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Une nouvelle vague révolutionnaire traverse la Bolivie, par Jorge Martin.


 Trois articles à la suite :


. Une nouvelle vague révolutionnaire traverse la Bolivie, par Jorge Martin.

. Brève chronologie de la crise bolivienne, par R.B.

. L’ancienne cité d’argent et l’enfer de ses mineurs, par Irene Caselli.





Une nouvelle vague révolutionnaire traverse la Bolivie.


La Riposte, 2 juin 2005.


Le lundi 16 mai, une nouvelle mobilisation massive des travailleurs et paysans boliviens a éclaté. C’est l’adoption de la loi sur les Hydrocarbures qui a déclenché cette dernière vague de grèves, de blocages des routes, de marches et de manifestations. Il s’agit d’une confirmation du fait que le soulèvement révolutionnaire qui a renversé le gouvernement de Sanchez de Losada, en octobre 2003, n’avait pas abouti à une victoire décisive des travailleurs et des paysans. Leurs principales revendications - la nationalisation du gaz et du pétrole, actuellement entre les mains des multinationales - n’avaient pas été satisfaites. Le président Carlos Mesa, qui a succédé à Lozada, s’est efforcé de manoeuvrer entre les puissants intérêts des multinationales et les masses radicalisées du pays. Le problème, c’est que leurs intérêts sont irréconciliablement contradictoires. Il y a un mois, Mesa est intervenu à la télévision pour expliquer la réalité de la situation : « Les multinationales dirigent ce pays », a-t-il déclaré, ajoutant qu’aucune loi sur les Hydrocarbures ne pouvait être adoptée si elle ne leur convenait pas. La suite de l’intervention de Mesa peut être résumée ainsi : si vous ne voulez pas de moi, je démissionnerai et vous aurez affaire au seul parlement, qui est encore plus réactionnaire que moi. De la part de Mesa, il s’agissait d’une tentative désespérée de démobiliser le mouvement - et de rester au pouvoir. Cette manoeuvre typiquement bonapartiste a d’abord semblé fonctionner. Mais en réalité, elle n’a fait que retarder de quelques semaines l’explosion révolutionnaire. La loi sur les Hydrocarbures proposée par Mesa augmente la taxation des multinationales, laissant les royalties au même niveau. Mais elle est en dessous de ce que prévoyait le référendum organisé à ce sujet il y a un an, à savoir 50% de royalties sur l’extraction du gaz et du pétrole. Cette proposition de Mesa était appuyée par Evo Morales, le leader du MAS (Mou vement vers le socialisme), qui jouit d’une large popularité parmi les paysans cocaleros de la région de Chapare. En réalité, cette proposition était une tentative de contourner la revendication de la COB, la centrale syndicale bolivienne, et des organisations des habitants d’El Alto, une ville ouvrière à proximité de La Paz qui a joué un rôle clé dans le soulèvement d’octobre 2003. Les questions du référendum étaient formulées de telle manière que les gens votent positivement. Les organisations ouvrières l’appelaient le « traparendum » (le « piègerendum »). Mais même ce compromis - les 50% de royalties - ne satisfaisait pas les multinationales, qui ont fait clairement savoir qu’elles ne s’y soumettraient pas. Et comme l’a souligné Mesa, ce sont elles qui dirigent le pays ! Ainsi, le parlement (toujours dominé par les partis qui soutenaient Lozada), les multinationales, Carlos Mesa et les masses boliviennes ont bataillé pendant un an et demi sans parvenir à une conclusion. La loi q ui a finalement été votée par le parlement était une version plus favorable aux multinationales que ce que le référendum avait proposé. Mesa savait qu’elle serait extrêmement impopulaire. Aussi a-t-il fait mine de s’en distancer, et a refusé de la signer, le 17 mai, avant de l’envoyer devant le parlement - sans amendements. Le président du parlement, Hormando Vaca Diez, a pris sur lui de signer la loi. Cependant, entre temps, une vague de grèves et de manifestations avait déjà commencé.

Le 16 mai, près de 100 000 personnes, dont la majorité venaient d’El Alto, manifestaient devant le parlement pour demander la démission de Mesa. Leurs principaux slogans étaient : « Mesa, traître, on veut ta démission ! » et « le parlement est un repère de voleurs ; il doit être fermé ! » Le jour suivant, les organisations ouvrières d’El Alto décidaient d’organiser une grève générale indéfinie des travailleurs d’El Alto et de lutter pour la nationalisation des hydrocarbures. Dans les jours qui ont suivi, d’autres secteurs se sont joints à la lutte. Les syndicats des enseignants de La Paz ont appelé à une grève illimitée, et les syndicats paysans ont commencé à organiser le blocage des routes à travers le pays. Le 16 mai, le congrès national de la fédération des mineurs a décidé de suspendre sa session et de se joindre au mouvement. Quelques jours plus tard, des centaines de mineurs armés de bâtons de dynamite sont arrivés à La Paz et ont participé aux manifes tations et aux affrontements avec la police. Dans le même temps, le MAS a organisé une marche de milliers de paysans de Cochabamba vers la capitale, soit 190km. Les vendeurs ambulants de la Paz, les travailleurs des transports, les étudiants de l’Université d’El Alto et de nombreux autres secteurs ont également rejoint le mouvement.


