IRIB- Nos confrères du site "Egalité et Réconciliation" ont interrogé les journalistes Thierry Meyssan et Julien Teil, sur la prise d’otage dont ils ont fait l’objet, avant la prise totale de la ville, par les rebelles. Voici le texte de l’entretien :
Question : Comment s’est déroulée la prise des otages, les derniers jours, à Tripoli, avez-vous été menacés par les rebelles, on a parlé d’arrestation, d’arrestation de Thierry, notamment, et vu le chaos qui régnait, je pense que vous avez côtoyé la mort, plusieurs fois, qu’en est-il ?
Thierry Meyssan : D’abord, nous n’avons jamais été pris en otages, en tout cas ce n’est pas comme cela que je l’ai pris. Nous nous sommes trouvés bloqués, dans l’hôtel Rixos, avec une quarantaine de personnes et dans une situation particulière, parce qu’il y a un sous-sol de l’hôtel qui a été aménagé avec des chambres et une cuisine, et qui a des accès que personne ne connaît, et qui a été utilisé, par certains responsables libyens, pour se reposer, à des moments donnés, pendant la bataille de Tripoli. Donc, lorsque les dirigeants libyens se trouvaient, dans cet immeuble, l’OTAN ne pouvait pas le bombarder, parce qu’il y avait à l’intérieur les journalistes de CNN, de la BBC et de Fox, ainsi que deux envoyés, des espèces de négociateurs de bonne volonté des Etats-Unis. Et puis, lorsque les dirigeants libyens n’étaient plus là , l’OTAN nous utilisait comme appas, pour les faire revenir, à cet endroit là , et c’est pour voir comment ils entraient, dans les bâtiments, et pouvoir les arrêter, à ce moment là . Dans le bâtiment, nous étions protégés par des gardes libyens de la Jamahiriya libyenne et l’hôtel était encerclé par des forces rebelles, essentiellement, composées de combattants islamistes d’Al-Qaïda encadrés, d’après ce que j’ai compris, et je n’en suis pas témoin visuel, encadrés par des officiers français.
Question : Donc vous étiez entre deux feux ?.
Julien Teil : Moi, j’ai à peu près la même vision que Thierry, même si, effectivement, on n’a pas pu voir de nos yeux ce qui se passait à l’extérieur. D’un côté, nous étions protégés par les volontaires de la Jamahiriya libyenne, c’est-à -dire, des gens qui ont intérêt, pour les raisons que Thierry a évoquées : des dirigeants libyens, de très haut vol, étaient réfugiés à l’intérieur de l’hôtel, à certains moments, mais je pense, aussi, qu’ils défendaient l’hôtel, pour ne pas que les rebelles rentrent et fassent un carnage, puisqu’ils avaient, quand même, un certain respect, pour ces journalistes, même s’ils savent que ces journalistes n’ont pas forcément dit la vérité, à chaque fois ; donc, d’une part, on avait tous ces volontaires, qui défendaient l’hôtel, et, surtout, ce qui faisait tout ce vacarme, ce sont tous les combats qui étaient à l’extérieur de l’hôtel et qui visaient, manifestement, à affaiblir les gardes, qui étaient postés devant l’hôtel- puisqu’ qu’il y avait, à peu près, 60 militaires libyens, d’après ce que l’on m’a dit- ainsi qu’environ entre six et une petite dizaine de volontaires libyens, à l’intérieur de l’hôtel qui se relayaient. A un certain moment, tous ces volontaires avaient, certainement, quitté l’hôtel, puisqu’on ne voyait plus personne à l’intérieur ; les combats, à l’extérieur, semblaient s’arrêter, mais lorsqu’on essayait de regarder par le toit, même d’aller voir devant, tout de suite, on entendait des snippers, on entendait des gens qui tiraient ; donc, c’est difficile de savoir si c’était l’armée libyenne, qui, pour notre sécurité, nous faisait peur et nous faisait rentrer à l’hôtel, ou si c’étaient des rebelles, qui tiraient comme ça ; de toute manière ; ce sont des gens, qui, pour la plupart, n’ont aucune coordination. Mais cela me paraît étonnant, puisque, comme dit Thierry, un des volontaires libyen nous a un moment expliqué qu’il y avait des Français, des Algériens, des Tunisiens et des Quatari qui encadraient cette opération.
