/2018, https://www.humanite.fr/venezuela-il-faut-diversifier-notre-economie-sans-toucher-au-social-652993

(6) Fondé par les gouvernements de droite de l´Argentine, du Brésil, du Chile, de la Colombie, du Costa Rica, du Guatemala, du Honduras, du Mexique, du Panama, du Paraguay et du Pérou, le Groupe de Lima est un groupe de pression diplomatique régional contre la Révolution Bolivarienne.

(7) L´auteur de ces lignes a déjà participé aux élections municipales et régionales de 2013.

(8) Sur cet épisode tragique voir Romain Migus, “Nuit de cristal au Venezuela” Venezuela en Vivo, 17/04/2013, http://www.romainmigus.com/2013/06/nuit-de-cristal-au-venezuela.html

(9) “Jimmy Carter : "El sistema electoral venezolano es el mejor del mundo", RT, 20/09/2012, https://actualidad.rt.com/actualidad/view/54145-jimmy-carter-sistema-electoral-venezolano-mejor-mundo

(10) José Vicente Rangel, “La suerte está echada”, Últimas Noticias, 16/04/2018, http://www.ultimasnoticias.com.ve/noticias/opinion/espejo-jose-vicente-rangel-la-suerte-esta-echada/

(11) “Mike Pence : “Venezuela es un Estado fallido”, El Nacional, 14/04/2018, http://www.el-nacional.com/noticias/latinoamerica/mike-pence-venezuela-estado-fallido_230996

(12) L´élection de Manuel Valls fut finalement validée par le Conseil Constitutionnel.

(13) “Informe de Red de Apoyo demuestra que más del 50% de los 142 fallecidos en guarimbas de 2017 no participaban en manifestaciones”, Alba Ciudad, 05/02/2018, http://albaciudad.org/2018/02/comision-de-la-verdad-informe-red-de-apoyo-142-muertos-guarimbas-2017/

(14) “Por qué el "antejuicio" al presidente Maduro no tiene legitimidad jurídica”, Misión Verdad, 17/04/2018,http://misionverdad.com/La-guerra-en-venezuela/por-que-el-antejuicio-al-presidente-maduro-no-tiene-legitimidad-juridica

(15) “¿Por qué suspenden como fiscal de Venezuela a Luisa Ortega ?”, Telesur, 05/08/2018, https://www.telesurtv.net/news/Por-que-suspenden-como-fiscal-de-Venezuela-a-Luisa-Ortega-20170805-0027.htmlainsi que “Luisa Ortega Díaz coopera con el FBI para criminalizar a Venezuela”,Misión Verdad, 31/10/2017, http://misionverdad.com/LA-GUERRA-EN-VENEZUELA/luisa-ortega-diaz-informante-del-gobierno-estadounidense-para-criminalizar-a

(16) Voir Fernando Casado, El nuevo invento para atacar a Venezuela : El Cartel de los Soles, 01/06/2015, http://www.rebelion.org/docs/200755.pdf

(17) Une recherche des mots “narcodictadura” ou “narcoregimen” sur Google est assez éclairante. Ces termes ont été introduits par les médias suite à des tournés politiques de leaders de l´opposition. Ainsi, plusieurs médias d’Espagne, de Colombie, du Guatemala, d´Argentine et d´Equateur ont largement repris le terme lors d´interviews de Miguel Henrique Otero (lui même propriétaire du journal vénézuélien d´opposition) en 2017. Un an plus tard, alors que la “narcodictature” est tombée dans l´oubli médiatique, c´est au tour d’Antonio Ledezma de repopulariser cette terminologie auprès des médias. Il va sans dire qu´aucune des couvertures médiatiques qui accusent le Venezuela d´être une « narco-dicatature » n´apporte de preuves concrètes de ce qu´elles avancent.

(18) “Etats-Unis : le fils du président du Suriname lourdement condamné” RFI, 12/03/2015, http://www.rfi.fr/ameriques/20150312-etats-unis-fils-president-suriname-lourdement-condamne-desi-bouterse-dino et “Trafic de drogue en Mauritanie : onze personnes incarcérées dont le fils d’un ex-président”, Jeune Afrique, 05/02/2016, http://www.jeuneafrique.com/depeches/300279/societe/trafic-de-drogue-mauritanie-onze-personnes-incarcerees-dont-fils-dun-ex-president/

(19) Voir la vidéo de l´intervention d´Antonio Ledezma sur https://www.voanoticias.com/a/antonio-ledezma-reunion-vicepresidente-mike-pence-cumbre-americas/4347460.html#player-set-time=0.00001

(20) Patrick Saint Paul, “Antonio Ledezma : « Il faut une intervention pour renverser Maduro »”, Le Figaro, 23/02/2018, http://www.lefigaro.fr/international/2018/02/23/01003-20180223ARTFIG00339-antonio-ledezma-il-faut-une-intervention-pour-renverser-maduro.php

(21) Des documents déclassifiés ont dévoilé que le président des Etats-Unis Richard Nixon (1969-74) avait demandé à son administration de « faire hurler l´économie chilienne » dans le but de renverser le président socialiste d’alors Salvador Allende (“ to make the economy scream” to prevent Allende from coming to power or to unseat him.”)

(22) Pacualina Curso, “Blocus criminel contre le Venezuela”, Le Grand Soir, 09/04/2018, https://www.legrandsoir.info/blocus-criminel-contre-le-venezuela-ultimas-noticias.html

(23) Les chiffres de l´immigration vénézuélienne donnent lieu à d´intenses spéculations de la part de bon nombre d´ONGs. Sur ce thème voir Falacias e imprecisiones sobre la migración venezolana, Misión Verdad, 02/03/2018, http://misionverdad.com/LA-GUERRA-EN-VENEZUELa/falacias-e-imprecisiones-sobre-la-migracion-venezolana

(24) Organisation des Nations Unies pour l´alimentation et l´agriculture,“L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2017 », http://www.fao.org/3/a-I7695f.pdf

(25) “No hay crisis humanitaria en Venezuela, dice experto de ONU”, Telesur, 20/02/2018, https://www.telesurtv.net/news/Experto-ONU-Alfred-de-Zayas-Venezuela--20180220-0053.html

(26) Sur ce thème voir Maurice Lemoine, “Bonnes et mauvaises victimes au Venezuela”, Le Grand Soir, 18/02/2016, https://www.legrandsoir.info/bonnes-et-mauvaises-victimes-au-venezuela.html, ainsi que Romain Migus et Eva Golinger, La Telaraña Imperial, Caracas, ed. CESE, 2008. Disponible sur http://www.romainmigus.com/2013/06/la-telarana-imperial.html

(27) “Éxodo de venezolanos obliga movilización militar en fronteras de Brasil, Colombia y Guyana”, Yahoo noticias, 12/02/2018, https://es.noticias.yahoo.com/exodo-de-venezolanos-obliga-movilizacion-militar-en-fronteras-de-brasil-colombia-y-guyana-142004472.html

(28) Mariana Escobar Roldán, “Colombia alista campos de refugiados para venezolanos”, 28/08/2018, El Colombiano, http://www.elcolombiano.com/colombia/colombia-alista-campos-de-refugiados-para-venezolanos-EN7186336


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