Le cabildo abierto du 23 mai

Le lundi 23 mai, plusieurs grandes manifestations ont eu lieu à la Paz, et un grand nombre des manifestants ont convergé vers la place de San Franciso, où ils ont proclamé la session d’un cabildo abierto (une réunion de masse ouverte où les habitants d’une localité discutent de leurs problèmes). Ce cabildo avait été convoqué par le MAS pour discuter de la stratégie et des revendications du mouvement. Lorsque les colonnes de paysans en route pour La Paz sont passés à El Alto, elles ont été accueillies par des travailleurs et des étudiants en lutte qui criaient : « Ni 30 ni 50% - nationalisation ! », ce qui revenait à rejeter les propositions de Mesa et de Morales. La plupart des paysans du MAS ont repris le mot d’ordre. Depuis quelques temps, il était devenu clair que la position modérée de Morales, qui demandait 50% de royalties, n’avait plus le soutien de la base militante du MAS. La principale revendication était désormais la nationalisation. S’adressant au cabildo, Jaime Morales, le leader de la COB, a affirmé que « nous ne voulons ni d’Hormando, ni de Mesa. Nous voulons un gouvernement du peuple. » C’est un point de vue conforme aux résolutions de l’Organisation ouvrière régionale d’El Alto (Union COR), qui a appelé à « une lutte unie, militante et non négociable pour l’expulsion des multinationales, du gouvernement traître de Carlos Mesa, du parlement composé de laquais des multinationales, et pour l’organisation d’Assemblées du Peuple en vue de la prise du pouvoir. » La contradiction entre les intérêts des classes en lutte a été établie de façon claire et a été comprise par des dizaines de milliers de travailleurs et de paysans. Il y a d’un côté les multinationales, l’oligarchie locale, Mesa, le gouvernement, le parlement, et de l’autre les travailleurs, les paysans et les pauvres boliviens. Et la question de savoir qui dirige le pays est désormais au premier plan. Evo Morales, qui représente la section modérée de la direct ion du mouvement, a été hué par la foule lorsqu’il a tenté de défendre la mesure des 50% de royalties. Il a également défendu l’idée selon laquelle Mesa et le parlement devraient convoquer une assemblée constituante. Cette revendication n’a pas fait pas l’unanimité parmi les travailleurs et paysans en lutte. En effet, des organisations ouvrières demandent pour leur part la fermeture du Parlement par la force et la convocation d’Assemblées Populaires. L’idée d’une Assemblée Constituante, que les dirigeants du MAS ont défendue depuis l’insurrection d’octobre 2003, a par contre été accueillie avec enthousiasme par la Banque Mondiale et l’oligarchie, qui y voyaient une occasion de détourner l’attention des masses de problèmes les plus brûlants. Si la classe dirigeante pensait que son pouvoir était directement menacé par le mouvement révolutionnaire, elle n’hésiterait pas à convoquer une telle assemblée, dans la mesure elle celle-ci ne toucherait pas au pouvoir des capitalistes et des multinationales.