Question : Avant d’arriver à la seconde question concernant le Qatar, vous aviez parlé d’infiltration des journalistes par des espions …Comment ça s’est confirmé à la fin ?
Thierry Meyssan : J’avais tourné une petite vidéo, dans cet hôtel, quelque temps avant, pour expliquer que, dans une situation de guerre, comme celle-ci, chaque puissance essaye d’amener ses agents de renseignement sur place. Et que, évidemment, quand il y a des possibilités de trouver des journalistes, tous les services secrets se précipitent, pour utiliser cette possibilité. Sur cette question de logique de fond, c’est assez évident. Ensuite, si l’on parle de cas individuels, évidemment, les choses sont plus complexes, et moi, j’ai connaissance d’un certain nombre de choses très, très précises, dans cette affaire, parce que j’y ai eu accès ; on m’a montré des dossiers de renseignements, sur les uns et sur les autres ; maintenant, je n’ai pas ces choses là avec moi, on me les a montrées, c’est tout, et donc je ne vais pas nommer telle ou telle personne, parce que je ne peux pas apporter, à ce moment là , les preuves matérielles concernant ces personnes. Et dans les dossiers que j’ai vus - moi j’ai vu des dossiers avec toutes sortes de documents, de nature incroyable, sur les correspondances entre certains journalistes et leurs services de renseignement MI 6 CIA et le Mossad. J’ai vu des cartes d’accréditation de secret défense ; j’ai vu les plans d’évacuation qui étaient fournis à ces gens, avec, notamment, une société qui s’appelle "Idis", qui est en Angleterre l’équivalent de "Blackwater" …aux Etats-Unis, et qui était installée, pour permettre l’évacuation de ses espions, si c’était nécessaire. J’ai vu tout ça. Il y avait beaucoup de journalistes, il y avait des gens tout à fait normaux là -dedans, mais il n’y en avait pas beaucoup.
Julien Teil : Pour moi, au début, j’ai senti la même chose que T., c’est-à -dire que pour moi, c’était une extrême majorité de ces journalistes, qui étaient, la plupart, des agents infiltrés, que ce soient de simples négociateurs, jusqu’à l’informateur, et jusqu’à , voire, plus. Et après, par contre, j’ai commis l’erreur et certainement pour ce dont Th parle, car il y a des cas individuels qui n’ont rien à voir avec ça et sont de simples journalistes qui font leur travail, de l’autre côté, par rapport à nous ; et j’ai commis l’erreur de penser, finalement, ces journalistes, ce que l’ on pouvait penser d’eux, ne représentait qu’une minorité. Mais, ensuite, en reparlant avec Thierry, deux jours après, j’ai compris que c’était bien plus complexe que cela. Je n’avais pas accès aux informations que Thierry a eues. J’ai simplement constaté que ces journalistes, en ayant parlé avec nous, étaient des gens tout à fait normaux, qui étaient bien plus apeurés que même nous.
Thierry Meyssan : Il faut comprendre que nous avons vécu, en huis-clos, comme ça, dans une situation dangereuse. Il faut descendre, au premier sous-sol, pour éviter de recevoir des débris… En fait, pendant huit jours, nous avons vécu, en huis clos, dans une situation où les personnes bloquées, dans cet hôtel, se sont scindées en plusieurs groupes : il y avait, d’un côté, les journalistes atlantistes, de l’autre côté, les journalistes anti-impérialistes, et puis, quelques personnes, au milieu, qui essayaient de se tenir à l’abri de ce conflit. Quand le tour de garde avait lieu, que de nouveaux volontaires libyens venaient défendre l’hôtel, nous, nous les connaissions, nous pouvions aller leur dire bonjour ; on les saluait, on les embrassait, on les étreignait, on demandait des nouvelles des autres combattants. Donc, ceci pouvait provoquer une angoisse très forte, chez les autres journalistes, qui pouvaient penser que, mais au fond, nous, nous n’étions pas armés, mais nous étions les amis des gens qui étaient armés. Et puis, nous voyons certains des gens qu’on a présentés, comme des journalistes atlantistes, qui avaient une liaison satellite quasi permanente avec l’OTAN. Donc, nous, nous savions que si l’hôtel était pris, ils pouvaient, aussi, nous faire tuer, instantanément. Ce genre de situation, où chacun a peur de l’autre, peut dégénérer très très vite. Et ça a vraiment failli dégénérer, plusieurs fois, ça a vraiment été très fort. A cela s’ajoute le fait qu’il y avait plusieurs dangers qui sont venus, dans cette situation. Mahdi Darius Nazemroaya et moi et également Leezy de Press-TV, nous avons fait un travail très visible, au plan médiatique, qui a mis au jour un certain nombre de mensonges de l’Alliance Atlantique ; donc, tous les trois, nous étions considérés, comme des éléments hostiles, par l’Alliance Atlantique, et dans tout ce qui a eu lieu à cet endroit là , il est clair que certains dirigeants militaires et politiques de l’Alliance avaient pris la décision de nous faire éliminer, pas seulement, nous, d’ailleurs, de faire éliminer, aussi, un des négociateurs de bonne volonté étatsunien qui était là . Le danger n’était pas virtuel, croyez-moi.
