RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Un racisme sans races

Relations : Y a-t-il continuité ou rupture entre le racisme d’hier et celui d’aujourd’hui qui a banni le mot race ?

Étienne Balibar : Il y a nécessairement des continuités essentielles, d’abord parce que les modes de pensée ou de représentation qui s’enracinent dans les sentiments d’appartenance et dans les images de la communauté n’évoluent que très lentement, mais surtout parce que - contrairement à ce que mes précédentes remarques pourraient donner à penser - le racisme n’est pas simplement un phénomène psychologique ; il a toujours une base institutionnelle. Il m’est arrivé de dire que tout racisme est un « racisme d’État » : c’est peut-être tordre le bâton exagérément dans l’autre sens. J’avais en vue la façon dont se développait en France l’idéologie de la « préférence nationale », autour de laquelle la droite et l’extrême-droite ont échangé une partie de leurs discours et de leurs électorats ; mais je crois quand même que tout racisme est inscrit dans des institutions et dans les « effets pathologiques » plus ou moins accentués liés à leur fonctionnement.

Historiquement, il y a trois grands ancrages institutionnels du racisme, qui évidemment ne sont pas complètement indépendants - et quand l’État se charge de les « totaliser » et de les « officialiser », on atteint des résultats terrifiants. Le premier, c’est ce que Michel Foucault a appelé la « biopolitique » des sociétés industrielles, qui traite le « matériel humain » comme une ressource exploitable, ce qui implique de le sélectionner, de l’évaluer et éventuellement de l’éliminer (ce que Bertrand Ogilvie appelle la « production de l’homme jetable »). Le second, c’est la xénophobie, ou ce que j’avais appelé - dans mon livre écrit avec Wallerstein, Race, nation, classe. Les identités ambiguës (La Découverte, 1988) - le « supplément intérieur » du nationalisme. Il s’agit de la représentation d’une certaine « identité » ou d’une certaine « pureté » biologique, culturelle ou religieuse, comme un ciment nécessaire à la préservation de l’unité nationale et à la protection contre ses ennemis de l’intérieur ou de l’extérieur (surtout peut-être ceux de l’intérieur…). Enfin, le troisième, c’est la représentation de la diversité des groupes humains à la surface de la terre sous la forme d’une concurrence entre des maîtres et des esclaves, ou simplement des civilisations « incompatibles ». Cette représentation, qui a été considérablement développée par le colonialisme, se reproduit dans le post-colonialisme, donc dans le monde des nouveaux rapports de force mondiaux. C’est ce qu’on pourrait appeler une sorte de « cosmopolitisme inversé », en opposition au cosmopolitisme issu de la tradition des Lumières. Car il n’en découle plus une reconnaissance mutuelle et une conscience d’appartenir à une même humanité, mais plutôt une intensification d’intolérance et un repli identitaire.

Eh bien, je pense qu’aucun de ces grands points d’ancrage institutionnels n’a disparu dans le monde d’aujourd’hui, mais aussi qu’il est très important d’analyser leurs variations. La biopolitique du capitalisme change, de même que les inégalités, les flux de populations, les dominations à l’échelle mondiale et même les fonctions et les tendances du nationalisme, qui dépend lui-même des situations nationales. C’est pourquoi l’idée de « race » se recompose, y compris en devenant invisible : par exemple dans ce qu’on a appelé le « racisme différentialiste » ou « culturaliste » et que j’avais moi-même appelé il y a quelques années un « racisme sans races ».

Extrait d’une entrevue avec le philosophe Étienne Balibar, publié dans la revue québécoise Relations (n° 763, mars 2013).

http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/

URL de cet article 19717
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Israël/Palestine - Du refus d’être complice à l’engagement
Pierre STAMBUL
Entre Mer Méditerranée et Jourdain, Palestiniens et Israéliens sont en nombre sensiblement égal. Mais les Israéliens possèdent tout : les richesses, la terre, l’eau, les droits politiques. La Palestine est volontairement étranglée et sa société est détruite. L’inégalité est flagrante et institutionnelle. Il faut dire les mots pour décrire ce qui est à l’oeuvre : occupation, colonisation, apartheid, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, racisme. La majorité des Israéliens espèrent qu’à terme, les (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Ceux qui qualifient les chômeurs et les handicapés de parasites ne comprennent rien à l’économie et au capitalisme. Un parasite passe inaperçu et exploite son hôte à son insu. Ce qui est la définition de la classe dirigeante dans une société capitaliste.

Jason Read

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.