La question du pouvoir

Il est clair que le problème du pouvoir est posé de façon nette. Cependant, cette fois-ci encore, il semble que les dirigeants syndicaux tels que Solares, Zubieta et De la Cruz, qui sont les plus en phase avec la base militante, et qui en formulent plus précisément les revendications, n’ont pas de plan précis sur la question du pouvoir. En octobre 2003, une situation similaire s’était développée. Les travailleurs, les paysans et les mineurs armés de bâtons de dynamite avaient encerclé le Parlement et réclamé un gouvernement ouvrier et paysan. La puissance du mouvement avait renversé le gouvernement de Lozada. Cependant, lorsque Mesa (jusqu’alors vice-président de Lozada) est entré en scène et a promis de satisfaire toutes les revendications du mouvement, les mêmes dirigeants syndicaux qui avaient lancé le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et paysan ne savaient pas quoi faire, et ont permis à Mesa de succéder à Lozada. Les institutions démocratiques du capit alisme bolivien sont très discréditées aux yeux des masses. Mais si on ne leur présente pas une alternative viable, elles ne sauront pas quoi mettre à la place. Des éléments de pouvoir ouvrier ont émergé en octobre 2003, en particulier à El Alto, sous la forme de comités de travailleurs et de paysans démocratiquement élus. Des réunions massives dans tous les quartiers prenaient en charge tous aspects de la vie quotidienne - la distribution de nourriture, le soin apporté aux enfants et aux personnes âgées, la protection de la communauté, etc., - et élisaient des représentants aux Assemblées d’El Alto. Si ce système avait été étendu à l’ensemble du pays aux niveaux local, régional et national, culminant dans une Assemblée Révolutionnaire des travailleurs, des paysans et des pauvres, cela aurait constitué une alternative à l’Etat capitaliste. Lorsque le problème du pouvoir est aussi nettement posé, la question cruciale à laquelle il faut répondre est : si on ferme le parlement bourgeo is, qu’est-ce qu’on met à la place ? La contre-offensive de la réaction Il va de soi que, face à une situation critique comme celle qui se développe en Bolivie, la classe dirigeante ne va pas rester les bras croisés. L’une de ses stratégies consiste à tenter de diviser le mouvement suivant des lignes régionales, notamment dans les régions de Santa Cruz et Tarija. Les oligarchies de ces régions appellent à un référendum sur leur autonomie pour le 12 août. La classe dirigeante bolivienne s’est toujours efforcée d’exploiter les prétendues divisions entre le Haut Plateau et les plaines, dans le but de faire dérailler la lutte des classes. Le raisonnement de l’oligarchie réactionnaire de Santa Cruz et d’autres régions de l’Est est le suivant : « nous avons les ressources naturelles, et si on parvient à se débarrasser des fauteurs de trouble révolutionnaires des montagnes andines, tout ira bien. » Les capitalistes régionaux spéculent sur le fait qu’en se déclarant « autonomes », ils pourraient parvenir à des accords locaux avec les multinationales qui exploitent les réserves de gaz et de pétrole, ces dernières se situant principalement dans ces régions. Si les oligarchies régionales s’engageaient sérieusement dans la direction de l’autonomie ou de la séparation, cela signifierait la guerre civile, non seulement suivant une ligne régionale, mais également suivant une ligne de classe. Le mouvement des travailleurs et des paysans de Santa Cruz et Tarija a fait clairement savoir qu’il était opposé à toute tentative de diviser le pays. Par ailleurs, cette stratégie d’une section de l’oligarchie menace de couper l’armée en deux. Le haut commandement bolivien a déclaré qu’il était opposé à toute division du pays. Des rumeurs de coup d’Etat circulent, et l’armée comme la police se sont déclarées dans un « état d’alerte élevé ».


Divisions au sein de l’armée.

