« T’as rien fait tu l’as déjà dit
On va pas y passer la nuit ».
Fin de manif calme, quelque part en Sarkozie. Contrairement à Montreuil (flashball) ou Lyon (Bellecour), il ne s’est rien passé de susceptible d’alerter les médias.
Rien. Cependant, quelques rrrrrévolutionnaires moins coincés que les leaders syndicaux rameutent des jeunes : « Tous à la raffinerie, on va la bloquer ».
ô discrétion ! ô sainte naïveté !
Bien entendu, les CRS les attendent à la sortie du métro. Deux ou trois manifestants leur jettent des légumes pourris ramassés en bordure d’un marché de plein vent. Les autres décident de faire demi-tour. Parmi eux, ce lycéen de 17 ans qui voit des types en civil (la BAC) foncer sur lui. Fuite. Il est rattrapé dans le métro, jeté à terre, douleur au visage (une matraque), fouillé et tutoyé. En retour, il tutoie donc le flic, lequel jubile : « Outrage à agent ! ».
Menottes, commissariat, bureau d’un OPJ (Officier de Police Judiciaire) qui monte un dossier et consulte le procureur de la République pour savoir si on garde à vue. La réponse est non.
Le jeune étant mineur, les parents sont appelés et adoptent le profil bas des braves citoyens qui pourraient tout aussi bien aimer Sarko ou DSK. Ils font bonne impression, leur petit aussi, qui a compris le truc ; ça va (presque) s’arranger. Il pourra repartir après quelques formalités sécuritaires.
On l’emmène pour le photographier de face et de profil et prendre les empreintes de ses dix doigts. Il échappe de peu au prélèvement d’ADN (dixit l’OPJ) et il fait l’objet d’un « signalement » : pendant 3 ans, il figure dans la catégorie des individus « connus des services de police ».
Devant lui, les types de la BAC fulminent contre le rapport de l’OPJ. Naguère, les flics de terrain dénonçaient les juges qui relâchaient leur proie ; maintenant, ces tâcherons du Chiffre (leur credo, leur éthique) râlent aussi en interne quand on n’emprisonne pas un adolescent innocent.
Innocent, car quelles sont les charges ? Menaces verbales ? Geste obscène ? Jet de projectiles ? Détérioration quelconque ? Port d’objet contondant ? Possession de substance prohibée ? Non, non, rien de tout cela : tutoiement (après tutoiement par le flic) dit le rapport que lira (en soupirant ?) le procureur de la République avant de le poubelliser (pas sûr).
Note à l’intention de mes jeunes lecteurs : vous pouvez dire à une brute de la BAC « Me touchez pas le cul (ou la b…, ou les c…s ) », ce n’est pas un délit. Le délit serait, par exemple : « Touche-moi pas la main, tu m’salis ! », sauf si c’est dit au Président de la République, qui répond : « Casse-toi pôv con" » et c’est match nul la balle au centre. On n’embête pas un procureur pour ces broutilles. Pigé ?
L’OPJ a fait honnêtement son boulot, il a même résisté à la pression de sa base musclée et aux exigences de sa hiérarchie qui veut, confie-t-il, des rapports sur les manifs « minute par minute ».
Bilan : des heures perdues, un innocent, parce qu’il est jeune, jeté à terre, humilié en public, à la lèvre tuméfiée, aux poignets écorchés par les menottes, otage pendant des heures de la Police, menacé de goûter à la prison, bref, des graines de haine anti-flics semées parmi ses potes à qui il raconte l’aventure, et qui la racontent, etc.
Ah oui, BAC, ça veut dire Brigade Anti Criminalité. Le mot important n’est pas « brigade » (mot valise fait de « brigand » et « brimade », c’est « CRI-MI-NA-LI-TE ».
Théophraste R. (Qui a une de ces envies de manifester, scrongneugneu !).
PS. Un ami humoriste me dit que, face à leur BAC, les jeunes Anglais courent un risque de moins que les Français.