François Hollande plaidait ainsi pour que soient levées les dernières restrictions à la livraison d’armes lourdes à l’opposition armée. Il s’agirait d’un nouveau cran dans l’escalade qui a vu, depuis deux ans, le camp occidental s’engager de plus en plus ouvertement pour le renversement d’un gouvernement certainement pas moins légitime que tous ceux des pays de la région. Ce point est capital : quelques semaines seulement après le début des manifestations d’opposants, et donc bien avant les drames actuels, Hillary Clinton, suivie par ses alliés, exigeait déjà explicitement le départ du président syrien. Ce dernier était ainsi placé devant l’alternative : ou bien obéir aux injonctions et déguerpir, à l’image des marionnettes occidentales Ben Ali ou Moubarak ; ou bien faire face à ce qui allait s’avérer de plus en plus clairement comme une véritable guerre, portée par l’Arabie saoudite, le Qatar et leurs mercenaires (on sait en outre aujourd’hui que des formateurs américains, et très probablement français et anglais, entraînent les hommes de ladite Armée syrienne libre).
Les stratèges occidentaux comptaient que le président syrien obtempérerait, ou bien que son régime s’effondrerait rapidement. Sans doute ces derniers - à l’image de George Bush décidant d’envahir l’Irak il y a tout juste dix ans, avec les conséquences que l’on sait - se sont-ils pris au piège de leur propre propagande décrivant Bachar el-Assad comme un chef de clan isolé dans son propre pays. La réalité est qu’il continue à jouir d’un large soutien populaire, ne serait-ce que par crainte du chaos sanglant que ne manquerait pas de provoquer la victoire des proches cousins de ceux que Paris affirme vouloir éradiquer au Nord-Mali. Le chef de l’Etat français de même que le premier ministre britannique ont pris le parti d’une fuite en avant dans l’escalade. Les deux capitales, dans une sorte de réminiscence historique, veulent façonner le « gouvernement provisoire » censé diriger la future Syrie. Au nom de la paix, bien sûr.
Pour des raisons qui ne tiennent pas au refus de principe de l’ingérence, mais plutôt à la crainte (fondée) d’une situation immaitrisable, une majorité des Vingt-sept ne souhaite pas, pour l’heure du moins, suivre le duo des boutefeux. Qu’à cela ne tienne : alors qu’on lui opposait l’embargo européen reconduit le 18 février dernier, Laurent Fabius a eu cette réaction courroucée : « la France est un pays souverain ». Ainsi, au moment même où s’accélère l’abandon des dernières prérogatives nationales - budgétaires, mais aussi économiques et sociales - le ministre ne se souvient de la souveraineté que dans un seul cas de figure : pour alimenter une guerre et déstabiliser un pays indépendant.
Les dirigeants européens ont cependant retrouvé une belle unanimité dès lors qu’il s’est agi de remettre dans le droit chemin un petit et lointain Etat membre - à quelques encablures des côtes syriennes : le 16 mars à l’aube, l’eurogroupe décidait de piocher dans les comptes des Chypriotes, dans l’espoir d’éviter que la zone euro ne replonge dans le chaos. Et enjoignait aux parlementaires de ce pays de ratifier, dès le lendemain, le diktat. Lesdits élus ne s’étant pas pliés à cette formalité, le patron de la Banque centrale européenne a publié un ultimatum menaçant l’île d’un véritable blocus monétaire.
En 2007, José Manuel Barroso estimait que l’UE constituait « une sorte d’empire non-impérial ». De plus en plus ouvertement, l’adjectif est de trop.
PIERRE LÉVY
Éditorial paru dans l’édition du 30/01/13 du mensuel Bastille-République-Nations
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Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation paru récemment : L’Insurrection