Le bruit circule également qu’une section des officiers de l’armée n’apprécie pas de voir les ressources naturelles du pays cédées à des multinationales étrangères, de sorte que ces militaires pourraient ainsi servir de base à un mouvement nationaliste au sein de l’armée. Apparemment, il existerait déjà un mouvement d’officiers mécontents : les « évêques noirs ». Lors du cabildo abierto du lundi 23 mai, Jaime Solares a déclaré que s’il existait un officier honnête qui était prêt à prendre le pouvoir, il le soutiendrait. A Evo Morales, qui disait qu’on aurait alors une dictature militaire, les dirigeants syndicaux ont répondu en citant l’exemple de Chavez, au Venezuela (Chavez est d’ailleurs un ami politique de Morales). Lors d’un grand meeting, à El Alto, quelqu’un a dit : « Nous avons besoin d’un nouveau Juan Jose Torres ». Torres était un officier qui est arrivé au pouvoir en 1970, en pleine crise révolutionnaire, et qui a essayé de prendre des mesures radi cales. Mais il était en même temps incapable d’éliminer les racines des problèmes, lesquelles plongent dans le système capitaliste lui-même. Il a été renversé en juillet 1971 par le coup d’Etat de Banzer. Les dirigeants ouvriers avaient placé leur confiance dans cet homme qui, dans ses discours radicaux, promettait d’armer les travailleurs, mais n’avaient pas préparé d’alternative. Au moment décisif, ils se sont trouvés désarmés face au coup d’Etat et ont été écrasés. Toute l’histoire de la Bolivie montre que les officiers nationalistes de gauche qui ont pris le pouvoir n’ont jamais résolu les problèmes des travailleurs et des paysans. Le soutien que ces derniers ont apporté aux militaires a toujours débouché sur une grave défaite. Ceci dit, il est clair qu’avec la question du pouvoir se pose également celle des forces armées. Solares avait raison de dire que « nous devons diviser les forces armées ». Mais pour ce faire, il faut organiser un puissant mouvement révolutionnaire dans la classe ouvrière et la paysannerie. Seul un tel mouvement offrirait à la base de l’armée et aux officiers mécontents une alternative sérieuse. L’histoire de la Bolivie est pleine d’exemples de ce type. En 1952, les mineurs ont battu l’armée et créé des milices d’ouvriers et de paysans. Plus récemment, lors de l’insurrection de février 2003, la mutinerie des forces de police a joué un rôle clé. En octobre de la même année, la police a laissé avancer vers le parlement des dizaines de milliers de mineurs et de travailleurs, armés de bâtons de dynamite et criant : « Guerre civile ! ». Certains officiers les ont même salué en levant le poing. Nombre de soldats ont refusé de tirer sur les manifestants d’El Alto. Cela indique clairement que la police et l’armée ne sont pas monolithiques, et pourraient être divisées suivant une ligne de classe. Ce serait une erreur de remplacer la tâche d’établir une structure nationale d’assemblées et des comités révolutionnaires par l’espoir qu’un « officier nationaliste honnête » surgira et réglera les problèmes. L’insurrection de janvier 2000, en Equateur, en est une bonne illustration. Face à la mobilisation révolutionnaire du peuple, une section d’officiers subalternes, dirigés par Lucio Gutierrez, s’est ralliée au mouvement et a aidé les travailleurs et les paysans à prendre le pouvoir. Cependant, faute de plan et de programme, le pouvoir leur a glissé des mains. Lorsque, plus tard, Gutierrez a été élu à la présidence du pays avec l’appui massif de travailleurs et paysans boliviens, il a rapidement évolué vers la droite, au point de se transformer en un pion de l’impérialisme américain. Rien ne peut se substituer aux organes démocratiques du mouvement révolutionnaire lui-même.





La journée du 31 mai

En ce moment, en Bolivie, le véritable pouvoir est dans la rue. C’est ce qu’ont nettement montré les évènements du 31 mai. Une série de marches et de manifestations ont convergé vers le parlement bolivien, qu’elles ont encerclé. Quelques 100 000 mineurs, paysans, enseignants, travailleurs d’El Alto ont crié leur colère dans les rues de La Paz. Les manifestants n’étaient pas seulement là pour faire pression sur les députés, mais surtout pour s’assurer qu’ils accepteraient de donner satisfaction à leur principale revendication : la nationalisation des hydrocarbures.

Le parlement était supposé commencer sa session à midi. Mais très peu de députés étaient présents. Les députés de Santa Cruz et d’autres régions de l’Est ont refusé d’assister à une session sans accord préalable relatif aux référendums sur l’« autonomie » qu’ils appellent à organiser pour le 12 août. Le président du Parlement, Vac Diez, qui soutient fermement les intérêts de la classe dirigeante, et que certains proposent pour remplacer Mesa, n’a fait qu’une incursion de quelques minutes dans les bâtiment encerclé. Jaimes Solares a menacé de « brûler le Parlement » s’il ne se prononçait pas sur la nationalisation du gaz. Mais finalement, la session parlementaire s’est achevée tard dans la nuit, avec seulement 66 députés présents sur 157, et sans parvenir au moindre accord.

Mesa est complètement suspendu en l’air. Il a accusé Jaimes Solars et l’un des dirigeants de la fédération des travailleurs d’El Alto, Roberto de la Cruz, de subversion et de conspiration contre le gouvernement, mais il est parfaitement incapable de les arrêter. A ce stade précis, il est peu probable que, malgré ses efforts pour mobiliser l’armée, Mesa puisse l’utiliser contre les masses. En effet, comme ce fut le cas en octobre 2003, cela ne ferait que radicaliser le mouvement et précipiter sa propre chute. En outre, on ne sait pas dans quelle mesure l’armée obéirait à ses ordres.

Cependant, les masses ne peuvent rester indéfiniment dans un état de mobilisation permanente. Si la crise révolutionnaire n’est pas résolue à l’avantage des travailleurs et des paysans, la fatigue et la désillusion risquent d’affecter le mouvement. La classe dirigeante passerait alors à l’offensive. Et pour écraser le mouvement révolutionnaire, elle n’aurait d’autre option que de mettre en place une brutale dictature militaire. La riche histoire de la Bolivie est pleine de ce genre de revers. L’avant-garde actuelle de la révolution bolivienne doit étudier cette histoire et en tirer les conclusions qui s’imposent.

Jorge Martin


 Source : www.lariposte.com

redaction@lariposte.com.