A cela s’ajoute le fait que, pour ma part, je me suis engagé, et j’étais seul, je me suis engagé pour défendre le droit international, dans cette affaire, que j’estime foulé aux pieds, par l’Alliance atlantique, en général, et la France, en particulier ; j’ai essayé de défendre le droit international, et pour ce faire, j’ai pris des responsabilités, au sein des institutions de la Jamahiriya. Pour cela, j’étais, personnellement, considéré comme quelqu’un qu’il fallait absolument faire disparaître. Pour Julien et Mathieu, qui se trouvaient à cet endroit là , le simple fait même d’être à côté de moi les mettaient en danger, mais, en même temps, s’ils étaient tout seuls, ils n’étaient pas, non plus, en sécurité. C’est une situation délicate.
Question : On a clairement assisté à une opération historique de mise en scène, style Hollywood, ...tout le monde, aujourd’hui, convient que la prise de la place verte a été réalisée, en studio, au Qatar, même le patron de la "CNT" l’a admis à la Télévision Al-Jazira-, l’OTAN a utilisé des bandes sonores, aussi, pour créer la panique chez les Tripolitains. Pire encore, aucun membre de la Maison de la prostitution n’a estimé nécessaire d’en parler. Qu’avez-vous constaté sur place, puisque vous en parliez, déjà , avant la chute de Tripoli ?
Thierry Meyssan : D’abord je tiens à rappeler que j’ai annoncé cette histoire de fausse vidéo, qui était tournée à Qatar, je ne savais pas ce qu’on était en train de tourner, mais je savais qu’on avait reconstitué, en studio, à la fois la place verte, puis Bab -al -Aziya, je l’ai écrit, avant les événements ; je vois, encore, les journaux, comme "Marianne", qui se sont gaussés que je pouvais écrire des choses pareilles, mais les événements m’ont tristement donné raison. Depuis le début de cette guerre, beaucoup de choses qui ont été dites, beaucoup de choses que vous avez vues à la Télévision sont fausses. Le fait de voir n’est pas suffisant, -tel que le système fonctionne aujourd’hui-, et nous pouvons contester un grand nombre de choses qui sont acquises pour tout le monde, notamment, nous contestons, totalement, l’histoire des massacres qui auraient eu lieu, à Benghazi, au début. Tout cela est faux, absolument faux. Et j’ai essayé d’aller plus loin. Je pense que la presse est quelque chose de préalable à toute forme de démocratie. S’il n’y a pas de liberté d’expression, il ne peut pas y avoir de démocratie. Mais si cette liberté d’expression est manipulée, au service de la guerre, alors, tout le système est faussé. Donc, j’ai poussé la Jamahiriya libyenne à engager des poursuites, qui, évidemment, maintenant, ne pourront pas être menées à terme, puisque l’Etat s’est effondré, contre CNN, à la suite d’un certain nombre de faux reportages et sur la base de trois résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui ont été adoptées, à partir de 1945 -54, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, qui assimilent la propagande de guerre à un crime contre la paix, qui considère que la grande responsabilité des journalistes qui ont falsifié l’information, de manière volontaire- pas quand ils ont simplement commis des erreurs- Des falsifications, lorsque ces falsification ont conduit à la guerre, ils doivent être tenus responsables de toutes les conséquences, y compris, de crimes de guerre et contre l’humanité, qui auraient résulté de leur propre action.
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