Brève chronologie de la crise bolivienne


Par R.B


GUERRE SOCIALE, SOUVERAINETE NATIONALE ET REVOLUTION


Année 2000

Les paysans s’insurgent contre le prix de l’eau (débuts de la "guerre de l’eau"). Les mouvements de protestation se multiplient contre le prix de l’eau, le chômage et les difficultés économiques. Le gouvernement du président Hugo Banzer décrète l’état de siège pour trois mois.

Avril 2002

L’insurrection de Cochabamba expulse la transnationale californienne Bechtel, qui était en charge des réseaux d’eau potable et d’assainissement de la 3e ville du pays.

Février 2003

Trois jours d’explosion populaire obligent le président Gonzalo Sanchez de Lozada à renoncer au projet fiscal d’imposition des salaires des fonctionnaires qu’exige le FMI. L’ "Impuestazo" fait au moins 30 morts.

Septembre-octobre 2003

Ce qu’on a appelé la "guerre du gaz", un mois d’insurrection populaire, chasse le président Gonzalo Sanchez de Lozada, qui s’enfuit à Miami. Au moins 80 morts. Son vice-président, Carlos Mesa, assume la présidence. Il cherche aussitôt à temporiser, afin de désamorcer le mouvement social et de le diviser. Le Mouvement vers le Socialisme (MAS) d’Evo Morales lui apporte un soutien critique.

Le mouvement de sécession

Depuis novembre 2003 l’oligarchie réactionnaire des patrons et propriétaires terriens de Santa Cruz (2e ville du pays et province la plus riche) provoque des mobilisations pour l’autonomie des provinces de l’Est, qui détiennent les ressources pétrolières. Les temps-forts de cette agitation sont les journées des 25 juin 2004, 11 novembre 2004 et 10 janvier 2005, au cours desquelles l’oligarchie proclame la sécession, comme réponse au mouvement social ouvrier et paysan de récupération nationale des richesses du sous-sol et de lutte contre la grande propriété foncière. La province de Santa Cruz, centre économique du pays, avec 2,3 millions d’habitants, possède avec celle voisine de Tarija, plus de 85% des réserves de gaz et de pétrole du pays.

Le référendum de juillet 2004

Le 10 juillet a lieu le référendum sur les hydrocarbures. Celui-ci est boycotté par une partie des mouvements sociaux. Néanmoins ceux qui votent se prononcent à 86,4% pour la réforme de la loi et à 92,2% pour la récupération par l’Etat de la propriété des hydrocarbures à la sortie des puits, ce qui devrait se traduire par l’expropriation des transnationales. Pour les radicaux, ce référendum n’a été qu’une mascarade.

Janvier 2005

Les 10 et 11 janvier une nouvelle flambée sociale secoue le pays. L’ensemble du mouvement social manifeste contre la hausse du prix du gaz imposée par le FMI ("gazolinazo"). A Santa Cruz, l’opposition patronale au "gazolinazo" se traduit par une déclaration sécessionniste (proclamation d’autonomie du 28 janvier), alors que la population d’El Alto La Paz expulse la transnationale française Suez-Lyonnaise des Eaux qui gère l’eau potable de la grande cité populaire rebelle (1 millions d’habitants) située sur les hauteurs de la Paz.

Mars 2005

Mesa louvoie. Il fait voter une loi sur les hydrocarbures qui ne change rien (18% de royalties sur les recettes incontrôlables des transnationales). Il feint de démissionner, afin de désactiver le mouvement social et d’unir la réaction (constitution d’un "Pacte National entre les partis patronaux).

Le 9 mars les organisations COB, FEJUVE (Fédération des assemblées de quartiers), CSUTCB (paysans indigénistes menés par Felipe Quispe), MAS (leader : Evo Morales), etc., forment de leur côté un "Front Unique".

Le 18 mars une nouvelle loi sur les hydrocarbures est votée au parlement, un peu moins favorable aux transnationales (taxation supplémentaire) mais qui ne change rien sur l’essentiel, à savoir qu’elle ne touche pas à la propriété des ressources. Le texte doit encore être soumis au Sénat.

Alors que certains souhaitent des élections anticipées, comme Mesa lui-même l’a proposé (selon le calendrier électoral les présidentielles et législatives sont pour 2007), que d’autres et parfois les mêmes pensent résoudre la crise politique et de gouvernabilité par une Constituante, il ne fait pas de doute que de nouveaux affrontements sont inévitables. Pour quelle issue ? Les deux camps fourbissent leurs armes.

Mai 2005

Le 5 mai, le vote par le Congrès de la nouvelle loi sur les hydrocarbures relance la mobilisation sociale.

Le 9 mai, Evo Morales, qui se trouvait à Cuba (où il a été opéré du genou le 21 avril), rentre en Bolivie.

Le 10 mai, Mesa refuse de signer la nouvelle loi qui améliore la part du pays sur les dividendes énergétiques (sur la base de 18% de regalias, qui portent sur la valeur du gaz à la sortie des puits, et 32% d’impôt sur les profits des compagnies).

Au sein du mouvement social, 2 positions se dégagent :

Celle autour du MAS, qui ne réclame pas la nationalisation, mais "50% de royalties sur le gaz extrait".

Celle des habitants d’El Alto, avec la Fejuve, de la COB et des paysans andins de la CSUTCB, exige la (re)-nationalisation des hydrocarbures avec des mots d’ordre tels que "démission de Mesa", "fermeture du Parlement", "ouvriers et paysans au pouvoir", "peuple au pouvoir". Ces mots d’ordre s’entendent dans les rues de La Paz à longueur de journées dans la bouche des enseignants, mineurs, étudiants, chômeurs et paysans qui manifestent et font le siège des bâtiments gouvernementaux.

Le dirigeant de la COB Jaime Solares appelle Evo Morales à "respecter le pacte d’unité signé, lequel vise la nationalisation".

Le 25 mai, un groupe de jeunes militaires (menés par 2 lieutenants-colonels) appelle à l’unité civico-militaire pour la nationalisation du gaz et du pétrole, la fermeture du Congrès et le départ de Mesa. Evo Morales exprime son désaccord sur cette démarche. Jaime Solares, pour sa part, déclare : "Dire que si surgit un Chavez, je le soutiendrais, ce n’est armer aucun coup d’Etat".

Après 2 semaines de luttes massives intenses, le mouvement s’accorde une petite trêve le 26 mai, jour férié de la Fête-Dieu. Mais le lendemain, les barrages reprennent...


QUELLE ISSUE ?

L’analyste politique Alvaro Garcia Linera dresse le constat suivant : "Pour les mouvements sociaux se pose à nouveau la question du pouvoir, mais dans la voie électorale comme dans la voie insurrectionnelle, qui sont les uniques méthodes à leur disposition, ils sont faibles, d’où l’impasse actuelle". Dès lors, estime t-il, la seule possibilité d’articulation passe par l’Assemblée Constituante (Pagina/12, 24-05-05). C’est aussi la thèse soutenue par Evo Morales.

La position du Parti Communiste de Bolivie est différente (communiqué du 26-05-05). A son sens, les forces du camp populaire ne sont pas prêtes pour la prise immédiate du pouvoir, et il met en garde contre les actions aventureuses qui ne feraient que le jeu de la droite et de l’impérialisme. Le PCB affirme que la division est organisée de l’étranger et que des agents de l’impérialisme sont infiltrés dans le mouvement ouvrier et populaire. La seule voie raisonnable est, dans la situation actuelle, d’exiger des élections générales et l’union des forces dans un vaste bloc patriotique, populaire, anti-oligarchique et anti-impérialiste.

Pour l’extrême gauche, la situation est toute autre. Les élections comme l’Assemblée Constituante sont des pièges destinés à sauver les classes dominantes et les intérêts de l’impérialisme. Les travailleurs doivent se donner pour tâche la conquête du pouvoir politique et du pouvoir économique et constituer leur gouvernement à eux d’ouvriers et de paysans. Pour expulser les transnationales, la seule manière est l’action directe des travailleurs, la voie insurrectionnelle.

R.B





L’ancienne cité d’argent et l’enfer de ses mineurs


Par Irene Caselli, il manifesto.


Alberto a 29 ans et se plaint de son travail : les conditions sont précaires, l’espace réduit et la compagnie rare. « Ca ne me plaît pas » dit-il, « mais quelles sont les alternatives ? ». Nous sommes à 100 mètres sous terre, dans une cavité d’un mètre cinquante de haut. Rolando passe des journées entières seul, accroupi, creusant des trous de 30-50 cm dans la roche, sans autre outil qu’un scalpel. Il travaille depuis l’âge de 16 ans dans une des mines de Potosi, en Bolivie, et c’est l’un des plus chanceux : la plupart de ses collègues résistent au maximum dix ans avant de succomber à la silicose, la maladie pulmonaire due à l’inhalation des poussières minérales.

Potosi est un nom que seuls les passionnés de l’Amérique latine connaissent désormais chez nous. Pourtant l’histoire de l’Occident est étroitement liée à cette petite ville bolivienne qui fut en son temps la plus riche des Amériques. Quand on parcourt ses ruelles étroites et pentues, le contraste saute aux yeux, entre la population, en majorité indigène et parmi les plus pauvres du continent, et l’architecture coloniale raffinée, qui a valu à la ville le titre de patrimoine culturel de l’humanité, de l’Unesco. L’explication sur la splendeur et la décadence de Potosi se trouve dans les viscères de son Cerro Rico (littéralement montagne riche) qui autrefois était plein d’un argent pur et maintenant est un géant vide, dont on dit qu’il déborde du sang et de la sueur des milliers de mineurs qui y ont perdu la vie.


Le premier fut Huallpa

L’argent fut découvert en 1545 par l’indigène Huallpa, qui s’était perdu dans la montagne en poursuivant un lama. Quelques années plus tôt déjà , le roi inca Huayna Capac avait entendu parler de la richesse du cerro et avait donné l’ordre de creuser. Mais ses serviteurs, après avoir commencé les travaux, entendirent des voix menaçantes, en quechua, qui leur ordonnaient de partir. Epouvantés, ils s’enfuirent tous et changèrent le nom de la montagne : de Sumaj Orcko (« belle montagne ») à Potojsi’, qui signifie « tonne, explose ».

Les espagnols ne se laissèrent pas intimider par les malédictions ; ils recrutaient chaque année 12.000 indigènes pour les faire travailler dans les mines d’argent. En 1573, la cité comptait déjà 120.000 habitants, autant que Londres et plus que Séville, Madrid, Paris ou Rome. En 1650, avec 160.000 habitants, Potosi était une des plus grandes villes du monde. L’empereur Charles Quint de Habsbourg donna à la ville le titre de villa imperial et un emblème qui disait : "Je suis le riche Potosi, je suis le trésor du monde, je suis le roi des montagnes et l’envie des rois". Les fêtes, à la gloire de la couronne espagnole, duraient des mois entiers, alors que des dizaines d’églises et de palais étaient édifiés, ornés de matériaux précieux provenant du monde entier.

En 1605, Cervantès fait dire à son Don Quichotte « ça vaut un potosi » pour indiquer quelque chose de très grande valeur ; l’expression « c’est le Pérou » était déjà passée de mode. Des écrivains boliviens affirment qu’avec l’argent extrait du Cerro Rico pendant trois siècles, les espagnols auraient pu construire un pont reliant Potosi au palais royal de Madrid. Un tableau du 18ème siècle, « La Virgen del Cero », exposé maintenant à la casa de la Moneda (le troisième Hôtel de la Monnaie des Amériques, après Mexico et Lima), représente le monde aux pieds du Cerro Rico, symbolisant à quel point Potosi a été la base économique aussi bien de l’Amérique que de l’Europe.

A l’époque de l’administration espagnole, 80 esclaves mouraient chaque jour dans l’extraction de l’argent : ceux qui résistaient au voyage jusqu’à Potosi depuis les provinces voisines, ou aux accidents dans la mine, étaient décimés par la pneumonie à cause du choc thermique entre l’intérieur et l’extérieur de la montagne. Potosi est la ville la plus haute du monde : le Cerro Rico se trouve à 4 000 mètres au dessus du niveau de la mer et le froid y est constant, été comme hiver.


« Seulement 20 morts »

«  Les conditions sont meilleures, maintenant, et les accidents moins fréquents. Vingt personnes seulement sont mortes en 2004. Mais les mineurs qui travaillent dans les zones les plus dures meurent lentement », dit Rolando Colque Rios, le guide. La mine Candelaria Baja appartient à une coopérative et les mineurs gèrent tout, seuls. Le travail est flexible : on gagne normalement entre 500 et 600 bolivianos par mois (respectivement 58 et 68 euros) mais si une famille a besoin de plus d’argent, on peut travailler jusqu’à 24 heures par jour et avoir un salaire plus haut. On fait tous les travaux, par roulement, et les plus durs sont affectés aux jeunes, qui ont plus d’énergie. Les plus petits ont huit ans.

Alberto me dit qu’il ne s’ennuie pas à travailler seul toute la journée. Il dit qu’il change souvent et n’a pas de préférence. Entre la poussière, les minerais et les explosions de dynamite, on respire avec peine. Pendant que je lutte contre une crise d’asthme, il me demande : « Et toi, ça te plaît, la mine ? ».

Les mineurs s’habituent déjà à nous, les gringos, qui payons pour voir comment ils gagnent leur vie. Rolando nous explique que ça a été dur de se faire accepter. « Surtout au début, ils nous appelaient gringueros, avec mépris, et ils ne venaient pas nous parler. Mais maintenant ils sont en train de comprendre l’importance du tourisme dans la région », nous dit-il. Rolando a 34 ans et il a travaillé dans une de ces mines, mais ensuite il est arrivé à faire des études de tourisme et maintenant ça fait dix ans qu’il travaille comme guide.

«  Moi, je veux faire quelque chose pour les miens, pour faire connaître la Bolivie, pour faire connaître notre culture aux étrangers », me dit-il. Sa compagnie, Koala Tours (www.koalatoursbolivia.com) donne maintenant 15 % de son revenu à la coopérative et s’assure que tous les touristes ont un cadeau pour les mineros quand ils arrivent.


Dynamite au marché

Le tour, après une halte pour prendre l’équipement nécessaire, casque et lanterne compris, amène les touristes au marché des mineurs, où on peut acheter tout ce dont on peut avoir besoin sous terre : dynamite, mèches, (Rolando plaisante et dit qu’il peut nous faire une leçon de terrorisme), cigarettes, feuilles de coca, limonades.

Sous terre on ne mange pas, parce que la nourriture ne tient pas. Les mineurs passent des journées entières en mastiquant des feuilles de coca, qui éliminent la fatigue et la faim, et stimulent l’énergie. Un groupe, qui arrive sur un des chariots servant à ramasser le minerai creusé, se bat pour une bouteille de limonade. « Il faudra en porter plus la prochaine fois », dit Rolando.

«  L’important dans la mine c’est de rester de bonne humeur, de rire et de plaisanter. Pas vrai, Miguel ? », dit Rolando, en se tournant vers un des plus vieux, qui vient d’avoir cinquante ans.

Entre l’obscurité et la fatigue, il est difficile de percevoir l’âge des visages. Les mineros ont un rituel, qui s’appelle challa : ils boivent une eau de vie à 96 degrés pour gagner les faveurs de la pacha mama, la mère terre, et avant de l’avaler ils en offrent quelques gouttes au sol. Dans la période après le carnaval, certaines parois de la mine sont décorées de petits drapeaux colorés.

Dee ces tonnes de matériau sorties à la main et transportées péniblement, on extrait maintenant surtout de l’étain - dont la Bolivie est le pus grand exportateur du monde- du zinc et de la poudre d’argent. Mais seulement 60% du raffinage est effectué sur place ; le reste se fait dans des usines modernes, en Europe, parce qu’il n’y a pas, ici, les fonds nécessaires, seulement la main d’oeuvre spécialisée.

L’éducation, dit Rolando, est la clé pour résoudre les problèmes du pays, où il y a encore 13% d’analphabétisme. « Ici, beaucoup essaient de faire le sacrifice et d’aller aux cours du soir pour finir leurs études. Mais ils sont complètement épuisés après la journée de travail. D’autres abandonnent l’école. Dans les mines, il y a 2000 enfants qui n’y sont jamais allé ».


Une phrase de José Marti

Sur un des murs de la ville, il y a un murales avec une phrase du révolutionnaire cubain José Marti qui dit : « L’éducation est le seul moyen de sortir de l’esclavage ». Pour beaucoup le pays est encore esclave, aux mains des multinationales étrangères. En octobre 2003, Gonzalo Sanchez de Lozada, le président pro étasunien et néolibéral, favorable aux privatisations sauvages, fut obligé de s’enfuir après des semaines de grandes manifestations populaires. Son successeur, l’actuel chef de l’état Carlos Mesa, avait promis, entre autres choses, de promulguer une loi sur les hydrocarbures, qui augmente les taxes des compagnies étrangères pour l’extraction du gaz naturel, dont la Bolivie est un grand producteur. Mais Mesa continue à décevoir, et la mobilisation populaire grandit. En janvier dernier, les protestations ont entraîné l’expulsion d’une énième multinationale hors du sol bolivien, la compagnie française Suez Lyonnaise des Eaux, qui administrait le service des eaux et le réseau des égouts à La Paz.

Un article de fond du journal El Potosi, le lendemain de ma visite à la mine, dit que les politiques devraient davantage écouter les gens, surtout les indigènes, sinon le pays se retrouverait dans la même situation qu’en 2003, quand une centaine de personnes mourut dans les affrontements avec la police.

Rolando a les idées claires : il faut plus de fonds pour l’éducation et plus d’investissements en infrastructures, et tout doit être en main des boliviens, qui ont déjà trop bradé leur pays. « Je veux simplement voir le développement de cette région et de notre pays, des infrastructures », dit Rolando avec son accent quechua. « Un aéroport serait déjà un grand pas en avant pour le tourisme. Nous voulons le mieux pour notre peuple, nous voulons que les choses fonctionnent ».

Irene Caselli


Edition du 13 avril 2005 de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it


 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.


 Extrait de Révolution Bolivarienne N°11.





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